L’héritage du Zénith – XXI

6 mins

Maria observait avec crainte la lisière de la forêt maudite se rapprocher inexorablement. Déjà, elle pouvait voir les nuées d’oiseaux sombres s’envoler depuis la cime des arbres, pour mieux  replonger quelques instants après dans l’épaisse toison feillue.

Devant ce spectacle, une inquiétante pensée l’envahit : ces oiseaux semblaient chercher à fuir, mais se faisaient inlassablement ramener vers le sol, comme s’il ne s’agissait que de jouets entre les pattes d’un bien étrange prédateur végétal…

Elle frissonna comme pour chasser ses pensées et se tourna vers Lisithia, jouant avec la pierre d’invocation que son père lui avait confiée. La princesse ne semblait pas inquiète. Maria aurait voulu lui parler mais n’osa pas. Elle se tourna finalement vers Henry. Le visage que le majordome arborait, était bien loin de son air narquois, toujours prêt à asséner des piques et des provocations verbales : le regard perdu au loin, les traits tirés, il semblait réfléchir profondément, et les pensées le tiraillant actuellement, ne semblaient pas être très agréables.

La jeune femme hésita un instant. Il n’était, lui aussi, qu’un serviteur après tout et, même si elle lui devait le respect vis-à-vis de son ancienneté au service de Lisithia, elle pouvait lui parler plus sereinement. Elle prit son courage à deux mains, et s’approcha de l’avant du chariot, puis s’exprima juste suffisamment fort pour ne pas être couverte par le galop tranquille de l’étalon :

— Quelque chose ne va pas, Monsieur Henry ?

—…

— Monsieur ?

Henry tourna subitement la tête vers elle, comme extirpé de force de ses réflexions, étonné de trouver la jeune femme si près :

— Maria ? Oui… Non… Tout va bien, juste un peu de fatigue… La monotonie du trajet sûrement…

Il mentait, elle le savait. Mais elle n’insista pas et se rassit derrière lui. Croisant le regard de sa nouvelle maîtresse, elle baissa rapidement les yeux.

Tout ce qu’elle avait dit lors de leur rencontre était vrai. Toutefois, son désir de rejoindre Lisithia ne se limitait pas à de la simple gratitude, ni au fait d’échapper au mariage arrangé. C’était bien plus profond, et voyager désormais à ses côtés ne faisait qu’amplifier ce fait. Mais ça, elle n’était pas encore prête à le réaliser, et encore moins à se l’avouer.

Quelques minutes passèrent dans un silence pesant avant que Henry n’intervienne en lâchant ces quelques mots, tombant comme une sentence :

— Nous y sommes…

Devant eux, un mur vert sombre se dressait. À un endroit peu visible sans la route, un chemin, laissé à l’abandon depuis bien longtemps, peinait à être suivi, ne serait-ce que du regard. Sinueuse, serpentant tant bien que mal entre les arbres, se séparant en des portions sans issues, cette fragile sente témoignait de cantonniers semblant avoir perdu tout espoir de l’entretenir et l’avoir finalement abandonnée, à la nature ambiante.

Après de nombreux zigzags propices à égarer le plus chevronné en orientation, ils débouchèrent sur une petite clairière perdue au milieu des arbres, à la lisière de bois plus profonds encore, où aucun moyen de locomotion ne semblait pouvoir percer le premier rideau d’arbres immenses, aux troncs noirs entremêlés tels des sceaux interdisant tout passage.

Au milieu, la résidence qui attendait les voyageurs se dressait, tentant tant bien que mal de résister à l’appétit féroce de la flore l’assiégeant.

Tous descendirent du chariot. Maria leva les yeux pour contempler ce qui n’était presque plus qu’une ruine, et poursuivit vers le ciel pour tenter d’apercevoir, vainement, les derniers rayons du soir. Henry se posta derrière elle, alourdi de plusieurs bagages, et lui lança sur un ton rieur :

— Tu peux être inquiète… Ce que je vois à l’extérieur, me laisse prédire que tu vas avoir beaucoup de travail à l’intérieur pour tout remettre en ordre…

— Pardon ? s’exclama-t-elle en sursautant, surprise autant de la présence dans son dos que de la réflexion.

— Quoi ? Tu es bien là pour servir la princesse, non ? Alors il va te falloir un bon balai… Surtout que tu n’es pas au bout de tes peines…

Finissant sa phrase, il fit un geste de tête pour désigner Lisithia qui était déjà entrée dans ce qui restait du jardin, s’était placée dans un endroit assez vaste et avait déposé la pierre d’invocation au sol.

Maria assista médusée à ce qui suivit, incapable de fuir ou de hurler : la pierre se mit à briller intensément, le sol s’ébranla et enfla sous la pierre tel un dôme, avant qu’une grande patte couverte d’une fourrure noire ne s’en extirpe dans un grognement sourd. Bientôt, le cerbère entier jaillit de la terre comme s’il avait été enterré là depuis toujours. Il s’ébroua longuement avant de tourner autour de Lisithia en gémissant, comme un simple chien heureux de retrouver sa mémère…

Maria n’en crut pas ses yeux :

— Mais… C’est…

— Un cerbère en effet…, lui lança Henry tout en se dirigeant vers le manoir délabré. Et crois-moi, tu vas vite comprendre ce que « perdre ses poils » veut dire…

Elle était terrifiée, mais en même temps fascinée, tout en réalisant un peu plus encore que Lisithia n’appartenait vraiment pas au même monde qu’elle.

Elle rassembla son courage et approcha du couple. Aussitôt, l’animal tricéphale se plaça devant sa maîtresse, menaçant l’inconnue de ses trois gueules, gratifiant au passage Maria d’un souffle chaud et pas vraiment agréable à l’odeur. Elle recula d’un pas, avant que Lisithia ne le calme en lui flattant le flanc :

— C’est bon, mon gros… Elle est avec moi…

L’animal grogna une nouvelle fois, comme pour signifier qu’il garderait quand même ses trois paires d’yeux sur cette inconnue. Il se désintéressa pourtant très vite de l’humaine, pour partir explorer les lieux  pleins de senteurs qu’il ne connaissait pas.

Après l’avoir laissé s’éloigner suffisamment, Maria approcha de l’autre jeune femme :

— Vous avez un cerbère de compagnie ?

— Je ne le qualifierais pas comme ça, mais oui, il va rester avec nous…

— N’est-ce pas dangereux ?

— Non, il va grogner quelques temps si tu t’approches trop à son goût mais tant que je suis là, tu n’as rien à craindre… Il s’appelle Nocre, mais tu peux t’adresser à chacune de ses têtes si tu veux. C’est mieux pour gagner sa confiance. Je te conseille de commencer par Sen, la tête gauche. C’est le plus joueur. Si tu l’amadoues avec quelques caresses et friandises, tu pourras vite l’approcher par sa gauche sans crainte. Dex, la tête droite, est plus méfiant, il te faudra du temps. Quant à Alpha, la tête centrale donc, mieux vaut éviter de l’approcher tant que les deux autres ne sont pas dans ta poche…

— Je croyais qu’il s’appelait Nocre ?

— Nocre, c’est l’entité toute entière. Mais inutile de l’appeler comme ça tant que les trois têtes ne te font pas confiance, il te dévorerait sans hésiter… Et ne sois pas dure avec toi si tu ne parviens jamais à l’appeler entièrement, je suis la seule avec mon père qui puisse le faire…

— Je crois que je me contenterai de Sen…

— C’est toi qui vois.

— Et puis ici, ce n’est pas plus mal d’avoir un chien de garde de son gabarit…, renchérit Henry, revenu auprès d’elles après avoir déposé les premiers bagages à l’intérieur, qu’il commenta :

— Dedans, ce n’est pas mieux que dehors, il va y avoir beaucoup de travail… Maria, tu peux aller ouvrir les fenêtres ? Du moins celles qui ne sont pas brisées… Je vais aller nettoyer le puit pendant ce temps… Quant à vous, princesse…

— Je vais aider Maria, c’est bon. Vu l’état des lieux, je peux donner un coup de main…

— Comme vous le souhaitez.

— Merci, votre Altesse…, remercia Maria en s’inclinant, gênée, mais heureuse d’avoir de l’aide.

— Arrête de m’appeler comme ça… Il y a déjà assez de l’autre avec ses « princesse ».

— Mais je vous dois le respect !

— Pff… Fais comme tu veux…, abdiqua-t-elle rapidement. Elle perdait déjà assez de temps avec Henry à ce sujet, elle n’allait pas recommencer.

Le trio se sépara. Les deux jeunes femmes s’engouffrèrent dans le manoir tandis que Henry se dirigea vers le puit recouvert d’herbes et de lierres.

La nuit était tombée depuis peu, et il avait encore beaucoup d’essartage devant lui, quand il entendit les grognements du cerbère. Il se tourna vers lui : l’animal avait les pattes avant posées sur le muret délabré entourant le manoir, et observait avec attention la forêt. Il s’approcha par la droite :

— Qu’as-tu senti, Dex ?

L’animal grogna un peu plus puis se calma, reprenant ses activités de découvertes des lieux, faisant le tour du jardin toutes truffes au sol, les levant par moment en se figeant pour replonger ses regards dans le cœur des bois.

Henry resta un moment à observer les ténèbres impénétrables de la forêt. Le cerbère n’avait pas grogné ainsi par hasard. Si les trois têtes avaient agi de la sorte, cela voulait dire que quelque chose avait interpellé leurs sens… Et cela ne pouvait pas être un simple lapereau dans les fouillis herbeux…

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1 Commentaire
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Annick Smits
9 mois il y a

Hmm ça devient intéressant avec ma préférée 🙂

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