Deux Joyaux Violets. Chapitre 22.

7 mins

La vie n’est pas rose

BASIL 

Esméralda n’aimait pas Noël. Après la mort de nos parents, elle avait décidé d’ignorer cette fête. Ça m’importait peu, je n’appréciais pas nos géniteurs de toute manière. Ils avaient l’habitude de jouer la comédie, celle de la jolie petite famille à table lors d’un dîner copieux, pour ensuite apprendre à leurs enfants les rudiments d’un assassinat. Ça me rendait malade. C’était alors évident que je me foutais pas mal de cette fête. Même si Tori m’avait supplié de l’accompagner au Réveillon, j’étais resté dans ma piaule, ce n’était pas cette petite femme qui allait gâcher ma soirée.

 Nous étions dorénavant la veille de la rentrée, les élèves affluaient dans les couloirs et je pouvais sentir l’appréhension de Tori. Nous étions dans sa chambre, elle avait les yeux posés sur un livre et j’étais allongé sur son lit, m’amusant à l’agacer à faire léviter ses affaires. J’observais souvent Tori et son enthousiasme me sautait aux yeux dans ces moments-là. J’y réfléchissais parfois, et je savais que cette partie d’elle me touchait et m’intéressait. Il était rare de voir des personnes de sa qualité dans ce bas monde. Cet optimisme à toute épreuve, elle me semblait intouchable. Je me rendais compte aujourd’hui, elle avait peur mais ne reculait jamais. Ces pas étaient parfois lents, mais ils allaient toujours vers l’avant. Notre monde avait besoin de personne comme elle, mais ça me faisait chier de penser qu’elle pourrait se sacrifier pour ce monde merdique.

 Tori passa sa main dans ses cheveux épais, elle m’avait expliqué qu’elle voulait les laisser pousser. Malgré cela, elle ne faisait que de se plaindre de leur longueur. Les élèves faisaient un bruit monstre dans les couloirs, j’imaginais mal le raz-de-marée derrière cette porte. Je n’avais pas quitté Tori de la journée, l’arrivé des élèves me rendait nerveux, je ne voulais pas que des petits cons se sentent pousser des ailes à la vue de ses yeux. Lorsque je me souvenais de mes parents et de leur pouvoir, je devinais alors les dons de manipulation que pouvaient avoir les leurs. Remplissant l’esprit de leur gosse durant deux semaines de discours haineux.

― Tu vas me coller aux basques encore longtemps ? La voix de la petite Demesse interrompit mes pensées.

 Je ricanais en faisant tomber le stylo que je faisais léviter au-dessus de sa tête. Elle me lança un regard noir.

― Y’a des chances, ton lit est vraiment confortable. J’espère que Gabriel ne sera pas jaloux, raillais-je partiellement aigris.

 Tori leva les yeux au ciel.

― Gabriel est un idiot, et il n’y a rien entre nous.

― J’espère pour vous, mais j’ai quand même l’impression que ce n’est pas terminé pour lui.

― Qu’est ce que tu en sais ? Tu as lu dans ces pensées ?

 Un sourire moqueur naquit sur mes lèvres. A qui le disait-elle.

― Évidemment. Je pense que tu es bien trop gentille avec lui.

 Tori souffla bruyamment, ce sujet semblait la mettre dans tous ses états.

― Je ne pense pas que ça te regarde de toute manière.

 Tori ferma son livre soudainement, elle tourna sa chaise vers moi pour me faire face. Elle était en colère, je pouvais voir son aura trembler sous l’émotion. Je levais les mains en l’air, résigné.

― Excusez-moi madame, je ne voulais pas vous froisser.

 Je riais doucement, bien sûr que ça me regardait, Tori et Gabriel étaient mes amis, et si je voulais foutre mon nez dans leur affaire, j’allais bien me gêner. J’allais bientôt crever de toute façon, autant m’amuser un peu avant l’heure fatidique. Merde, Tori me lança un regard inquiet le temps d’un instant, comme si elle avait entendu ma pensée. N’arrêtait-elle jamais de réfléchir ?

― Je peux te poser une question ?

 Mon cœur se mit à battre plus vite soudainement. Cela faisant longtemps que je n’avais pas ressenti de l’appréhension, et j’avais mon idée en tête sur sa question. Je hochai la tête positivement, bien qu’effrayé.

― Pourquoi je sens quelqu’un d’autre dans ton esprit ? Quelqu’un que je ne sais pas lire aussi bien que toi, c’est troublant.

 Elle sentait le Monstre qui prenait de plus en plus de place dans ma tête. Je peinais à le retenir depuis plusieurs mois et j’écourtais les délais de mes potions de deux semaines, c’était plus qu’inquiétant. Clara tentait jour et nuit de me concocter une potion miracle, je connaissais l’issue pourtant j’étais incapable de l’en empêcher. Je ne voulais pas que Tori connaisse cette face de moi-même, tout autant que Grégoire, Élise, Aiden, Gabriel… Ils représentaient un havre de paix auquel j’aimais m’y rendre sans avoir peur du regard, celui que Clara me lançait depuis deux mois, celui de la pitié et de la peur de mon sort, je n’avais pas besoin de ça. C’était une charge qui s’additionnait et qui, je savais, allait me peser plus que ce que je pourrais imaginer. Tori était importante pour moi, je m’en rendais compte aujourd’hui alors que je mettais beaucoup d’effort à éviter cette question.

 Je me mis à bloquer mon esprit comme si ma vie en dépendait, mon émotion maîtresse prit le dessus et elle se cogna à un mur indomptable. Je vis dans ses yeux un questionnement, qui se changea en déception. Oui, Tori n’aimait pas les cachotteries, compréhensible lorsque l’on savait que toute sa vie était basée sur un mensonge.

 Je me mis à sourire, l’air de rien.

― Un vieux souvenir, la vie n’est pas toujours rose tu sais.

 Tori baissa les yeux, puis secoua la tête. Étonnement, elle n’insista pas et je me demandais même si elle n’avait pas lu mon supplice dans mon esprit. La petite Demesse se mit à triturer ses doigts.

― Je… J’ai reçu une lettre d’Enki. Il veut me voir, en janvier. Tu voudrais bien m’accompagner ?

 J’eus un soupir de soulagement, car elle tourna la conversation vers elle.

― Oui, oui, évidemment, répondis-je en reprenant mes esprits.

 Tori se mit à sourire et mon cœur se réchauffa instantanément.

 Les élèves étaient pour la plupart dans les cantines ou dans leurs chambres à cette heures-ci. J’avais eu le temps de rentrer dans ma chambre pour me changer. J’enfilais mon jogging, l’esprit embrumé par la question de Tori. « Quelqu’un d’autre », avait-elle deviné ? Non, mais ses doutes mettait mon mensonge en danger. J’étais un idiot ces derniers temps, je me relâchais comme si cette année allait être la dernière. Bien qu’elle l’était, le but était de ne pas le montrer.

 Je m’énervais moi-même. J’avais pris ma décision et pourtant, Tori et Clara s’entêter à s’y mêler. Je bousculais un verre par inadvertance, je le rattrapais avant qu’il ne tombe au sol et l’éclatais contre le mur.

― Putain !

 Ces femmes me faisaient douter ? Et cela me mettait dans une colère qui me dépassait, cela voulait dire que je voulais survivre ? Non, je devais mourir. Avais-je peur de mourir ? J’étais un sale con, j’avais tué assez de gens pour mériter mon tour si tôt, puis je n’avais rien à faire ici. Je l’avais bien mérité.

― Non, elles ne vont pas m’aider, d’accord ? C’est comme ça, il n’y a pas de remède, Esmé a cherché… je chuchotais.

 Ma respiration devint saccadée, une bouffée de chaleur avait envahi mon corps. Je tournais dans ma chambre comme un lion en cage. L’utilisation de mon émotion maîtresse m’avait toujours mis mal à l’aise, comme si elle me rendait plus fragile à chaque utilisation, elle me brisait. Il fallait que je me calme au plus vite, je me mis à respirer doucement en fermant les yeux, relâchant mes épaules tendues. La peur prenait le pas sur ma colère. La peur de la mort, j’étais faible et ça me rendait fou. Je devais être implacable.

« sans émotions et sans bruits. Tu te glisses dans les ténèbres et échanges ton innocence contre les armes. Sans doute, accompli ta tâche et reviens d’entre les morts. Rien n’est plus lâche que tes larmes, tu n’es qu’une enveloppe, qu’un corps… »

 Je récitais cette leçon, la voix de mon père retentissant dans mon esprit. Oui, je devais être un Assassin sans failles, il fallait garder son sang-froid et être opérationnel jusqu’au bout. Je le serais, comme l’a été Esmé. Mon dernier souhait était d’aider Tori autant que je le pouvais.

 Il me fallut plusieurs minutes avant de calmer ma crise d’angoisse. Heureusement que personne n’avait emprunté la porte de notre chambre, j’aurai été incapable de trouver de meilleurs mensonges pour aujourd’hui. Je me mis à rire doucement, j’étais bien trop anxieux pour contrôler ma malédiction, c’était inquiétant. Tori avait réussi à me mettre dans tous mes états. Si mon père me voyait aujourd’hui, j’imaginais facilement ces coups pleuvoir sur ma tronche.

 « ― Bien trop lent Basil. Tu penses survivre une seconde dans cette forêt ?

― Oui, père !

― Non, tu es trop faible. Il faut que tu t’endurcisses, que tes muscles se développent. Regarde-moi ça, tu as la peau sur les os.

― Oui, père !

― Frappe moi maintenant, et je veux sentir les coups cette fois-ci. »

― Oui…

 Je passais ma main dans mes cheveux en repensant aux entraînements de mon père, un cauchemar. C’était un putain de cinglé.

 J’allais me laver pour effacer ces mauvaises pensées puis me dirigeais vers la Salle Principale. Je vis Tori avec Oswin et Aiden. Je m’empressais de les rejoindre.

― T’as une sale gueule.

 Je souriais faussement vers Aiden.

― Je suis fatigué.

 Je sentis le regard de la petite Demesse, elle sentait mes tourments sans pouvoir y faire quelque chose. Je savais que ça lui coûtait, Tori aimait aider ses amis. Je me mis à regarder autour de moi, la Salle Principale se remplissait et certains élèves nous dévisageaient, la cause était en face de moi, silencieuse.

― Ces connards ne font que nous fixer, se plaignit Oswin et je sentais sa tension, plus ou moins calmé par la présence d’Aiden.

― C’est difficile de ne pas nous voir tu sais.

 Aiden tenta de blaguer mais nous étions beaucoup trop vigilants pour y prêter attention. J’avais un mauvais pressentiment. Tori gardait les yeux baissés sur son verre, muette comme une tombe.

― S’ils tentent quoi que ce soit, ils seront bien déçus, déclarais-je, rempli de sous-entendus équivoques.

 La riposte pouvait bien servir de menace, faisant reculer les plus malins. Le visage de Tori se leva soudainement.

― Non, je ne veux pas de violence, Basil.

― Je crois que tu t’aies trompé de choix de vie alors, je réponds, déjà sur les nerfs.

 Les Surnaturels ne comprenaient que de cette manière, la violence.

― Et si je voulais changer cela ?

 Aiden se mit à pouffer bruyamment, s’attirant le regard noir de Tori. Il ne se moquait pas pour rien, cette idée était aussi saugrenue qu’impossible. Nous avions toujours fait justice de nous-même.

― Ils vont te faire du mal si tu les laisses faire, dit Oswin.

― S’ils osent quelque chose, ils enfreindront les règle de l’école. Ce n’est pas à moi de les punir.

― C’est idiot, riais-je jaune.

― Je m’en fiche de ton avis, Basil. Je te demande juste de ne pas intervenir.

 Je me mis à sourire.

― Et je te réponds : tu vas juste te faire crever.

 Je me levai alors, elle m’emmerdait. J’avais vraiment besoin de dormir.

 Je pris le journal d’aujourd’hui et remontai dans ma chambre sans un mot. Je pouvais y lire à la une les différents massacres recensés au Canada depuis une semaine. Une famille s’en était prise à des campeurs, des Humains qui plus est. Les Sorciers ayant orchestré cet assassinat les avaient pris pour des Démons en cavale, rien de bien malin mais assez suffisant pour des gens ignorants et effrayés par la menace des Démons. Surtout celle dépeint par le Conseil. Cette affaire n’était pas une bonne nouvelle de leur côté, il fallait maintenant masquer ce massacre auprès des Humains qui chercheraient les fautifs. La nouvelle avait fait le tour, le Conseil temporisait maladroitement : « Tout Surnaturel attaquant délibérément les Humains sera chassé du territoire canadien. ».

 Cela avait le mérite d’être clair. 

__ 

Coucou, je pense être de retour avec ce petit chapitre.

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3 Commentaires
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Galindo Gaëlle
2 années il y a

Je m’inquiétais.
J’avais peur de ne plus jamais entendre parler de Tori et Basil.

J’espère que tu reviens vraiment !

Galindo Gaëlle
2 années il y a

J’espère que Tori et Basil te donnerons l’inspiration.

Oui surtout que c’est fini !

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