Le carnaval macabre défilait. Les zombis déambulaient bras dessus, bras dessous, aux côtés des loups-garous, vampires et autres créatures ténébreuses. Les squelettes gisaient pendus devant les portes, faisant claquer leurs os au gré du vent frais de cette fin de mois d’octobre.
Tout à la contemplation de cette funeste fanfare, ils ne prêtèrent pas attention à cette arrogante chose orange et souriante se dirigeant vers eux à toute vitesse.
La chose s’écrasa dans un bruit répugnant sur le pare-brise aussitôt maculé de sa chair de citrouille pourrie. Le choc et la perte de vision, força le conducteur surpris à faire un écart incontrôlé, puis un autre par réflexe pour éviter de justesse une étonnante petite fée sur son vélo à paillette. Plus loin, une bande d’ados hilares, n’ayant même pas pris la peine de se déguiser, s’éloignèrent en courant. Les parents de la fée, apeurés, insultèrent le conducteur, toujours sous le choc, qui s’excusa longtemps encore après que la famille soit partie.
— Putain les cons ! jura-t-il enfin. Tout le monde va bien ?
— Merde ! J’ai pas filmé ça ! On voit quasiment rien, j’ai que le bruit…
— Roman ! On s’en fout de ça ! Arthur a failli écraser la fée clochette !
— C’est pas drôle Samia… Putain… J’étais à deux doigts…
— C’est bon, te prends pas la tête, mec. La gamine est surement celle qui a eu le moins peur.
— J’espère…
— T’inquiète. Vas-y roule.
Les coups d’essuie-glaces étalèrent un peu plus la purée d’un orange fade sur le pare-brise, le couvrant d’un voile épais. Le conducteur se remit pourtant en route, avec prudence.
— Bon, reprit Arthur, toujours attentif à la route. Tu nous dis enfin où on va ?
— Nan, pas encore, répondit Roman, une excitation palpable dans la voix. Mais ça va être génial. Tu prends à droite à la prochaine. On redémarrera le live une fois sur place. Contente de ton début de soirée, Alice ?
La deuxième jeune femme, se contenta de sourire. À ses côtés, Samia soupira :
— Je suis sûre que t’es ravie d’avoir remporté notre concours. Les talents de conducteur de l’un et la drague de l’autre… Loin de l’ambiance surnaturelle promise, hein ?
— T’inquiètes, ça va venir, intervint Roman. On va à la ferme Landers.
— Tu déconnes ! s’exclamèrent en cœur Samia et Arthur.
— Ayez foi en votre leader, vil peuple ! Je ferai le topo pour les abonnés sur place.
La route défila. L’ambiance joyeuse et macabre des enfants déguisés et des maisons enlaidies par diverses décorations grotesques, laissèrent place à une longue sente forestière. Les arbres arrachés à la nuit par la puissance des phares générèrent une ambiance plus pesante dans la voiture.
Suivant les indications de Roman, Arthur sinua dans la forêt et finit par arriver aux abords d’une vaste ferme abandonnée.
Il fallut un temps au groupe pour descendre de la voiture. Arthur siffla longuement en balayant le lieu du faisceau de sa torche. Samia resta près d’Alice et Roman s’était déjà dirigé vers la porte, d’où il parlait en regardant sa caméra :
— Nous y voilà les amis. La ferme Landers… Nous allons y passer la nuit et vous pourrez tout voir ! Pour ceux qui ne le sauraient pas, il y a vingt ans, toute une famille a disparue ici. Pas de sang. Pas de cadavres. Les verrous intérieurs étaient mis… Trois personnes volatilisées… Mais ça ne s’arrête pas là, dit-il en se déplaçant devant une fenêtre. Vous voyez ces grilles ? Elles ont été placées pour éviter que des petits fouineurs comme nous viennent y mettre leur nez. Il y aurait eu d’autres disparitions. Légende urbaine ou pas ? On va vérifier ça ce soir…
— Et comment tu comptes entrer Houdini, si tout est barricadé ? se moqua Samia.
— Houdini faisait des évasions, pas des effractions, corrigea Arthur. Mais bonne question.
— J’ai les clés…, s’amusa-t-il en les faisant tinter. Et non, je ne vous dirai pas comment… Les magiciens ont leurs petits secrets…
— Et ce secret ne serait pas la notaire que tu dragues depuis deux mois ?
— Vous avez vu ? demanda Alice avant que Roman n’ai pu répondre.
Le groupe se réunit autour d’elle.
— Wow… C’est… Glauque…
— … ou prometteur.
Sous le porche, trois citrouilles sculptées différemment étaient disposées. Une bougie intacte, éteinte, dans chacune d’elle. L’une arborait une face hilare, une autre une face apeurée, et la dernière un air triste.
— On dirait des smileys…, tenta Samia, mal à l’aise. T’avise même pas à faire ça, Roman !
L’injonction avait fusé alors que le jeune homme venait de sortir son briquet, tenant sa caméra de l’autre main.
— Bah quoi ? Une citrouille sculptée à halloween, son destin est de devenir une lanterne !
— Surement pas ! Je veux pas qu’on sache qu’on est là !
— Elle flippe déjà ! lança-t-il à sa caméra.
— T’es trop con…
— Allez, on entre…, se résigna-t-il en rangeant le briquet.
Le groupe se dirigea vers la porte. Le bois craqua. Les gonds grincèrent. Roman referma à clé derrière lui, et reprit son dialogue avec la caméra :
— On y est. Bonne frayeur les amis…
Les halos des torches se baladèrent sur les murs, révélant des meubles couverts de poussière, des tableaux auréolés d’humidité. Arthur passa une quinte de toux. Alice dessina dans la couche grise recouvrant la table. Samia resta près de la porte. Roman, s’était déjà dirigé vers le salon. Il cherchait une bonne phrase à sortir, mais la vision du vaste champ abandonné se découvrant à l’arrière, éclairé par la lune, musela son inspiration. Il ne dirait pas avoir frémi en voyant les épouvantails désarticulés et sans tête y trônant. Il se contenta de filmer.
La charpente craqua subitement.
Il leva les yeux vers le plafond, et retrouva les autres.
— Bon y a un étage… Samia ? Tu vas filmer un peu là-haut ?
— Pourquoi moi ?
— Girl power, non ?
— Dans tes rêves !
— C’est bon, j’y vais…, se dévoua Arthur.
Les marches craquèrent sous ses pas. Il se retourna plusieurs fois pour s’assurer que les autres ne quittent pas la demeure. À l’étage, un long couloir s’étendait, cerné par quatre pièces. Il ouvrit la première porte, et découvrit une vieille salle de bain. Le papier peint se décollait par endroit, la moisissure avait gagné son combat contre les joints, et le miroir était couvert d’un voile épais. Rien de plus à voir. Il quitta la pièce, et se dirigea vers la porte en face.
Une chambre.
Un lit d’enfant. Des jouets. Une jeunesse entière figée à jamais dans le temps. Pour la vidéo, ça serait parfait. Il s’assura d’entendre les autres parler en bas et se dirigea vers le lit. Il passa dans sa torche différents jouets, filma quelques dessins inachevés trainant au sol… Un grattement venant de la penderie le fit sursauter. Il braqua sa torche dans sa direction, et arrêta de respirer une seconde, trompé par l’ombre d’un cheval à bascule projeté contre le mur.
— Marre de cette nuit !
Il se dirigea malgré tout vers le bruit, tendit la main et ouvrit subitement la porte. Rien. Sauf une souris se faufilant entre ses jambes et manquant de le faire trébucher tandis qu’il sautilla sur place. Le rongeur se réfugia sous un autre meuble. Arthur retrouva son souffle et observa l’intérieur. Des habits d’enfants rongés étaient pendus au-dessus d’un amoncellement de bout de tissus et autres copeaux de bois formant un nid.
La porte de la chambre claqua violemment dans son dos. Il lâcha sa caméra, et sa torche qui roula sous le lit. Une cavalcade retentit dans le couloir.
— Putain Roman ! T’est trop con !
Aucune réponse. Il retrouva son souffle, apaisa son cœur, et se dirigea vers le lit. La lumière clignota.
— Et puis merde ! Pas moyen que je mette la main là-dessous !
Il se dirigea vers la porte, ne cherchant même pas sa caméra. Fermée. Impossible de l’ouvrir. Il s’acharna sur le loquet. En vain. Il cogna contre le bois, appela les autres. Aucune réponse.
Et la lampe s’éteignit. Il eut soudain froid. Très froid.
Et la lumière revint, plus chaude que le halo pâle de sa torche. Une lumière vacillante, s’intensifiant. Dessinant une face hilare sur le mur… Arthur ne se retourna pas. Il ne voulait pas….
Dans la cuisine, Samia leva les yeux :
— Vous avez pas entendu quelque chose ?
Alice fit non de la tête, Roman se moqua :
— Tu commences à avoir peur ?
— Déconne pas ! Je crois que c’était Arthur…
— C’est un grand garçon.
— Vas voir, s’il-te-plait…
— OK, OK !
Il laissa les jeunes femmes, et se dirigea vers l’escalier :
— Tout va bien mec ? T’es tombé sur un cafard monstrueusement effrayant ?
N’ayant aucune réponse, il monta. Il continua de l’appeler, son ton léger virant vers l’inquiétude au fur et à mesure du silence pesant. Repérant de la lumière venant d’une pièce, il se dirigea vers elle, et entra dans la chambre d’enfant.
Personne.
La caméra gisait au sol, la lampe torche clignotait sous le lit. Et posée sur le cheval à bascule, une citrouille sculptée. Hilare. Cette vision le perturba. Il appela son ami avec inquiétude, sans cesser de fixer le légume, qui lui rendait une désagréable sensation de le suivre de ses orbites creuses. Il fit rapidement le tour des pièces de l’étage, en vain. Arthur n’était plus là. Il se dirigea en vitesse vers l’escalier, cherchant les clés dans sa poche, mais manqua une marche en voyant une citrouille à l’air triste, posée devant la porte. Mais plus encore qu’elle, c’est le fredonnement venant de la cuisine qui l’inquiétait. Il s’y dirigea, et trouva Samia, assise à la table, en train de sculpter des citrouilles en chantonnant.
— Petit potiron, laisse-moi te faire des yeux ronds ♪ Petite citrouille, laisse-moi te dessiner une jolie bouille ♪ Coupe ici. Creuse là. Taille ici. Enlève ça ♪ Une bougie, et voilà mes amis pour la nuit ♪
— Samia ?
La jeune femme se tourna vers lui, Roman poussa un cri. Elle n’avait plus ses yeux. Il courut vers l’entrée, Une montagne de citrouilles ratées, morcelées, bloquaient désormais la porte, tandis que d’autres dévalèrent les escaliers. Affolé, il gagna le salon, chercha du regard une issue, tenta de briser les barreaux des fenêtres.
Et c’est là qu’il la vit. Alice. Elle marchait dans le champ abandonné. Comment était-elle sortie ? Il l’appela, s’arrachant la gorge par ses cris, ne supportant plus la chanson de Samia dans son dos. Il respira quand elle tourna la tête vers lui. Elle lui sourit, et plaça une citrouille à la face apeurée comme tête d’un épouvantail… Le salon s’illumina de divers facies aux sourires monstrueux. Toujours plus nombreux, toujours plus intenses…
L’écran s’éteignit. Un officier s’approcha de son collègue.
— Alors ?
— Rien. Juste un long plan séquence de trois Jack-o’-lantern.
— D’après le témoignage des abonnés, le direct a coupé alors que les jeunes allaient cherchaient la gagnante d’un concours. Mais ils n’ont pas son nom.
— On a quatre disparus alors ? On a que trois signalements, non ?
— C’est ça. Bon sang… Qu’est-ce qu’ils ont bien pu faire ici ?
— Rechercher des sensations fortes, faires des vues… Ils comprendront jamais. T’as connu la famille Landers toi, non ?
— Ouais, de braves gens. Surtout la gamine. Alice. Elle avait un vrai don pour la sculpture malgré son âge… Une fois pour Halloween, elle avait…
Les officiers quittèrent la ferme en continuant de discuter, ne prêtant pas attention aux trois citrouilles allumées sous le porche…
Terriiiiiiible ! J’adore XD
J’aime beaucoup.
C’était super !
Bravo !! ça mérite une suite !! :)))
Trop bien … j’aurais dû lire avant la fin du concours !
Bonjour Antho ton texte est partagé sur la page Facebook de wikipen des aujourd’hui encore félicitations.