Sans adorer, Hortense a bien du mal à cacher…

     Sans adorer, Hortense a bien du mal à cacher l’enthousiasme évident lorsqu’elle se rend chez le psychologue. Non pas que l’heure soit un réel bonheur, ce serait donner trop à ces rendez-vous mensuels, mais qu’elle ne peut nier leur efficassité. Comme un chat près à bondir, elle ressent une certaine hâte. Un sentiment certes étrange, mais qui lui rappelle ses premières années parisienne, où chaque coin de rue paraisait un tableau aux mille couleurs. Petit à petit, elle apprenait à contrôler une frustration, une joie, et se remplissait lentement de mots. Son enfance silencieuse et effacée l’avait rendue profondément vide. Elle commençait tout juste à le combler. Désormais, elle se trouve à nouveau nue, et se pare d’une robe encore jeunette, mais solide. Peut-être devient-elle ce qu’on appelle un adulte, femme sensible mais dotée d’une planche sur laquelle tenir en équilibre.

Lorsqu’elle lui a parlé de son départ pour l’Inde, le docteur Meller n’a rien dit. Fidèle à son oreille, il l’a laissée parler, raconter, supposer, essayer. Quand elle s’est tue, il lui a simplement demandé pourquoi elle avait tenu à lui en parler. Comme elle ne répondait pas, il a tourné la question. Pourquoi partir si loin ?

– Je ne sais pas. Ou plus. Ou jamais. Enfin bref, je n’en sais rien. Vous voyez un voilier dans la mer ? Bien. Le vent s’est levé. Trop. Ou alors je n’ai jamais appris à naviguer. Et là je vais couler. Vraiment. Sans doute que j’ai déjà simulé des pannes, mais désormais c’est réel et je ne veux pas me noyer. 

– Avez-vous peur de l’eau ?

– Non. Mais du sel. Des cristaux de sel qui arrachent la peau. Admettez que je sois un rocher. Je refuse de finir creusée. Alors je pars. Je fuis, si vous préférez. Pourquoi si loin ? Pour ne jamais avoir l’envie de revenir. Seule, tout sera plus simple. Je m’en sortirai.

– Hortense, vous êtes une enfant. Grande, mais vous en êtes une. Et cela, personne ne peut vous le reprocher. Vous pouvez essayer de supporter. Allez-y, faites. Mais vous allez tomber. Parce qu’aujourd’hui c’est fini. Vous avez perdu votre arme. Comme une rose qui n’a plus son épine.

– Tout repousse dans les plantes.

Meller sourit. C’est qu’il ne s’attendait pas à tant d’attachement, d’entêtement. Il est courant que les patients refusent l’inconnu. La peur de trouver pire, sans doute. Ou parce que certains s’imaginent un rebondissement. Après tout, qui était-il pour juger le fond d’une abysse ? L’avait-il déjà cotoyée, même ? Il fallait parler en médecin. Si Hortense parlait avec tant d’opiniatreté, c’est bien qu’elle attendait qu’il en fasse de même, et dans son sens. Mais s’il s’était laissé prendre par la détermination et la justesse de sa parole, il ne lui avait pas échappé que sa patiente n’était à l’évidence pas venue pour l’avertir. Elle voulait plus. 

– De quoi avez-vous peur ? Demanda Meller calmement.

– De rien. Mais vous l’avez dit vous-même, je n’ai aucune arme. Donnez-moi en, s’il vous plaît. 

– Rentrez chez vous, Madame. Ce n’est pas moi qui vais vous les donner. Le tout premier jour, je vous ai demandé si vous cherchiez une clé ou un chemin. Gourmande que vous êtes, vous souhaitiez les deux. Désormais, vous avez le chemin, l’Inde, il vous manque la clé. Elle se trouve à l’endroit où vous l’avez laissé.