– Je te fais un café ?
Hortense décline poliment. Depuis ce matin, rien ne parvient à se faire avaler. Il est pourtant déjà seize heures, mais impossible. Elle sent bien le creux de son estomac qui ronronne à l’idée d’une tasse bien chaude, et l’odeur repousse toute tentative. Adèle s’approche lentement. Sa forte corpulence menace la petite table en bois de hêtre qu’elle contourne de justesse.
– Tu vas te décider à parler, oui ? S’impatiente la jeune femme.
Elle doit avoir le même âge qu’Hortense. Ses cheveux blonds cachent un visage rond dans lesquels deux yeux bleus vifs fixent l’intéressée. Son mètre soixante n’impressionne guère, bien que les talons de ses chaussures ajoutent tout de même une bonne dizaine de centimètres.
– Je ne sais pas ce qu’il s’est passé. Je n’avais pourtant pas bu un seul verre, pas fumé, rien. Et puis d’un coup…
Hortense, dont les mains tremblent légèrement, déballe par petits bouts le récit de sa nuit. Adèle est sa meilleure amie, sans doute sa dernière pièce aussi. Elles se sont rencontrées à la fac, en deuxième année de master. Et puis elles ne se sont plus quittées. Le concours passé, elles ont gardé le lien fort d’une amitié salvatrice et nutritive. L’une puise chez l’autre une soif de vie et d’amour que les évènements avaient jusqu’alors préservée. Une fois leurs dernières énergies épuisées, elles se jetent dans leur quotidien respectif que les sentiments épargnent. Adèle boit le calme d’Hortense qui, à son tour, engloutit son humour.
– Tu ne sais donc pas ce qu’il s’est passé ? Interroge l’amie d’une voix pleine d’ironie.
– Aucune.
– Tu as fait une crise d’angoisse. Rien de grave.
– Tu te fiches de moi ? S’exclame Hortense avec reproche. J’ai plus de vingts ans de nuits tranquilles et paisibles, et tout d’un coup je chope un poison du sommeil ?
– C’est pas un venin ton truc, rigole Adèle. Mais tu as raison, je ne suis pas médecin. C’est à lui qu’il faudrait en parler.
– Je n’ai pas que ça à faire, d’aller chercher un toubib’ parisien qui va ruiner mon portefeuille contre une vieille ordonnance illisible.
– Les psychanalystes ne donnent pas d’ordonnance. Ils offrent des mots. Tu verras, ça vaut toutes les cartes bleus de la Terre.
– Je ne suis pas folle.
– Non, juste extrêmement arrogante.
Adèle s’est levée poser sa tasse dans l’évier. Son geste brusque témoigne d’une irritation rare chez cette femme à la joie habituellement débordante.
– Pardon ? Demande Hortense, visiblement piquée par le reproche.
– Je dis que tu es arrogante. Il n’y a pas que les fous qui vont chercher de l’aide, figure toi. Ou bien en suis-je une moi-même.
Le soleil descend dans l’appartement et roussi le blond de ses cheveux. La pièce soudainement lourde chauffe lentement au contact des rayons. Hortense a pourtant perdu son éclat. Son visage fixe son amie d’un regard curieux mais prudent. Elle savoure le silence, comme un dernier instant avant un départ.
– Tu crois pouvoir tout faire, tout contrôler. C’est extrêmement courageux, peut-être un peu hautain. On est tous fragile un jour ou l’autre. Tu dois bien le savoir, Hortense.
Elle a appuyé sur le prénom, comme pour signifer que c’est bien d’elle qu’il s’agit. Sa voix frétille, grince. Les mots glissent dans le courant de l’instant et semblent s’écrouler sur la toiture d’une bâtisse.
– Alors fonce si cela te semble malin. Quand tu ne dormiras plus il te faudra bien trouver quelque chose sur lequel reposer. Sans couverture on dort, ajoute-t-elle plus bas. Mais ce confort te manquera vite, tu verras.
Mystère ! Hortense cache quelque chose. Adèle sait-elle ce dont Hortense souffre ? Si tel est le cas, le seul à ne pas savoir est le lecteur. Mmm…
Et ce lecteur ne sait pas non plus ce que sait Adèle… c’est embêtant…
Normalement, le mystère doit échapper au personnage principal, et… le lecteur doit en savoir un p’tit peu plus que le personnage (pas trop), afin qu’il frétille en se disant «Allez ! Mais allume la nouille, bouge-toi ! » Ce sentiment de supériorité est agréable au lecteur.
Évidemment, il ne s’agit pas d’un thriller, mais d’une étude de caractère, d’après ce que je vois. Hortense, à ce titre, est un personnage très intéressant. Ce mystère quelle porte est intriguant. (Sauf qu’il faudra bien nourrir le lecteur par petites miettes ici et là – pour qu’il spécule, qu’il fasse fausse route, pour qu’il soit surpris. – Ce qu’il faut éviter, c’est de dévoiler une grosse surprise à la fin car alors le lecteur se dit « J’ai lu tout ça pour rien)
Autre chose 🙂 Il faut penser “conductivité “ Le personnage doit vouloir quelque chose. Que veut Hortense ? Jusqu’où est elle prête à aller pour l’avoir ?
Alors continuons ! 🙂