Dernière œuvre

4 mins

Me voilà…

Seul vivant parmi tous ces cadavres. Les mains couvertes de leur sang, toutes ces vies que j’ai prises…

J’ai ouvert la boite de Pandore mais n’y ai trouvé que le désespoir au fond. Mes pairs ne me pardonneront jamais s’ils apprennent que leurs amis, leurs parents, leurs amours, et leurs enfants meurent tous par ma faute…

Les flammes lèchent à présent la façade de mon atelier. Consumant et lavant mes ignobles péchés, et réduisant en cendres mes crimes et ma volonté.

Je reconnais humblement que la quête d’immortalité, que je voulais faire mienne, n’a fait que précipiter la mort de mon humanité…

J’ai commis dans cette pièce et dans cette demeure les pires atrocités… Le tueur de la ville n’est qu’une menace bien dérisoire à côté de moi. Mais il m’offre une opportunité de me débarrasser des cadavres les plus travaillés. D’ailleurs il se peut, et j’y pense souvent, que ce tueur ne soit qu’une victime collatérale de mes activités ici. Un monstre de plus que j’ai lâché dans cette ville…

La fortune de ma famille m’a servi à me procurer des “vies”. Je préfère les appeler ainsi pour mettre plus de distance entre eux et moi, même s’ils n’étaient que des déchets de la société dont la disparition ne causait de peine à personne. Les invisibles de la ville et d’au-delà de ses murailles. C’était nécessaire vu les expériences que je comptais faire.

Bien sûr, quelque part dans mon cerveau trônait l’excuse qu’ils auraient contribué à la découverte de la vie éternelle que j’étais persuadé de faire. Mais au final, je n’ai été qu’un sculpteur macabre façonnant ces pauvres gens au gré de mes désirs et de mes idées d’exploration…

Je les ai découpés, éviscérés…

J’ai disséqué leurs organes les uns après les autres. J’ai tenté de nombreuses fois de les garder en vie pour pouvoir admirer le fonctionnement interne de leurs corps, tentant de comprendre là où se situait le seuil entre vie et mort.

Je dois confesser qu’après de nombreuses victimes, je ne puis dire le nombre exact, l’aspect scientifique originel de mes recherches a cédé sa place à un attrait artistique.

Peut être la folie m’avait-elle envahi.

Tous ces corps dépecés, encore en vie, offrant à mon regard leurs entrailles accrochées à leur existence… Alors que l’esprit, lui, ne demandait qu’à être libéré de ce carcan de chair traumatisant leur âme dans la douleur. Ces créations m’apparaissaient alors de toute beauté…

Mes expériences perduraient dès lors dans l’embellissement grotesque de leurs corps. Je ne me contentais plus de découper : je greffais, cousant, prélevant… J’en faisais des œuvres d’art à part entière.

Les corps n’étaient plus que des matières premières qu’il me fallait toujours plus nombreuses pour créer de nouveaux pantins de chair et de souffrance. Ma demeure devint petit à petit un véritable musée à cette gloire. Mes galeries se parant non plus des seuls corps des oubliés des villes, mais aussi des corps qui attiraient mon regard… Je ne me contentais plus des parias. Je voulais toujours plus, je voulais voir  la vraie face de tous ces gens s’ornant de parures pour masquer leur laideur. Je voulais les mettre à nu, littéralement.

Si seulement toutes ces vies avaient su, lorsque je caressais leurs peaux, que je prenais bien plus de plaisir à imaginer ce cœur, que je tiendrais bientôt dans mes mains, battre juste derrière… Que des frissons d’excitation et d’impatience me parcouraient en me demandant quelle serait leur limite.

Moi, je n’en avais plus aucune.

Et puis un jour…

Alors que je portais à ma cave, me servant d’entrepôt, les chutes d’un corps qui ne me servait plus, je l’ai vue. Dressée parmi les morceaux de cadavres, plus sombre que la nuit, un sourire étincelant.

A aucun moment je ne l’ai prise pour une menace, ou un chatiment à mes crimes… Ma folie était peut-être critique mais j’ai pensé que cette chose m’était reconnaissante.

Moi, je n’avais qu’une envie, l’avoir sous mes lames. Malheureusement, je n’ai jamais réussi à l’approcher. Elle m’attendait simplement, trônant parmi les déchets de mes œuvres…

Et puis, un jour, elle a disparu.

Les évènements se sont enchainés par la suite, alors que je continuais mon art. Les meurtres en série d’abord. Là encore, comme je l’ai dit plus tôt, cela m’a donné l’occasion de me défaire de tous ces restes pourrissant dans ma cave. J’ai pris ça pour un cadeau de la créature. Les disparitions inexpliquées, me permettant plus encore de porter mon dévolu sur les corps, hommes et femmes, dont je voulais agrémenter mon musée… Cette période fut la plus prolifique de mon œuvre…

Mais elle toucha malheureusement, à sa fin avec l’éveil des morts. Ces cadavres n’avaient aucun intérêt et leur faim insatiable détruisait mes matières premières…

Quel gâchis, quelle tristesse !

Je suis peut-être trop arrogant pour penser que je suis à l’origine de tout ça… Ou l’infime parcelle de conscience humaine qu’il me reste, me pousse peut-être à me tenir pour responsable de tout en punition… Mais je revois régulièrement cette créature et son sourire dans ma cave. Peut-être ai-je aussi réellement ouvert une porte sur un monde qui, à défaut d’immortalité, a inondé le nôtre des plus atroces fléaux…

Le feu n’épargne rien. Tout disparaîtra. Mes créations seront bientôt libérées de leurs prisons de chair dans lesquelles je les ai enfermées.

Et pourtant, alors que je regarde la ville s’embraser avec l’œil de l’artiste devant tant de nuances et de beauté, une pensée me fait sourire. Je ne peux m’empêcher d’imaginer toutes ces villes à découvrir, et toutes ces œuvres qu’il me reste à travailler.

A faire découvrir au monde….

Puisque l’immortalité m’est interdite, peut-être obtiendrai-je l’éternité ainsi. Peut-être est-ce là le but de mon existence… Mais toi, créature souriante, me suivras-tu avec ton cortège infâme?

Et répondrai-je un jour à cette question qui me hante : lequel de nous, est la création de l’autre?

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3 Commentaires
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Jytha
2 années il y a

Toujours aussi noir et aussi fou … J’adore

Pipou Luigi
2 années il y a

Un récit macabre d’une grande fluidité !

DeJavel O.
2 années il y a

Quelle finale magnifique ! …éternité au lieu d’immortalité ! La créature… est-ce que nous la reconnaissons ? Le devons-nous ?

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