Bonjour, voici le prologue d’une histoire situé dans un univers imaginaire. Une histoire de vengeance, une histoire de famille, une histoire de guerres…
Depuis deux jours la bataille grondait comme un bruit de tonnerre qui ne finissait pas.
Des nuages sombres enveloppaient les montagnes qui encerclaient la petite vallée des Soupirs. Pourtant, une pâle lumière parvenait encore à percer par endroit, éclairant par intermittence la scène du théâtre d’une lutte acharnée.
Le soleil finit par abdiquer. Le ciel s’assombrit. Une pluie glacée heurta le sol et se mêla au sang des guerriers tombés. Une rivière pourpre se répandit alors sur la terre meurtrie, piégeant à jamais, dans ses entrailles, la douleur et la souffrance des hommes.
A genoux au milieu de cette folie, un homme aux cheveux grisâtres et aux yeux aussi noirs qu’une nuit sans lune. Il portait une vieille chemise déchirée qui lui tenait lieu d’armure et un pantalon de cuir marron ayant servi à plus d’une guerre.
Il murmurait des mots que seuls les fantômes, qui le hantaient, entendaient.
Il releva la tête, les yeux larmoyants et emplis de désespoir.
S’appuyant sur son épée, il se redressa et en quelques instants sa désespérance fit la place à la rage. L’homme se transforma en animal.
Son visage ruisselait de sang, il se passa la langue sur les lèvres, trancha le bras de l’homme qui brandissait une masse juste devant lui et se rua dans la marée humaine qui déferlait vers lui. Il avança rapidement dans la mêlée, estropiant et massacrant des hommes et des femmes devenus des silhouettes sans visages. Son épée tournoya dans une terrible danse, elle sifflait dans le vent, prête à s’abattre avec fureur. Un coup d ‘estoc entailla son bras et le fit tressauter un instant. Un filet de sang coula jusque ses doigts burinés et calleux. Il tua encore deux hommes et une femme avant qu’une flèche ne vienne lui traverser l’épaule.
Ebranlé, il posa un genou au sol. La tête baissée vers la terre devenue boue, l’ombre d’êtres aimés apparurent devant ses yeux mais ils furent balayés par les traits grimaçants et souriants du visage de la mort. Il tenta de reprendre son souffle une seconde mais, déjà, une ombre grandissait sur lui. Une femme gigantesque, les deux bras au-dessus d’un crâne énorme, brandissait une hache sombre.
Le guerrier aux cheveux gris leva son épée vers l’arrière et para le coup puissant avec fermeté. Violemment, il repoussa la hache puis fit volte-face. Déséquilibrée, la géante n’eut le temps de riposter et fut transpercée par l’épée de son adversaire. La colosse tomba sans mots dire, son regard reflétait autant la surprise que la souffrance. Le vainqueur retira l’épée dans une gerbe d’hémoglobine. Il se redressa en s’aidant de sa lame, tituba un instant, plongea son regard dans les yeux de sa rivale et frappa plusieurs fois avec brutalité sur son cou jusqu’à ce que la tête de la guerrière prenne sa liberté.
Le guerrier aux cheveux gris haleta une seconde. Il sentait sa fin proche.
Il clama sa rage et sa douleur, en levant ses bras endoloris vers le ciel.
Il regarda un instant la vallée immaculée de sang, l’orage crachait ses éclairs qui illuminaient les corps inanimés jonchant le sol. Un tableau sanglant et fascinant s’offrait sans pudeur.
Le guerrier grisonnant jeta ses dernières forces dans ce qu’il savait être son ultime assaut et se rua alors dans la mêlée. Quelques combattants tombèrent encore sous ses coups mais une lame plus rapide et moins fatiguée le priva de son bras de mort. Dans un dernier sursaut de vigueur, avec la main qui lui restait, il se saisit de la gorge de son adversaire et la lui arracha, d’un coup sec.
Il tomba à genoux.
Il s’appelait Erhas.
Il savait qu’il ne se relèverait plus.
Pourquoi était-il, ici, agenouillé au milieu de cette sauvagerie, dans cette boue nauséabonde?
Les mots “vengeance” et “justice” vinrent tambouriner aux portes de son esprit embrumé et épuisé. Des mots qui avaient perdu leur sens au cours de ces innombrables années.
Tant de souffrances, tant de morts pour en arriver là, mourir à genoux dans le sang de femmes et d’hommes anonymes, qui ne savaient, pour beaucoup, pourquoi ils se battaient.
Tandis que sa vie s’écoulait lentement dans une rivière de sang, quelques larmes, trop longtemps retenues, s’égarèrent dans le tumulte de pluie et de vent.
Il était tellement épuisé.
Les regrets de ses fautes de père et de mari s’étalèrent alors à ses pieds, le spectre de la mort déroulait le parchemin de sa vie. Ce qu’il espérait plus que tout, à cet instant, ce fut d’avoir été plus qu’un bras assassin.
– Adieu mon fils, murmura t-il.
Une bourrasque plus douce que les autres caressa son visage, il sourit, puis ses paupières s’abaissèrent. Le champ de bataille disparut.
Le corps d’Erhas tomba lentement et un ultime souffle s’échappa de ses lèvres, rejoignant tous les derniers soupirs qui flottaient, éternellement, au gré des vents.
Ce fut de cette manière que les livres relatèrent sa mort même si personne ne sut vraiment quelles furent ses dernières pensées.
Ainsi naissaient les mythes, mélange de mensonges et de vérités qui font d’hommes simplement courageux des êtres légendaires, des demi-dieux.
Quant à moi, son fils, je me souviendrai de son regard bienveillant, de ses mains calleuses qui me portaient, de son odeur de terre, de son rire. Ces souvenirs, jamais contés sur les parchemins des légendes de Milsden, resteront blottis dans mon cœur jusqu’à mon dernier souffle.