Dévotion

4 mins

Mademoiselle est une jeune femme de bonne famille, l’une des plus grandes et respectées de la ville. Mademoiselle a tous les prétendants nobles à ses pieds. En tant que son majordome personnel, je ne peux que m’émerveiller de son érudition, sa passion pour les arts et la musique, et sa bonne tenue en société. L’avoir vue grandir ainsi me comble de joie.

L’unique problème à mes yeux, était sa solitude. Elle est certes très courtisée, mais aucun de ses soupirants, ou prétendues amies ne l’est sans arrière pensée. Quant à ses parents, ils ne sont jamais là, ou presque. Si j’osais, je dirais même que Mademoiselle est davantage ma fille que la leur.

Jusqu’à Kate.

Je ne pourrais dire quand Kate est apparue dans la vie de Mademoiselle… Au début, Kate permettait à mademoiselle de s’ouvrir avec confiance au monde.

Mais cette fille n’a décidemment aucune manière. Mademoiselle passe de plus en plus de temps avec elle. Kate est grossière, violente, sans aucune pudeur. De nombreuses fois elle est rentrée les cheveux en bataille, couverte de terre, riant à nos questions.

En l’absence de ses parents, j’ai tenté de prévenir Mademoiselle. Kate m’a entendu. Si Mademoiselle n’avait pas été là… Qui sait ce qui aurait pu se passer ? Mais mes avertissements sont restés sans effets. Mademoiselle aime cette amie.

Mademoiselle passe désormais trop de temps avec elle, cela m’inquiète. Je n’ose plus rien dire: Kate me lance des regards qui me glacent le sang.

En tant que majordome de Mademoiselle, je me dois de l’accompagner. Kate est toujours là. Si Mademoiselle n’était pas là, je ne supporterais pas la présence de cette jeune femme. Mais je me dois de prendre sur moi, car tout ce que fait Kate rejaillit sur la réputation de Mademoiselle.

Voir Kate agir est un supplice, elle n’a aucune tenue, aguiche hommes et femmes, s’habille de façon indécente et provocatrice. Elle pousse Mademoiselle à échapper à ma vigilance, et je la retrouve perdue en ville, là où Kate l’a abandonnée. Mais Mademoiselle refuse toujours de m’entendre.

Le plus gros problème de Mademoiselle, c’est ce maudit journaliste qui pense trouver dans sa famille une trace du tueur en série qui hante les rues de notre ville si différente ces derniers temps…

Je ne peux que l’éconduire mais je sais que mes esquives ne font que renforcer ses soupçons. Par chance, l’atrocité des crimes laisse à penser aux autorités que seul un homme peut être à l’origine d’une telle violence… Si ils savaient…

Je sais que je devrais avouer être chaque soir le témoin maudit de ses actes, mais incriminer Kate, serait porter préjudice à Mademoiselle, qui l’a accueillie sous son toit.

Kate se déchaine avec tant de violence sur ses pauvres victimes… Comment un être humain peut-il être capable d’infliger cela à ses semblables ? La première fois, je l’ai surprise en train de faire macérer plusieurs doigts dans une grande soupière, sourire aux lèvres. La cuisinière, prostrée dans un coin, se tenait la main ensanglantée…

Mais il y avait bien plus de cinq doigts dans le récipient…

Depuis, tout s’est empiré. Mademoiselle refuse de nous croire. Le personnel a pris la fuite, ou a tout simplement disparu. Et il n’y a désormais plus un soir ou je ne retrouve pas Kate se livrant à ses atrocités.

Ouvrir ainsi, riant à gorge déployée, le ventre d’hommes et de femmes, du pubis à la gorge… Est-ce seulement humain ? Elle semble prendre un plaisir sans pareil à mutiler leurs chairs et leurs entrailles de façon toujours plus atroce. Elle les seme ensuite aux quatre coins de la ville en laissant des indices, écrits de leurs sangs, aux forces de l’ordres. Kate ne semble même pas consciente de ma présence, et je me dois de rassurer Mademoiselle quand elle découvre horrifiée les actes de Kate.

Je m’en veux de ce soulagement éprouvé, qu’elle ait enfin ouvert les yeux sur Kate.

Mais son emprise sur Mademoiselle est trop grande. Il est trop tard.

Kate est si perverse que je l’ai trouvée à peindre, sourire aux lèvres, les scènes macabres dont elle était elle-même l’auteure. Si quelqu’un trouve ces toiles, c’est Mademoiselle que l’on accusera…

Je repense à Mademoiselle, jeune fille curieuse, apprenant vite ses leçons sur le monde et les sciences, ne supportant pas la vue du moindre animal blessé… Comment Kate a pu s’immiscer dans sa vie?

En y réfléchissant, Kate est apparue peu de temps après que Mademoiselle ne soit rentrée d’une de ses promenades, déclarant avoir entrevu un animal inconnu dont elle jurait l’avoir distingué lui sourire… Le rapport m’échappait jusque-là mais avec les évènements récents frappant notre ville, qui sait ?

Pourquoi ne me suis-je pas débarrassé de Kate ? J’ai voulu, je le confesse. Dès la “soupe de doigts”. Je me suis emparé d’un couteau, mais Kate m’a vu, et s’est mise a rire. Démente. Cela m’a tétanisé. Quand j’ai repris mes esprits, Kate n’était plus là. Réveillée par les hurlements, Mademoiselle découvrait l’horreur.

Depuis, j’ai trop peur d’elle.

Je présente mes excuses pour la nouvelle pensée indigne causant ce nouveau soulagement en moi.. Ces histoires de disparitions et de morts bruissant en ville, me font espérer le salut pour Mademoiselle. Plus de choses étranges entoureraient les crimes de Kate, moins on soupçonnerait Mademoiselle… D’ailleurs, nous ne voyons plus ce fichu journaliste.

Mais de là à voir les cadavres marcher…

Cela fait plusieurs jours que Mademoiselle n’est pas sortie de sa chambre, et presqu’autant que moi-même je n’ai pas quitté la mienne… Kate rôde dans la demeure, j’entends son rire… Il y a eu des cris, des prières. Du sang a coulé sous ma porte, je ne sais quelle nouvelle victime gît devant… Parfois j’entends Kate gratter et murmurer mon nom à la porte, m’expliquant toutes les tortures qu’elle me réservait pour avoir voulu la séparer de Mademoiselle. Puis elle part. Courant et riant, revenant frapper violemment contre mes murs et ma porte à toute heure du jour et de la nuit. Elle m’empêche de dormir et joue avec mes nerfs comme elle se plaisait à le faire avec ses victimes… J’entends encore parfois Mademoiselle pleurer. Mais la peur a désormais muselé ma dévotion envers elle.

Par ma fenêtre contre laquelle viennent mourir chaque jour un peu plus d’oiseaux, je vois la désolation d’une ville plongée dans la fumée des incendies et la panique de ses habitants traqués par les ombres et les cadavres… Atrocité soulignée par le rire de Kate se délectant d’un spectacle qui me donne la nausée… Je la vois danser, nue, au milieu du jardin… Même les créatures semblent la craindre….

Je ne reverrai plus Mademoiselle…

Je l’ai compris en voyant cette silhouette étrange me souriant à travers les flammes tandis que Kate dansait… J’ai senti quelque chose se briser en moi… Que se soit par le mal en dehors ou à l’intérieur de ces murs, ma vie s’achèvera dans cette chambre…

Je me serai voilé la face jusqu’au bout, j’en ai conscience. Alors, il ne me reste qu’à essayer de retrouver dans le rire infernal de Kate, la joie enfantine de Mademoiselle Catherine.

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bbbbbbb ccccccccccccc
bbbbbbb ccccccccccccc
2 années il y a

Glaçant et génial!

Jytha
2 années il y a

Terrible ! J’adore 😛

DeJavel O.
2 années il y a

Wooo !! Bravo pour cette tranche d’horreur pure.
Ça commence tout doucement sur la vie de Mademoiselle et alors la tension s’installe de façon croissante. L’inquiétude, l’hésitation à intervenir, le point de bascule (les doigts dans la soupe) et la montée vers l’horreur toujours plus forte qui s’accélère et qui débouche sur la terreur ! Bravo !

(J’ai adoré la phrase sur les oiseaux qui viennent mourir sur la fenêtre !)

J’ai également savouré le fait que le moment du récit se déplace dans le temps. Le récit est au présent, mais ce présent se déplace pour aller de la vie heureuse de Mademoiselle jusqu’à sa fin (dans le chaudron ?) … cette silhouette étrange me souriant à travers les flammes ! Oh ! L’envoûtement. Oh ! L’horreur !

Le thème semble être qu’il faut adresser un problème avant qu’il ne devienne hors contrôle ! Un excellent texte !

Sergent La Pinaille au rapport :
– « dont elle jurait l’avoir "distingué" lui sourire… » …pas certain de cette phrase « d’avoir vu lui sourire ?»
– « Git » est le verbe gésir (Je l’ai découvert grâce à toi. Il s’écrit « Gît »
– Quelques infinitifs à convertir au participe passé.

La bonne nouvelle c’est que je ne reviendrai pas te hanter si tu ne corriges pas ces p’tits trucs. Kate et moi c’est de l’histoire ancienne.

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