Vindicta : Chapitre IX

5 mins

Nathyon n’étant toujours pas revenu, Alphonse décida de descendre à la taverne pour déjeuner seul. Les autres clients cessèrent leurs discussions un temps en l’apercevant, ce qui le mit mal à l’aise, puis ils reprirent le fil de leurs propos sans lui prêter plus d’attention. Attendant son plat du jour, certainement une énième variation d’un gibier ou d’un autre, il réfléchit aux récents événements.

Tout à ses pensées, il ne fut ramené à la réalité que par le raclement au sol de la chaise tirée devant lui. Il leva les yeux, persuadé de voir Nathyon s’installer, et entama sa phrase :

— Vous avez trouvez une… Que ?

Ce n’était pas Nathyon qui s’asseyait face à lui, mais un véritable colosse tout de noir vêtu, à l’exception d’une bande blanche cerclant son cou.

L’homme lui sourit largement, trop largement. Il était impossible qu’on puisse sourire ainsi. Ce n’était pas un sourire. Des cicatrices. Deux longues cicatrices tracées depuis la commissure de ses lèvres et remontant presque jusqu’aux oreilles.

Une torture connue. Mais tellement incongrue chez un prêtre.

L’homme de foi y ajouta son propre sourire, discret, en se présentant :

— Bonjour mon fils, je suis le père Alyde. Navré de vous déranger durant votre repas. Me permettez-vous de me joindre à vous ?

— Euh… Oui, bien sûr, oui…, répondit Alphonse pris au dépourvu. Le fait d’être appelé aussi chaleureusement “fils” par ce géant brun visiblement plus jeune que lui n’était pas non plus étranger à sa perte de repère. Et que dire de son regard gris perçant. Alphonse se sentait prêt à confesser toutes les fautes du monde s’il le lui demandait à cet instant.

— J’ai cru comprendre, ajouta l’homme après un signe au tavernier, que vous et votre collègue souhaitiez nous venir en aide, n’est-ce pas ?

— Oui… oui, s’il… Si nous le pouvons.

La voix d’Alphonse chevrotante retrouvait petit à petit sa contenance.

— Je vous fais confiance. Il m’incombe donc de vous apporter mon aide dans cette épreuve.

— Il serait peut-être préférable que vous attendiez que mon… collègue… revienne avant de…

L’homme leva la main pour faire taire Alphonse, et sourit :

— Je ne pense pas que lui et moi nous entendions très bien… Mais vous lui ferez un rapport rigoureux, j’en suis certain.

Il enchaîna sans laisser le temps à Alphonse de réagir :

— Vous devez savoir que cette ville a toujours eu de fortes croyances. À l’origine, mon lointain prédécesseur, avait bâti un courant religieux propre à cette ville. Il l’avait fait pour répondre aux inquiétudes grandissantes de la population face aux accidents mortels. Des rumeurs sur une prétendue colère de la forêt face à l’installation massive de colons, gagnaient en puissance chez les plus superstitieux. Alyde y a senti un bon filon. Aujourd’hui, nous appellerions ce mouvement une secte. Rien de plus.

Au fil du temps cependant, une religion plus traditionnelle en a découlé, bien qu’elle n’est rien en commun avec celle que je prêche aujourd’hui. Mais elle reste encore tapie dans un coin de l’esprit de beaucoup. Les événements récents la font ressurgir.

Cette religion faisait état d’une divinité sylvestre résidant dans les bois. Cette dernière accorderait ses bienfaits en échange de notre dévotion. Pour certains, l’épuisement des mines est un signe qu’elle ne se sent plus assez vénérée. Si vous saviez combien de personnes je vois défiler, me demandant de remettre dans mes sermons cette doctrine dont ils ne savent pourtant rien.

Je vais vous dire. Pour moi, une divinité qui attend la dévotion de ses fidèles pour être généreuse avec eux, ne peut pas être foncièrement bonne.

Il stoppa son discours le temps de remercier le tavernier venant apporter les plats. Alphonse en profita pour poser une question :

— Vous ne semblez pas avoir beaucoup de respect pour votre ancêtre… Sous-entendre qu’il n’était qu’un simple gourou…

— Ce n’est pas mon ancêtre. La lignée des prêtres de cette ville est un peu particulière. Nous n’avons pas d’enfants. Le “père Alyde” en fonction, se doit de trouver un successeur parmi les orphelins extérieurs à la ville. C’est comme cela que perdure ce pilier.

— Ce pilier ? 

— La ville repose sur quatre familles, piliers ancestraux. Les Alydes, les Odejeanne, les Norgue, et les De Katre. Si vous cherchez vraiment à savoir ce qui se passe ici, il vous faudra découvrir ce que nous cachons. Mais les piliers sont solides, nous abattre sera difficile.

— Vous venez pourtant de me parler de vous-même.

— C’est mon rôle d’aider les brebis égarées, mon fils. Et vous me semblez bien perdu, monsieur ?

— Azar, Alphonse Azar.

— Azar… Quelle ironie… Le hasard n’a que peu de pouvoir en ce monde. C’est un mot inventé par ceux qui refusent de croire qu’ils ne sont pas maîtres de leur vie.

— Vous… vous étiez donc un orphelin ? tenta Alphonse pour changer la discussion qui le mettait mal à l’aise.

— Je le suis toujours, répondit-il sèchement, avant de revenir à un ton plus doux. Pardon. C’est un sujet qui demeure sensible. Je suis reconnaissant à mon père adoptif de m’avoir pris sous son aile. Un enfant avec ma tête, n’avait pas vraiment de succès auprès des familles adoptantes… Je vois à votre expression que vous avez envie de connaître mon histoire, mais que vous n’osez pas demander. La frontière entre l’intérêt sincère et la curiosité malsaine est fine, mais je sens bien que vous appartenez à la première catégorie. Peut-être avez-vous, vous aussi, connu un drame personnel…

Je n’étais qu’un enfant de cinq ans, vivant dans une ferme avec mes parents et ma sœur ainée, lorsque nous avons été attaqués par une bande sanguinaire connue et redoutée… Ils ont tué mon père en premier. Et l’un d’eux a jugé que je ne souriais pas assez face à ce qu’ils faisaient subir à ma mère et ma sœur. Elles sont mortes bien avant qu’ils en aient fini avec elles. Il a dû utiliser un couteau je pense, même si j’ai encore l’impression de doigts dans la bouche… Je ne me souviens plus de leurs visages, seulement de leurs regards emplis de haine et de cruauté. Il n’y avait rien d’humain. Je ne sais pas comment j’ai pu survivre.

Le lendemain, un voisin m’a retrouvé dans son champ. 

— Je suis désolé.

— Merci. Je suis la preuve vivante de la noirceur du monde. Si je peux apaiser les peurs des gens par de simples mots, je le ferai. Que j’y croie ou non.

Un long silence s’installa. Alphonse hésita un instant à confier sa tentative de suicide, mais il n’en fit rien. Le prêtre reprit la parole, comme lisant ses pensées :

— Nous avons tous notre propre temps pour nous livrer à autrui. Nous ne nous sommes peut-être pas rencontrés par hasard… S’ils ne nous avaient pas attaqués, si j’étais mort, si mon voisin m’avait confié à un autre orphelinat, si mon père adoptif avait choisi un autre enfant, si vous n’étiez pas venu ici déjeuner, peut-être que cette discussion n’aurait jamais eu lieu… Cela fait beaucoup de “hasard”, vous ne trouvez pas ?

Alphonse sourit, même s’il n’était pas encore prêt à accepter l’idée que sa vie soit déjà écrite, ou en tout cas soumise à une autre volonté… Quoique… N’était-ce pas ce que qu’il vivait justement ?

Le prêtre se leva sans avoir vraiment touché à son assiette :

— Je vais vous laisser terminer votre repas en paix, monsieur Azar. Vous me trouverez à l’église au nord de la ville si besoin.

— Vous ne voulez vraiment pas attendre mon… collègue ? demanda Alphonse n’arrivant toujours pas à se faire à ce terme, et prenant sa fourchette pour la première fois.

— Je ne pourrais rien dire de plus.

Il fit quelques pas en s’éloignant, et ajouta :

— Je me souviens d’autre chose de cette tragique nuit…  Je revois une noirceur plus sombre que l’ombre elle-même… Je la vois engloutir ces barbares. D’ailleurs, on n’a plus jamais entendu parler d’eux après cette nuit. Je les entends pleurer et hurler. Et je la revois elle. Reflétant les flammes de la cheminée sur sa surface ambrée, tandis qu’elle dansait en me souriant… Probablement les souvenirs corrompus d’un enfant traumatisé…

Le prêtre reprit sa marche, Alphonse lâcha sa fourchette.

( à suivre…)

 

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Jytha
2 années il y a

Ah oui … sympathique aussi lui dis donc pour un prêtre XD
J’adore 🙂

DeJavel O.
2 années il y a

Le mystère dans cette ville est comme un brouillard… voilà que les Alydes s’en mêlent. Pfftt… je me demande bien qui était cette créature qui a avalé les gredins qui ont fait du bon père un orphelin…

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