Folie Lucide

     Regardez ce que le bon vent nous apporte… Des curieux… De vilains petits curieux… Suis-je donc redevenu fréquentable ? Attendez, laissez moi un instant que je vous fasse une petite place près de moi… Non ?

     Non.. Bien sûr que non… Bien sûr… Vous ne faites encore que douter… Béni soit les ignorants ! Vous ne me faites pas confiance… Je comprends… Je comprends…

     Croyez vous vous être débarrassé de MA vérité en m’enfermant ici ? Haha ! Pauvres fous apeurés ! Tellement plus simple, tellement plus simple! La vérité vous dérange, elle trouble vos petites vies étriquées et ô combien, ô combien arrogantes!

     Vous m’avez enfermé, ignares ou pire : complices…

    Haha ! Qu’importe ! VOUS vous êtes enfermés loin de mes sages conseils, mais je me ferai une joie chaque jour de venir écraser ma face rougie par la colère contre ces barreaux moites ! Je vous cracherai à la figure toute cette vérité qui vous est insupportable, misérables insectes !

     Chaque jour vous m’entendez ? Vous m’entendez !

    Chaque jour vous m’entendrez vous répéter sans lassitude cette vérité : Il n’y avait rien ! Rien ! Rien d’autre que la nuit et le calme du cimetière, les morts dormant paisiblement…

    Et puis… Et puis… Ce grattement, ces râles… Ho, il me serait impossible de les retranscrire… Mais ils sont là ! Ancrés à jamais dans mon esprit, le faisant tressaillir à chaque fois que la folie dont vous m’accusez me pousse à repenser à cette nuit maudite…

    J’ai vu leurs doigts décharnés sortir de terre comme de macabres pousses, je les ai vus sortir de l’ombre, je les ai vus, vus, vus, VUS ! Vous pouvez me traiter de fou, mes yeux savent ce qu’ils ont vu ! Mais il y a pire que les morts et leurs chairs putréfiées… Dans l’ombre autre chose se cache, se terre, tapie… attendant… Longtemps nous nous sommes observés… Nous détaillant… Je l’ai vu sourire ! Cette… cette…chose ! Immonde ! Abjecte! Irréelle ! Aucune créature ne peut être ainsi faite ! Laissant des sillons de la taille d’une lame dans le marbre des stèles ! Regardez les miens ! Mes ongles arrachés, déchirés, mes doigts en sang sur la simple roche de ma cellule !

    Et ce sourire… Vous prétendez connaître la folie ? Supportez donc ce sourire !

   Ho ! Vous pouvez dire que je suis fou, vous pouvez dire que j’ai vandalisé ce lieu de repos à moi seul pour me livrer à d’abjectes pratiques avec les cadavres de vos ancêtres ! Mais qu’en aurais je fait après ? Je les aurais mangés ? Non… Ce sont les morts qui dévorent les vivants pas l’inverse ! Observez le corps du regretté Basile ! Croyez-vous que j’aurais pu le démembrer et ronger ses chairs ? Un ami de trente ans ? Cette solution est tellement plus simple…

   Vous connaitrez bientôt la vérité, et vous entendrez mon rire résonner à travers les rues de cette ville maudite, évidée de sa populace par ses propres morts et cette créature quand elle viendra ici… Car elle viendra ! Oui, elle viendra !

    Vous m’avez enfermé, mais vous êtes les prisonniers…

    Vous m’en voyez ravi, braves gens à l’esprit sain. Je survivrai ici, du moins tant que l’ombre ne me trouvera pas…. Même si pour cela je dois me nourrir des entrailles de ces rats puants et lécher l’humidité à même le mur …

    Haha, qu’il me tarde de vous voir tous accourir en ce lieu, pour vous enfermer avec moi, le regard apeuré, les propos confus, l’esprit troublé par tous les spectacles horribles que vos yeux révulsés auront eu le déplaisir de contempler ! Vous prierez pour que la vermine les ronge !

    Je ne serai pas rancunier, je vous garderai un rat que nous partagerons dans notre asile qui n’aura jamais aussi bien porté son nom…

   Allez donc faire la connaissance de tous ces damnés en attendant… Ressentez leurs peurs, leurs crimes… Vivez-les même ! Et vous verrez… oui, vous verrez… Bientôt, vous serez ici, avec moi… Et nous discuterons… longtemps… très longtemps…

   Maintenant, laissez-moi… Partez… Partez !