La fin de la journée arrive…

3 mins

     La fin de journée arrive, la douceur d’un silence revenu apaise les accouphènes d’Hortense. Elle en a depuis plusieurs années et les dernières semaines ne l’ont pas épargnée. Elle replace soigneusement son bonnet sur sa tête et s’enfonce dans le métro. Il n’est pas encore six heures sur Paris, les sièges sont donc presque tous libres. À la sortie, l’air s’engoufrant dans les sous-terrains lui fait l’effet d’un lavage express du visage. Il ne lui faut pas plus d’une vingtaine de minutes pour arriver devant le gigantesque batiment aux murs jaunâtres dont le ravallement semble dater. Encore quelques couloirs et Hortense s’arrête. 206 indique la pancarte. Sa main éfleure la poignée et d’un coup vif, la pousse.

– C’est moi, chuchotte Hortense en entrant.

Une femme lui tourne le dos. Accoudée à son fauteuil, le visage enfoncé dans un double menton laisse aperçevoir deux yeux amandes et un nez fin. Ses cheveux, attachés dans un chignon identique à celui d’Hortense virent à un blanc éclatant que la lumière éclaircit. Son corps se soulève dans un flot régulier qui laisse penser à un lourd sommeil. La pièce est chaude, les murs émanent d’une propreté impécable et les rideaux s’enroulent à l’unisson derrière une fenêtre allongée. Hortense pose son sac sur un lit parfaitement arrangé et s’approche du dehors. Les passants s’activent dans un silence de plomb, entrecoupé de longues respirations. Certains marchent droit, dans une assurance presque effrayante, d’autres errent dans un inconnu qu’Hortense devine être l’ennui. Immobile, elle observe l’agitation de ce petit monde parisien vu du cinquième étage, bien heureuse d’être au-dessus de cette vie à l’improviste.

– Ne t’ai-je pas dit de prévenir quand tu rentres ? 

La femme se redresse, l’air contrarié. Ses yeux bleus fixent Hortense d’un regard sévère. 

– Tu m’as aussi dit de me faire discrête, répond Hortense en lui prenant les mains délicatement. 

Elle s’asseoit sur un tabouret en bois trop petit et lève la tête. Ses jambes croisées cessent leur balancement, elle sent sa tête calmer les derniers bourdonnement.

– Comment va ma grand-mère ? Demande-t-elle calmement.

– Comment va ma petite-fille ? Renvoie la femme.

Hortense sourit, décroise ses bras et entame son récit. De sa bouche s’écoulent chaque détail de la journée, impacible, insensible, mais elle ne dispense aucun élément. Parfois elle lève son regard et observe les hochements de tête aprobateurs que les derniers rayons dissimulent peu à peu. 

– Comment va ma petite-fille ? Demande-t-elle à nouveau.

– Bien, résume Hortense d’une voix claire. 

– Et l’été sur Paris ? Pas trop dur avec ton travail ?

La scène de l’écharpe perdue du matin lui revient en tête. Hortense sourit et regarde ses pieds. Les chaussures boueuses témoignent des dernières chutes de neige et par la fenêtre, le givre enferme le jour.

– Non. Je me débrouille. Mais tu sais, on fait attention, au collège. Parce qu’il pourrait y avoir des malaises. Mais, ajoute Hortense d’une voix plus forte, toi, qu’as-tu fait aujourd’hui ?

C’est au tour de la femme de baisser la tête, puis de la relever en se tournant vers le calendrier. Manque de chance, la page du nouveau mois ne s’est pas tournée et les lunettes sont sur l’étagère. 

– Hier tu es venue me rendre visite. Et puis tu es partie. 

– Oui ! S’exclame Hortense. On a prit le gouter ensemble, des gateaux au citrons avec du thé vert.

Le silence s’installe dans le vingt mètres carrés. Le soleil a tiré la révérance, la Lune plane sur l’immeuble. La femme a laissé ses mains tomber sur une longue jupe dont les fleurs décolorées se froissent sur ses jambes. Un léger tic tac de l’horloge posée sur l’armoire rappelle l’écoulement des minutes. Hortense s’est levée, tournée vers la porte d’entrée. 

– Je dois y aller, grand-mère. On se voit demain. 

– Demain, il y a quoi demain ? 

– Rien, répond Hortense calmement. Rien de plus qu’aujourd’hui. Mais je serai là. 

– Comment va ma petite-fille ? Demande la femme soudainement joyeuse.

La porte claque lentement contre le verrou. Au loin, des voix criardes racontent les derniers résulats du football. Dans l’ascenseur, le programme de la semaine affiche les activités. Couture, cuisine, jeux d’échecs et de dames, les choix bien ordonnés dans les cases colorées semblent plaire, vu leur répétition hebdomadaire. La sonnerie du rez-de-chaussé la réveille. Elle salue l’acceuil et s’engoufre dans le frois glacial d’un début de février. 

Les miaulements à travers la porte presse l’ouverture. L’appartement est chaud mais sombre. Hortense dépose les clés dans une assiette et s’affale sur le canapé. Robert s’invite dans le creu de son épaule. Bercée par les ronronnements de son chat, l’effet du manque de sommeil a très vite raison de sa conscience et elle s’endort, l’animal contre son manteau à peine hoté.

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1 Commentaire
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DeJavel O.
2 années il y a

Horrrtense aime sa grand-mère, qui est au foyer. Elle s’occupe d’elle malgré qu’elle soit probablement en début d’Alzheimer. C’est bien. Elle a un p’tit copain du nom de Robert,

On continue ! 🙂

Je note que une fois de plus, elle a un flash sur ses bottes (l’écharpe perdue ce matin). Nous verrons si ce ne serait pas le début d’un fil conducteur.

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