Voilà trois jours que je suis au lit, incapable de bouger. J’enchaîne les montées de fièvre et descentes de sucre. Le médecin a dit que le repos devrait être suffisant, qu’il me fallait juste du temps. Le temps. On passe notre vie à le chercher, désespéremment. On dit “deux secondes”, “minute papillon”. On attend. A-temps. Les journées font vingts-quatre heures. Et jusqu’à la fin de notre vie, le rythme est toujours le même. Il y a des moments d’ennui, d’autres sans. Le calendrier a tourné sa dernière page. Lui ne connaîtra plus le tambour des secondes que martèle le réveil posé sur ma commode, le prix d’une heure, le chatouillement de mon stylo quand je raye une autre case de son costume. L’année s’est envolée dans le feu de la cheminée.
C’est arrivé d’un coup, comme ça. Un mot, un choc, et des milliards de questions. Et cette envie d’une autre fin. Le portail était ouvert, son tracteur ne s’était visiblement pas levé ce matin. Dans les films, les gens courent, hurlent, crient, c’est une pagaille sans fin. Là rêgnait un doux silence angoissant. Ma mère est la seule qui ait gardé espoir jusqu’au bout. On s’est approché, j’ai senti son calme dans ma tempête.
– Bonjour ! On voudrait voir Jean-Marie.
– Ah ! Bah vous ne le verrez plus.
– Pourquoi ?
– Il est parti.
– Il est mort ?
– Oui.
Un discours simple, raide, un de ceux que l’on garde éternellement, parce que les choses courtes sont souvent des plus marquantes.
J’ai essayé de ne pas pleurer. De toute mes forces. J’ai regardé la terre, mes pieds, et j’ai senti combien j’étais encrée dans le sol, et que lui ne l’était plus. Les oiseaux chantaient, je comptais les cailloux. Le frère de Jean-Marie discutait avec maman, il avait l’air paisible. Ses yeux brillaient l’amour d’un frère. Un frère qui a fini sa vie à l’hopital, au moment où nous rentrions de Lyon.
– La veille, il ne parlait plus. On a compris que la fin approchait.
Je suis remontée dans la voiture, en faisant attention à ne pas me cogner, mes larmes auraient couler. Elles pendaient contre mes cils, et moi je priais pour ne pas les faire tomber. C’était la tristesse d’une famille versus celle d’une enfant. Et du haut de mes douze ans, la première me semblait bien plus importante.
– C’est fini, les enfants, a dit maman.
Il est parti comme s’envolent les oiseaux. Le bruit des ailes, de la douleur, puis plus rien. On aperçoit une silouette au loin, elle se fond dans le vide de l’univers. Il est au ciel, m’a-t-on dit. Mais je ne sais pas quel nuage regarder, dans quel bruine il a décidé de s’encrer.
Il était de ceux qu’on ne remarque à peine, pas très grands, des traits fins, un corps forgé au soleil. Parfois il lui arrivait d’étonner, par un mot, une réaction, mais il y avait dans sa discretion la peur de déranger. Jean-Marie ne remuait pas les choses, il les prenait tel quel. J’aimais cette simplicité, cette manière qui l’avait de hausser les épaules, de dire “c’est vous qui voyez” quand on lui demandait conseil. Il adorait la vie. Et elle l’a aimé en retour. À eux deux le monde s’agenouillait. “Les Copains d’abord” résonnait dans le crématorium. Il a pensé aux autres comme personne ne l’a fait. “Non, ce n’était pas le radeau, de la Méduse ce bateau”. Non, Jean-Marie. Mais c’était ta vie.
Une jolie évocation de la perte d’un être cher ou éloigné.
Qu’on laisse bien peu de choses, ou rien, ou qu’on soit promu à la postérité, quelle importance en fait?
Beaucoup d’amour dans ce pen, c’est très doux