Vindicta : Chapitre X

5 mins

De retour à son cabinet, Krystal donna des instructions à son assistant. L’homme d’une vingtaine d’années son aîné, maugréa comme à son habitude, mais s’exécuta quand même. Elle ne s’en formalisa pas. Il travaillait déjà avec son père et comptait reprendre la patientèle à sa suite. Il la voyait comme une usurpatrice, mise en place par la seule volonté de Roland. Elle-même était d’avis que son père aurait préféré le plus mauvais de ses assistants, ayant une piètre connaissance en médecine, plutôt qu’elle. 

Même si elle n’avait pas prévu de revenir, c’était une forme de revanche pour elle.

Son père aurait souhaité un garçon. Tout le monde le savait, et si elle-même ne le comprenait pas, il se faisait un devoir de le lui faire bien entrer dans la tête. Il n’avait jamais levé la main sur elle, mais ne la considérait tout simplement pas. Cet état de fait connu deux aggravations : la première, qu’elle n’avait jamais comprise, provoqua également une rivalité accrue avec la famille De Katre. Il parlait souvent de Vincent, pour le comparer à elle, et elle ne remportait jamais la confrontation.

La deuxième, fut la naissance de son petit-frère. Son demi-frère. Dès lors, le père n’eut quasiment plus aucun regard, ni même parole pour sa fille…

Jusqu’à son adolescence.

Après quoi, il se mit en tête qu’elle devait épouser Vincent. Il parlait de cette union comme la seule solution à un problème qu’il n’exposait jamais. Chaque fois qu’elle émettait un avis contraire, il se contentait de lui jeter un regard qui se décryptait aisément dans son esprit :

“Tu ne me sers déjà à rien, je t’interdis de vouloir en plus contrecarrer mon plan”

Alors, elle avait commencé à s’intéresser à Vincent. Non pas dans le but de le séduire, mais pour essayer de comprendre pourquoi son père voulait l’unir à lui avec tant de hargne. Très vite, elle comprit que sa volonté ne serait pas le seul obstacle dans l’ambition de son père.

Véronica.

La jeune fille était toujours avec lui, et c’était à peu près la seule personne avec qui il parlait. Elle ne voyait absolument pas ce qu’elle pouvait avoir de spécial, hormis un aplomb indéniable, comme cette fois avec Georgie…

Pourtant, même si elle ne pensa jamais avoir éprouvé des sentiments pour Vincent, elle ressentit une forme de jalousie envers Véronica. Peut-être à cause de sa relation avec son père, qui mettait en lumière le désastre de la sienne.

Si elle voulait que cette relation s’améliore, elle devait se rapprocher de Vincent, Mais Véronica serait sur son chemin.

Même le maire, n’avait que son nom à bouche !

Un soir de fête dans la ville, elle profita qu’elle soit séparée de Vincent, peu adepte de ces manifestations, pour l’aborder. Elles discutèrent en s’éloignant pour atténuer le bruit, et finirent comme elle l’avait prévu, devant la vieille demeure de Lioster:

— Au fait, dit soudain Krystal. Tu as déjà passé le test ?

— Le test ?

— Oui. Tous les enfants sont censés s’introduire chez le fondateur pour récupérer un objet.

— Je croyais qu’on ne pouvait pas y entrer ?

— Regarde !

Krystal dégagea les hautes herbes d’un pan du mur et révéla un trou grossièrement masqué. Il n’était pas bien large, mais un enfant, ou des adolescents menus, pouvaient s’y faufiler.

— T’entres par ici, y a une fenêtre cassée, tu récupères un truc, et tu reviens… Facile.

La vérité était tout autre. En fait, le trou avait été découvert par un autre enfant quelques années avant. Il était entré, avait fait le tour du jardin, et aussitôt ressorti, victorieux et vantard. Plus tard, Georgie l’avait imité, poussant le courage, ou la bêtise, jusqu’à briser une vitre, et à en ramener un bout comme preuve. Krystal n’y avait jamais mis les pieds, mais la demeure étant interdite d’accès pour tous, celle-ci n’avait jamais dû être réparée…

— Je ne sais pas… C’est…, répondit Véronica hésitante.

— T’as peur ? défia Krystal. Tu sais quoi ? Je viens avec toi. Je t’attends à la fenêtre, mais du coup, faudra que t’ailles plus loin à l’intérieur… Tu seras la nouvelle légende.

Véronica avait fini par céder. Sa nature curieuse l’avait emporté sur les consignes rabâchées par son père et le maire.

Les deux adolescentes se faufilèrent donc par le trou, se relevèrent dans un jardin laissé à l’abandon, où les herbes jaunies ou vertes mêlées aux ronces arrivaient à leurs tailles. Elles s’approchèrent rapidement de la demeure sombre, trouvèrent la fenêtre encore brisée, et jetèrent un œil à l’intérieur.

Un couloir sombre, couvert de feuilles s’allongeait sous leurs yeux, s’ouvrant au loin sur une sorte de salon, et dévoilant les premières marches d’un escalier vers l’étage. Le lierre lézardait sur les murs. La végétation dévorait la demeure non entretenue.

— Vas-y…, intima Krystal, d’un ton peu assuré.

Véronica hésita, mais enjamba le rebord et atterrit de l’autre côté, en faisant craquer le vieux plancher. Elle fit quelques pas, et se retourna :

— Tu restes ici ?

— T’inquiète. Je bouge pas.

Elle la regarda s’éloigner, et plus d’une fois elle eut envie de lui dire de revenir, que tout ça n’était qu’une blague, très mauvaise. Mais elle ne fit rien. Un bruit dans l’herbe lui fit tourner la tête, elle vit un chat roux passer, tenant fièrement dans sa gueule un mulot gesticulant en vain.

Elle frissonna.

Quand elle reporta son attention dans le couloir, Véronica n’était plus visible. La demeure était silencieuse, hormis les sinistres craquements du bois travaillant.

— Véro ? tenta-t-elle.

Aucune réponse. Elle répéta plus fort, toujours rien.

La culpabilité et la honte l’envahit en un coup. Sans réfléchir, elle pénétra à son tour dans la maison, appelant l’autre jeune fille en murmurant, comme craignant que quelqu’un l’entende. Elle avança jusqu’au salon, et réalisa que l’escalier qu’elle avait aperçu depuis l’extérieur, menait également au sous-sol… Véronica n’étant visiblement pas dans les parages, elle avait forcément emprunté l’escalier dans un sens ou dans l’autre.

En haut ? En bas ? Elle l’appela une nouvelle fois et tendit l’oreille. Il lui sembla entendre quelque chose venant de l’étage, comme si on marchait, même si ça semblait traînant. Elle appela une nouvelle fois, plus fort, et le bruit cessa. 

Elle eut envie de fuir. Elle regarda la fenêtre par où elle était entrée et son cœur fit une pause presque fatale. Quelque chose obstruait l’ouverture, sa forme se détachait sous la pénombre extérieure. Cela disparut presqu’aussitôt.

Un éclair de lucidité la frappa, et soudain elle pensa que Véronica se jouait d’elle, retournant la peur qu’elle avait voulu lui infliger contre elle. Elle brava :

— C’est bon, Véro. Tu m’auras pas, reviens maintenant !

Mais toujours rien. Hormis une odeur de végétation fraîche. Comme de l’herbe juste coupée.

— OK, t’as gagné ! Je me casse !

Elle comptait le faire, mais elle réalisa soudain qu’elle devait passer par le couloir. Même si elle voulait se persuader que Véronica cherchait à la piéger, elle n’était pas sereine. Un nouveau craquement du bois la décida, et elle se précipita dehors. Elle respira comme si elle avait été en apnée durant un trop long moment, mais constata que Véronica n’était toujours pas là.

Que devait-elle faire ? Aller chercher quelqu’un ? Partir comme si de rien n’était ? Elle envisagea sérieusement cette option, tout en essayant de la chasser de son esprit.

— Krys ?

Elle sursauta en voyant la jeune fille se hisser par le rebord. Elle était sur le point de lui crier dessus d’une telle manière qu’on aurait pu la prendre pour une mère disputant son enfant imprudent, mais en voyant son visage blême, elle s’abstint. Pour elle non plus ça n’avait pas dû être une partie de plaisir à l’intérieur.

Sans un mot elle lui tendit un carnet, Krystal lui dit de le garder, que c’était son trophée. Elle était encore touchée par son expérience, mais elle sentait que la jeune fille l’était encore davantage. Elle devait tenir son rôle d’aînée. Elle la laissa passer par le trou la première, comme lui offrant l’avantage de quitter ce lieu en tête, mais elle sursauta quand elle la vit partir d’un coup, dans un cri.

— Véronica ! hurla-t-elle en se baissant à sa suite.

Elle fut attrapée à son tour par une main ferme et extirpée du trou sans ménagement. Les deux jeunes filles se retrouvèrent face à Roland, rouge de colère, mais il y avait également une peur indéniable dans les remontrances qu’il leur asséna de longues minutes avant de les ramener chez elles.

Véronica était restée silencieuse, comme absente, même pendant le sermon. Krystal lui prit la main, elle était glacée.

— Ça va ?

Le regard toujours dans le vide, elle répondit à voix basse pour ne pas être entendue par Roland marchant quelques pas devant elles :

— Je crois… Je crois que quelqu’un vit là-bas.

( à suivre… )

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2 Commentaires
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Annick Smits
1 année il y a

Hâte de savoir ce qui se cache là bas :p

O. DeJavel
1 année il y a

On saura qui vit dans cette maison un de ces Katre ! En attendant, je prends mon Gardenal…

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