L’éternité dure mille ans, le reste est éphémère.

4 mins

Enfin.

Finalement.

Une fois encore, le destin nous a réuni.

Elle est là.

Elle a changé. Ses cheveux sont plus courts que la dernière fois que je l’ai vue. Que mes doigts se sont glissés entre ses mèches brunes. Les miens sont plus longs. Mais c’est elle.

Elle me reconnait aussi, bien sûr. Comme toujours. Peut-être même m’a-t-elle reconnu la première. 

Autour de nous, le vacarme des convives n’a plus aucun sens. Nous sommes de nouveau dans la même pièce. Les autres n’ont plus d’importance.

Ce fut long.

Mille ans que nous attendions cet instant. La seule vraie éternité, pour nous qui ne connaissons pas la mort. La plus longue de toutes nos séparations.

C’est un jeu entre nous.

Nous passons un demi-siècle ensemble, puis, nous nous séparons. L’un de nous choisit une direction, l’autre doit partir dans le sens opposé. Durant cinquante autres années, nous avons interdiction de passer notre dernier point de rencontre. Nous ne cherchons pas non plus à entrer en contact avec l’autre. Après quoi, nous sommes libres d’agir à notre guise. Mais toujours sans nous chercher.

Et nous laissons le destin faire.

La dernière fois, les humains étaient en guerre. Encore une. Et par un hasard du sort, nous nous sommes retrouvés dans les camps opposés.

Elle jouait les guérisseuses. Je la soupçonne d’avoir abrégé la vie de nombreux blessés. Elle aime ça. Transformer la lueur d’espoir en terreur. Elle est plus joueuse que moi. À cette époque, la mort était courante. Les soins parfois pires que le mal. Elle pouvait agir en toute impunité.

Moi, je n’étais qu’un larbin. Tout juste bon aux yeux de ces grands guerriers à monter la garde la nuit.

Les humains sont si arrogants. Ils n’ont jamais su pour moi, ni pour elle. Nous faisons attention. Nous laissons les légendes dresser des portraits mêlant vrai et faux sur notre condition. Certaines périodes ont été plus compliquées. Ils nous voyaient partout. Beaucoup d’entre eux sont morts pour rien. Depuis quelques temps, ça tourne parfois au ridicule. Mais peu importe. C’est la fiction. Nous sommes réels.

Nous avons traversé les âges sombres et de lumière de l’humanité, y jouant un rôle plus ou moins important. Lors de nos retrouvailles, nous nous amusons à deviner à quels événements nous avons pu prendre part.

Mais nous n’avons qu’une hâte.

Aujourd’hui, ce soir, nous nous retrouvons donc pour célébrer un mariage. Vague connaissance des principaux concernés. Nos yeux ne se quittent plus. Les vivats ont cédé la place à des cris de terreur alors que nous avançons l’un vers l’autre. Ils nous gênent. J’avais de toute façon prévu de me nourrir du jeune couple. Elle aussi certainement, nous les partagerons après.

Mille ans que nous nous attendons !

Les noces s’empourprent. 

Sa robe de sang traîne au sol, elle piétine les cadavres sans me lâcher de son regard d’émeraude. Ses gestes sont fluides, imperceptibles pour leurs yeux affolés. Je la laisse faire, je sais qu’elle s’amuse.

Nous nous retrouvons au milieu de la piste. Le couple aurait dû ouvrir le bal, nous le ferons. Sans un mot, sans musique. Nos doigts se mêlent, nos corps se rapprochent…

Nous sommes enfin l’un avec l’autre.

La danse muette cesse dès que nos lèvres se trouvent. Les siennes sont déjà rougies. J’y goûte avec délice, j’éprouve les pointes émaillées, cherchant toutes les vies prises durant ce dernier millénaire.

Nous ne cherchons jamais à savoir si les amants et les maitresses se sont succédés durant nos séparations. La seule règle est de n’inviter personne à entrer dans la nuit. Cette existence sans fin n’appartient qu’à nous.

Déjà, nous voilà au sol, le sang ruisselle sous nous, les gémissements se taisent comme par pudeur. Seul le marié pleure dans son coin, dans les bras de sa femme hébétée. La mort les séparera plus tôt que prévu.

Les vêtements glissent, je ferme les yeux avant d’apercevoir ces courbes qui m’ont tant manquées. Il est trop tôt. Mon rituel sera plus compliqué que d’habitude. Tant d’années depuis la dernière fois que j’ai glissé mes doigts sur son corps.

Le jeu est simple. J’essaie d’en dessiner les contours, sans jamais le toucher, tout en restant le plus près possible de sa peau. Nos sens exacerbés me permettent de ressentir la moindre émanation de sa peau bien plus fraîche que la norme humaine.

Elle glisse brièvement sa main dans la mienne. Parfois c’est une autre partie de son corps. C’est mon point de départ. Je remonte son bras, caresse son épaule sans contact, contourne son cou, remonte sa gorge, dessine ses lèvres… Elle les entrouvre pour souffler doucement.

Je replonge le long de sa gorge, esquisse la courbe d’un sein, et là, le contact se fait.

Elle a triché. Elle a attendu que mon doigt soit à la cime pour faire entrer en contact la pointe dressée. Elle niera l’avoir fait volontairement. Peu importe.

L’union de nos corps se fait lentement. Ils se reconnaissent, s’éveillent au contact de l’autre. Se cherchent. Caresses et baisers se succèdent, les regards se soutiennent, se défient. Les peaux sont parcourues, les morsures menacent.

Notre propre sang ne nous est pas nourricier. Mais il est source de savoir. De toutes les vies prises jusqu’à ce jour. Elle se mord la lèvre inférieure, et la fait perler sur la cime d’un sein. Je viens la cueillir du bout des miennes, et m’y attarde. Avant de glisser vers son ventre, et le cœur de ses cuisses… Elle se raidit et soupire. Mon baiser se prolonge jusqu’à ce qu’elle m’attire sur elle, en elle.

Nos corps s’unissent. Je la possède, elle me détient. Sa bouche cherche le flanc de ma gorge, je lui offre. Le craquement de ma peau percée n’est rien comparé au plaisir de sentir ses jambes m’enserrer.

Notre union est lente, longue, forte de milliers d’années d’expérience, mais fiévreuse de la dernière trop longue séparation. À mon tour, je plonge mes lèvres dans son cou.

Nous nous donnons à l’autre, nous nous abreuvons de nous-même.

Ma libération stérile au plus profond de son ventre ne donnera jamais aucune vie. Peu importe. Notre passion n’en sera jamais entachée.

La nuit ne fait que commencer, la première des cinquante années à venir. Elles passeront trop vite. 

Après, l’éternité recommencera…

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3 Commentaires
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Smits Annick
2 années il y a

Waw … j’adore <3

DeJavel O.
2 années il y a

Intense ! …bien imaginé.

Un CLest comme on les aime !

Thibaut Séverine
Thibaut Séverine
2 années il y a

J’aime tout : le sujet, le traitement, le style, le titre… Bravo !

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