Bien des générations plus tard, l’attractivité de la ville s’était grandement érodée. Aucune famille ne s’y était installée depuis plusieurs années, et la communauté s’était refermée autour des dynasties originelles fermement enracinées dans le sol.
De la vaste forêt initiale, il ne restait plus qu’un bandeau vert coincé entre la ville et les falaises. Ces dernières n’offraient plus aucun filon depuis longtemps, mais contribuaient à mortalité ambiante, les prospecteurs prenant toujours plus de risques dans leurs vaines recherches.
Ces nombreux accidents mortels faisaient partis de l’histoire de Lioster. Depuis le premier ouvrier s’étant brisé le crâne sur une pierre après avoir trébuché sur une racine, jusqu’à cette épidémie ayant débuté deux ans plus tôt.
Une épidémie de meurtres. Sordides.
Assis derrière son bureau de maire, Roland Odejeanne observait la photo d’une jeune fille blonde, souriante. On frappa à la porte et une vieille femme entra :
– Monsieur ? … Roland ? insista-t-elle après un trop long silence.
– Liliane ? sursauta-t-il en reposant le cadre sur son bureau. Oui, pardon. J’étais perdu dans mes pensées. Que puis-je pour toi ?
– Deux messieurs demandent à vous voir. Je leur ai dit de revenir demain, mais ils insistent.
– Fais-les entrer.
– Très bien.
Elle s’éclipsa, tandis que que le maire d’une soixantaine d’année se leva et réajusta sa tenue pour faire plus officiel. Portant son regard vers la fenêtre, il remarqua que la nuit était tombée depuis peu. Il n’avait pas vu le temps passer.
Liliane réapparut, conviant les deux hommes à entrer avant de se retirer en refermant la porte, lançant un regard inquiet au maire.
– Messieurs, je suis le maire Roland Odejeanne, se présenta-t-il en avançant vers eux et tendant sa main à qui voudrait la saisir. Que puis-je pour vous en cette heure tardive ?
Le premier à lui serrer la main fut un petit homme roux d’une trentaine d’année, au visage constellé de tâches de rousseur et à la moustache fournie. Le plus remarquable chez lui était un foulard noué à son cou. L’automne venait de débuter mais la chaleur estivale était encore présente, surtout ces derniers jours.
Toutefois, c’est surtout l’autre homme, observant les lieux, qui attirait l’attention du maire. Il resta cependant concentré sur le jeune homme roux lui répondant :
– Nous sommes désolés pour cette visite impromptue. Je me nomme Alphonse. Alphonse Azar. Et voici…
Il porta son regard vers son compagnon, qui termina la phrase en se tourna vers le maire :
– Nathyon.
– Nation ? répéta Roland en fronçant les sourcils. Ses yeux s’écarquillèrent soudain. Na…Nathyon ? rectifia-t-il intérieurement.
Son poing se resserra imperceptiblement. Tout, mais pas ça. Pas maintenant, s’alarma-t-il in petto.
L’homme marcha lentement vers le maire. Si le foulard d’Alphonse pouvait paraître incongru, alors le style vestimentaire de Nathyon était une véritable aberration. Vêtu d’un long manteau noir, boutonné jusqu’au col. Ce dernier relevé et tellement grand que les rebords effleuraient ceux d’un chapeau haut de forme. Le visage était ainsi plongé dans une pénombre brisée de temps à autres par les mouvements de l’homme, sans pour autant permettre d’en discerner les traits du visage.
Il prenait appui sur une grande canne en bois brun ciré, sculptée en forme de femme nue lui arrivant à la taille. Les longues jambes prenaient appui au sol, alors que sa tête se logeait à la perfection dans la paume de la main. Une longue chevelure ondulée courait dans son dos en délimitant ses courbes gracieuses et dissimulant le bas de son dos. Elle masquait sa poitrine par ses bras repliés, cachant son visage dans ses mains.
Roland était fasciné par cette canne, oubliant tout le reste. Par moment il lui semblait que la petite dame de bois écartait ses doigts pour laisser apercevoir son regard…
Nathyon frappa un coup sur le sol et l’illusion se dissipa, sortant le maire de sa torpeur.
– Nous n’allons pas prendre plus de votre temps, s’exprima-t-il d’une voix ne semblant même pas venir de lui. Nous allons nous charger de votre problème. Nous comptons sur votre coopération.
– Je… oui…, acquiesça Roland toujours comme enivré.
– Bien, nous vous souhaitons donc la meilleur soirée possible.
Le duo s’éclipsa. Seul Alphonse salua le maire d’un air gêné par l’attitude de son collègue.
Ce n’est que lorsqu’ils furent sortis du bâtiment, que Roland reprit pleinement ses esprits. Il les suivit du regard dans la rue. Nathyon… Il pensait que ce n’était qu’une légende. Son poste lui permettait d’avoir accès à certaines informations tenues secrètes du grand public. Cet homme en faisait partie. Selon la rumeur, il apparaissait quand des cas étranges laissaient les autorités habituelles sans moyen. Les affaires se réglaient alors rapidement. Ou plutôt, cessaient d’être des affaires, tout simplement. Les événements s’arrêtaient d’eux-mêmes, subitement. Et Nathyon disparaissait.
Roland n’avait vraiment pas besoin d’ajouter une nouvelle couche de mystère dans sa vie. Il se dirigea vers le bureau, reprit le cadre photo, caressa le visage de la jeune fille blonde du bout de l’index, et soupira :
– Véronica… Qu’avons-nous fait ?
Dans la rue, le duo s’arrêta. Alphonse balaya du regard la longue avenue déserte :
– Pour une telle ville, je pensais que les soirées seraient plus animées. Mais il n’y a pas âme qui vive ici.
– En effet, répondit Nathyon, semblant fixer un point précis dans le vide. Pas âme ” qui vive “, accentua-t-il.
Alphonse trembla.
( à suivre… )
J adore tout ce mystère !
Hmm le mystère s’agrandit, j’adore.
Alphonse Azar et Nation ? Nathyon… voilà !
Nous suivrons donc ces deux étranges redresseurs de tords !
De même que le périple de Roland OdeJeanne ! Comment ai-je pu la manquer celle-là ! Hé hé