Vindicta : Chapitre III

3 mins

Derrière son bureau, Roland consultait encore divers dossiers courants malgré la nuit tombée. Conflits de voisinage de plus en plus habituels, projets au point mort… Rien de bien motivant. Il reposa le tout en une pile, faisant vaciller la flamme d’une bougie à proximité. Il soupira profondément. Le sommeil serait encore difficile à trouver.

Un bruit attira soudain son attention en direction de la porte. Plissant ses yeux fatigués par la lecture, il discerna, avec incrédulité, l’étrange canne de son non moins étrange visiteur du soir. Sur le point de se lever, un nouveau bruit focalisa sa concentration sur elle. Il se pensa finalement bien fatigué. Aucune chance que le bout de bois n’ait bougé, juste sous ses yeux.

Et pourtant.

Les longues jambes de la petite dame de bois se scindèrent lentement, l’une d’elles se replia et fit un pas en avant. La canne ne reposait désormais plus sur rien d’autre que ses pieds nus. Avançant toujours vers le maire médusé et fasciné, elle écarta les mains de son visage sculpté et s’étira longuement, se cambrant en mettant sa poitrine hâlée en valeur.

Les mouvements initiaux, saccadés, semblables à ceux d’un pantin articulé, manipulé par une main invisible, devinrent petit-à-petit plus fluides. La dame brune entama une danse sensuelle face au maire subjugué, oubliant toute peur ou méfiance. Seule la chevelure, restant fixe dans son dos, rappelait qu’elle n’était qu’un morceau de bois travaillé. Même si, en y regardant bien, on pouvait peut-être y voir quelques ondulations dans les stries la parcourant…

Elle dansa un moment, s’accaparant la pièce face à son spectateur, frottant tant ses pieds sur le parquet qu’une légère trace sombre finit par accompagner ses pas. Avec une habileté incroyable, elle dessina une rose charbonneuse au sol et termina par une pirouette magistrale en son centre, conclue par une grande révérence adressée au maire. Puis elle recula doucement, ses mouvements retrouvant lentement leur rigidité. Elle ramena ses mains sur son visage, et redevint une simple canne inanimée, alors que sa tête se logeait dans la main de son maître.

Roland sursauta :

– Que…

– Tu te laisses facilement charmer par des chimères vieil homme, déclara Nathyon.

– Comment êtes-vous entré ? Que voulez-vous encore ? rétorqua Roland, retrouvant ses esprits, et avec, sa colère.

– Des réponses, répondit-il tout en avançant lentement, faisant claquer la dame à chacun de ses pas. Que cache cette ville ? Quels secrets ? Quels crimes ?

– Je n’ai rien à vous dire !

– Tu parleras vieil homme… Il finissent tous par le faire.

L’homme était désormais de l’autre côté du bureau. Toujours très calme, il se saisit d’un bougeoir, et l’approcha lentement de son propre visage, toujours plongé dans l’obscurité de son col.

– Si ce n’est à moi, cela sera à eux…

La petite flamme vacillante dissipa les ténèbres et manqua de stopper net le cœur du maire : il n’y a avait pas de visage. Ou plutôt, il y en avait des dizaines, peut être même des centaines voire plus encore. Ils allaient et venaient tels des reflets passant à la surface d’un miroir déformant, se plaignant, hurlant sans un bruit. Ombres dolentes piégées à jamais. Tout un groupe, un clan…

Une nation.

Roland se réveilla subitement, le souffle court, hagard, balayant la pièce silencieuse d’un regard apeuré.

Personne.

Un cauchemar… Juste un cauchemar…

Après un instant pour retrouver son souffle et s’assurer qu’aucune rose n’était tracée sur son parquet, il ouvrit un tiroir, et en sortit un cadre photo. Sur celle-ci, quatre hommes posaient devant un grand manoir de bois gagné par le lierre. L’un d’eux étaient Roland, plus jeune. Et l’un des trois autres hommes tenait fièrement un enfant dans ses bras, un enfant au visage fermé, qui éclipsait les quatre adultes par ses yeux vairons.

La photo toujours en main, il se dirigea vers la fenêtre, et son regard se porta au centre de la cité, vers un bâtiment de bois semblant à l’abandon, entouré d’une haute muraille. Il regarda de nouveau la photo, et songea une fois de plus à son cauchemar si réel.

Il le savait. Le temps devait reprendre son cours. Les crimes récents l’avaient remis en marche. Il passa ses yeux d’un visage adulte à l’autre en énumérant :

– Père Ezechiel Alyde, Docteur Reinhart Norgue, moi bien sûr, le maire Roland Odejeanne…, prononça-t-il avec une pointe de colère narquoise avant de marquer une pause, et de finir sur l’homme tenant l’enfant, terminant la liste de noms, peut-être avec le plus de haine, mais en la contenant. Et, toi , bien sûr… Dantes de Katre.

Il regarda ensuite l’enfant :

– Vincent… 

Machinalement il reporta son regard vers son bureau, et plus exactement, vers le cadre de la jeune fille blonde y trônant.

Il se laissa ensuite tomber contre le mur. Songeur. Quatre familles maudites, entraînant une jeune fille, qu’il considérait comme la sienne, et un jeune garçon dans une folie ancestrale. 

Mais la question qui le hantait depuis des années revint le frapper :

La rencontre de ces deux enfants était-elle vraiment due au hasard ?

( à suivre… )

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3 Commentaires
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Annick Smits
1 année il y a

Très angoissant comme toujours … vite la suite.

O. DeJavel
1 année il y a

Si le Vindicta II nous avait laissé sur la question « Veronica, qu’avons-nous fait ? », le III nous laisse sur cette énigme « Quatre familles maudites, entraînant une jeune fille, qu’il considérait comme la sienne, et un jeune garçon dans une folie ancestrale. »

Et la question qui hante OdeJeanne :

« La rencontre de ces deux enfants était-elle due au hasard ? »

Nous entrons dans un univers étrange, coloré, avec des images qui vont chercher nos cauchemars de la petite enfance, comme cette canne qui danse et ces visages qui se bousculent. Je crois que nous avons là un bel échantillon des émotions que nous vivrons dans ce récit. Il y a une symbolique qui s’organise, un voile qui se lève sur des tensions "ancestrales".

Je réclame mon Vindicta IV !

Haldur d'Hystrial
1 année il y a

J’aime beaucoup Antho ! Merci

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