Contes d’Andromède – Chapitre 2

10 mins

Tazzar avait en réalité le schéma classique d’une ville portuaire : de belles rues et monuments sculptés tous en blancs cachaient les usines proches des campagnes et le port de plaisance où flottait tous ces pavillons, dont certaines riches familles aimaient se pavaner, cachaient les immenses cargos qui déchiraient la mer venus d’un des ports les plus influents du continent. Le port formait comme une embouchure, dont chaque côté laissait une vue pleine de lumières qui allaient jusqu’au large devenant de plus en plus rouges et industrielles. Le vent malgré l’été était assez froid, il faut dire que la vue que laissait le large débouchait en fait directement sur la mer qui abritait le pôle nord. Quelque part, Tazzar malgré sa distance avec la capitale, portait le symbole de Nostrokhod : on marchait tranquillement sur les boulevards lorsque l’on suivait aveuglément les règles, et pour le reste on se faufilait dans les ruelles sombres.
Dans un quartier non loin du centre de la ville vivait Armand, dans un grand appartement dont il ne connaissait que sa chambre lui même dans un immeuble de banlieue assez impressionnant. Il passait de longues heures la nuit devant le grand écran de son ordinateur. C’était un peu son environnement favori : il admirait la fumée de son joint se bleuter devant la lumière et sentir son monde devenir de plus en plus imperméable au fur et à mesure qu’il fumait. Ses parents étaient trop occupés à l’usine, lui avait brûlé ses papiers et trouvait du travail tout seul.
Pendant qu’il consultait un plan incomplet et peu lisible du Palais d’Été provenant d’un de ces sites totalement interdits par l’état sur son écran, un message sur le coin attira son attention.

« Je suis là dans une demi-heure »

Il tira sa dernière taffe, et sortit d’un petit morceau de papier quelques cristaux qu’il pesa et écrasa à même son bureau. Après avoir constitué un trait, il aspira tout de ses narines est partit aussitôt de son logement. Il marchait d’un pas pressé vers le tram, attentif aux forces de l’ordre qui se tiendraient ici par un malheureux hasard. Il s’assit sur une place isolée dans le tramway et se laissa traîner sur une partie de la ligne. Les lumières lui paraissait défiler comme des filaments sur les vitres de la rame, il semblait entendre plusieurs sons isolés en même temps, et c’est lorsque il sentit sa mâchoire s’affaisser violemment qu’il se dit qu’il avait sûrement dû abuser avant de partir. Il arriva sur le port dans la nuit, où en passant entre deux immeubles, une petite place était installée. Malgré que l’endroit fût assez étroit, nombre de personnes formaient une file d’attente où au bout de tenait un homme qui avait un sac dans une main dont il sortait des merveilles que les autres s’empressaient de recevoir en échange de billets. Autour se trouvait beaucoup de monde, d’autres files d’attentes, tous venaient et repartaient aussitôt. Armand s’approcha de l’homme qui était en bout de file, et qui était aussi plongé dans le noir, et interrompit sa tâche.

« C’est tout ce que j’ai fait en une semaine, lui dit-il en tendant des billets. Il en manque vingt, j’ai tapé dedans.
L’homme le regarda avec un certain jugement
Tu t’y est mis ?
Non… J’essaye d’éviter de penser à ce qui va suivre.
Sérieusement, tu veux pas rester ici avec nous pour faire de l’argent tout simplement ? Tu te donne du mal pour rien, ça fait des siècles que tous les gouverneurs tour à tour disent que la sélection est imminente, et il se passe que dalle.
Armand regardait à côté trop perturbé par ce qu’il se passait dans son esprit. Un autre individu qui venait d’arriver sur ce véritable marché clandestin s’avança vers Armand, baissant la tête en guise de salut pour le troisième.
On part quand ? Lui demanda-t-il.
Maintenant, c’est sur le port industriel pas loin d’ici. Tu veux pas venir voir comment ça marche ? Demanda Armand à l’autre qui avait toujours son sac en mains et qui faisait d’ailleurs impatienter ses nombreux clients.
Non merci… J’ai autre chose à foutre. »

Les deux amis en sortant de ce lieu de vente ce dirigèrent vers tout droit en direction du port industriel à un kilomètre de leur position. La nuit était noire, seul quelques filets de lumière provenant de Salamanda rendait les nuages d’une sorte de teinte grise ou bleue, sublimée par la pollution lumineuse de la ville. C’était peut-être bête, peut-être à cause des cristaux aussi, les lumière du port de plaisance, de la ville, ainsi que les lumières des usines et des grues lui paraissait comme un tableau. Un tableau chargé de couleurs diverses, de lumières disposées parfois géométriquement, au rythme des lampadaires qui suivaient les grandes routes, parfois de manière totalement anarchique à l’image des immeubles tassés dans la ville. Armand observait tout ceci avec une joie extrême, et revenait à ce qu’il devait faire. Aussi étrange que cela puisse paraître, cela ne lui faisait ni chaud ni froid.
Le contact qu’ils devaient voir parlait plongé dans le noir, en bas d’une grue servant à charger les cargos, sur un quai totalement désert. Il tendit deux grosses briques légèrement pâteuses, qu’il échangea contre un paquet de billets important. La lampe de poche en bouche, sans avoir prononcé le moindre mot depuis le début, l’inconnu compta les billets et enfin adressa la parole à l’un des deux.
« Il y a pas mal. Avec ça vous êtes surs de pouvoir faire quelque chose de concluant. Même si il faut au moins trois neurones actifs pour que ça arrive, je vous conseille de pas trop faire les cons avec, ça vous coûtera la vie. Et puis… Je sais pas à qui est-ce que c’est destiné mais… Non, en fait laissez tomber. »

Il tourna les talons laissant les deux autres qui n’avaient rien à redire à cette maigre conversation. Ils marchèrent de nouveau en direction du centre, Armand ayant près de cinq kilos sur le dos. Ils arrivèrent après une très longue marche autant nocturne que anxiogène, ils arrivèrent à l’appartement d’Armand déballer ce qu’ils avaient dans le fameux sac. Les deux briques étaient semblable à de la terre recouverte de plastique fin sur lequel était marqué « tétrarium » au feutre noir.

« Tu sais comment tu vas t’y prendre ? Demanda son ami.
J’ai juste à l’insérer dans un tube et faire un court circuit avec une batterie ou quelque chose. Je craquerais une allumette si jamais ça ne fonctionne pas de toute façon.
T’es pas sérieux dans ce que tu dis.
Si on le fait, on met notre vie en jeu, c’est impossible autrement.
Donne moi le tétra, je vais me renseigner pour fabriquer la bombe avec mes gars, et on fera pas de conneries comme ça. »

Armand acquiesça d’un haussement d’épaules et son ami s’enquit du tétrarium dans son sac à dos. Il serra la main solennellement à son ami, prétextant que sa fatigue le poussait à rentrer. Il s’arrêta un moment dans l’encadrement de la porte pour questionner Armand :

« Tu sais toujours pas ce que pense l’organisation de tout ça ?
Ils m’ont téléphoné tout à l’heure pour me supplier de ne pas partir, ils pensent que ça ruinerait leurs actions. C’est peut-être moi seul qui va tous nous sauver alors je leur ait dit d’aller se faire foutre.
Poliment ?
Pas le moins du monde. Répondit-il presque heureux de sa réponse
Quel fou furieux ce type… rétorqua le deuxième en claquant la porte. »

Armand arrivait au moment où il fut seul dans sa chambre, sans que le sommeil de veuille l’accueillir, et que l’ennui commençait presque à le prendre alors qu’il pensait que les substances bannissait inévitablement ce sentiment de son esprit. Allumant le dernier joint de la soirée qui lui servirait de somnifère, il était simplement assis sur son fauteuil à contempler la fumée, et ne penser à pas grand chose. Ne pouvant résister à ses idées fixes, il fouilla de nouveau dans son tiroir pour trouver un morceau de cristal emballer et recommencer l’opération. Il ne pouvait plus s’en empêcher, l’emprise le poussait à la consommation, et même sobre ses envies ne pouvaient se trouver vides. Alors qu’il se sentait si vif, si puissant, si confiant envers lui même, une envie profonde de dormir l’emporta sans prévenir. Sa tête si fit lourde, un mal de crâne puissant le fit sursauter de sa chaise. Il se regarda dans le miroir se rendant compte de cette situation anormale. Ses pupilles étaient si dilatées qu’elles semblait sortir de son iris. D’un coup, son corps se fit tout engourdi, il tomba à terre, sans pouvoir faire un seul mouvement, ni dire un seule parole. Il médita une minute se demanda si c’était bel et bien la fin, avant de sombrer dans un profond sommeil qui ressemblait plus à un flirt avec la mort qu’une véritable nuit de sommeil.

Depuis quelques temps, Nostrokhod s’était quelque peu apaisée depuis la tuerie de l’autre soir, aucun événement notable ne s’était déclaré depuis quelques semaines.  On avait presque oublié les violences passées, de toute façon la presse n’était pas permise de les commémorer.  Du côté de la cour on entendait plus rien, le gouverneur ne se montrait plus en public, de même que les révolutionnaires restaient totalement introuvables. Pendant tout ce temps Hernell s’était lié d’une morose amitié avec une machine qui n’en arrêtait pas de faire un vacarme épouvantable toute la journée. Elle se trouvait dans une pièce très étroite dans les bureaux de la milice, et ressemblait à la tête d’une enceinte sur laquelle on aurait disposé toutes sortes de voyants et de cadrans. Un haut parleur y était branché et crachait toutes les ondes qui frappaient sans cesse l’antenne au sommet du bâtiment. C’était sa mission depuis la mort de Iyra, balayer les fréquences pour espérer trouver quelque chose, une preuve des paroles. Bien entendu, rien n’émettait depuis tout ce temps. Il s’ennuyait dans ce bureau austère un café à la main, et toujours ce bruit qui l’empêchait presque de dormir.
Seul un matin de la semaine il s’était passé quelque chose d’un tant soit peu excitant. Alors qu’il feuilletait un journal près de sa machine, comme il en avait l’habitude, un voyant rouge s’alluma alors qu’il avait toujours été muet jusque là. C’était un voyant nommé sobrement « FU », suivi d’un panel de fréquences correspondantes. Dirigeant le levier pour modifier les ondes à capter, une voix disant des mots incompréhensibles à cause de parasites sonores raisonna dans le haut parleur. Hernell ne comprit pas grand chose à la voix qui pour sûr était humaine, mais prit un papier pour noter ce qu’il lui semblait audible, tout ce qu’il pût écrire ressemblait à ça : « à la recherche de monde perdus……. Si jamais… N’ayez crainte. L’empire galactique veille sur cet univers, nous savons que des naufragés s’y cachent… » Tous ces mots étaient, il le pensait une grande part de son interprétation. Il réussit à en faire une copie de cinq minutes d’enregistrement. Mais alors qu’il était persuadé avoir fait une bonne pioche dans le cadre de son travail, il vérifia tout de même sur le manuel à quoi correspondait le voyant : « Fréquences Universelles ». Frappé par cette découverte, il avait tout gardé pour soi, la dernière phrase de l’enregistrement le hantait dans ses rêves et dans son quotidien, d’autant plus que c’était non seulement la phrase la plus audible, mais aussi la plus explicite. Un horrible soir qu’il avait passé sans somnifères, accablé par ses propres pensées, il y réfléchit longtemps, et se dit avant de fermer l’œil qu’il irait dès demain porter l’enregistrement au palais, peut-être qu’il pourrait mettre un terme à ces conflits, éviter le pire. Oui, il ira dès demain porter ceci au gouverneur, et sa réponse déterminera si il s’agit bien d’un tyran ou d’un ignorant.

Il se réveilla la tête lourde, sans ouvrir les yeux d’un coup. Il ne savait plus de quoi il rêvait, quelque chose, sûrement un bruit, avait dû le réveiller. En ouvrant les yeux, un voile blanc semblait couvrir ses yeux. Puis, reprenant un peu ses esprits, il se rendit compte avec horreur qu’il était comme cloué dans son lit, sans pouvoir bouger, et que le voile blanc qui se tenait devant ses yeux était en fait un épais brouillard à l’odeur amer. Il commença à paniquer alors qu’il entendit sa porte se faire enfoncer, et que quatre hommes portant des masques à gaz et habillés en blanc rentrèrent dans la chambre. Hernell était comme plongé dans un profond sommeil physique dont il était parfaitement conscient, mais il ne pouvait plus prononcer un seul mot ou alors celui-ci aurait été incompréhensible. Les hommes l’escortèrent jusqu’à un fourgon, lorsque le début d’un long voyage commença, peu intéressant, et de toute façon Hernell ne s’en souvenait simplement pas.
Il reprit ses esprits attaché sur une chaise dans un wagon qui semblait blindé. L’effet du paralysant qui avait enfumé son appartement se dissipait un peu, mais sa tête restait toujours aussi lourde et sa sensation de flottement n’avait pas disparue. Sa tête bascula d’un côté, de l’autre, il semblait qu’on l’eût frappé durant sa perte de mémoire, car son visage le piquait un peu partout. Il croisa devant lui le visage du capitaine Thyzhis qui l’observait presque comme un médecin qui admirait le résultat d’une expérience humaine. Thyzhis le fixa un instant, et voyant un lueur de conscience dans l’esprit d’Hernell, commença une longue tirade.

« Voyez vous, j’étais en train de dormir tranquillement lorsque mon téléphone s’est is à sonner à plusieurs reprises. J’ai dû faire un aller au commissariat pour obtenir un mandat d’arrêt, remplir tout un tas de paperasses… Ensuite j’ai dû aller jusqu’à chez vous au petit matin sans possibilité de finir ma nuit. Après on m’a dit que j’allais embarquer avec vous dans le train pour vous accompagner jusqu’à destination et prendre des infos sur vous. Pour repartir ensuite à la capitale, ça fait vingt-quatre heures de voyage en tout. Tout ça pour un traître. Un salopard de votre espèce. »
Il déplia un petit papier sorti de sa poche  et l’étala sur la table devant lui. C’était tout un plan du quartier général de la milice, avec écrit en rouge « emplacement de la bombe » sur un coin du bâtiment.

« Où avez trouvé ça ? Demanda Hernell.
Dans votre casier. Avouez que vous aimez jouer avec le feu.
Vous croyez que… Je veux dire, vous pensez que quelqu’un serait assez stupide pour écrire ça de manière aussi explicite ?
On cherche pas à évaluer votre niveau de connerie, on a autre chose à faire. On applique la tolérance zéro, la détention d’un papier comme ça vous envoie directement au bagne, ne vous attendez pas à un procès en arrivant.
Mes affaires… Dans ma poche j’ai…
Je sais ce que vous avez.
Il déposa une petite pièce de métal qui était la platine contenant l’enregistrement que Hernell avait découvert.
Je ne sais pas si le gouvernement appréciera de telles découvertes qui vont à l’encontre de la sélection.
Il faut le montrer au gouverneur… Nous pourrions tous être sauvés !
J’irais lui apporter si jamais ça me chante. Maintenant vous allez tout me dire sur votre vie, et un volontaire prendra votre identité. On le mettra en surveillance du palais, au moins il ne lui passera pas par la tête de faire exploser le quartier général comme vous… Attention derrière vous. »

Hernell sentit quelqu’un lui appuyer un chiffon devant la bouche. Il sentit une forte stimulation de son esprit survenir, comme si tout son sang lui remontait à la tête. Ses paroles devinrent d’un coup claires et rapides.

« Vous avez une conjointe ?
Non.
Est-ce que vous avez des habitudes de fréquentations, des endroits où vous aimiez aller ?
J’allais parfois a bar en bas de chez moi, « l’Estrade » mais je l’évite depuis que j’ai arrêté de boire.
Vous buviez ? Vous le cachiez au département.
Oui. Iyra était au courant, je buvais parfois pendant mon service.
Bon ! Et j’imagine que vous y fréquentiez là bas les révolutionnaires n’est-ce pas ?
Non. Je n’ai jamais vu un seul révolutionnaire.
Thyzhis tressaillit.
Vous avez pris vos fonctions ici pour nous espionner de toute évidence, pas vrai ?
Jamais… J’ai pris mes fonctions pour faire plaisir à ma famille qui n’existe plus désormais. »

Son interlocuteur frappa du poing de la table, furieux de la résistance qu’il avait. Il fit signe à l’homme derrière lui de lui repasser le chiffon sous le nez.

«  Alors, dites m’en plus à présent. Qui voyez vous dans votre organisation ? »

Hernell se sentit de plus en plus imbibé par le produit qu’il venait d’inhaler, au point, que ses yeux se mirent à révulser, et après que sa tête ait basculé deux fois, il s’écroula sur le bureau d’épuisement.

« Tant pis, j’en ai assez entendu. Il s’occuperont de le torturer là-bas. »

Avant de partir, il prit la petite platine qui contenait le précieux enregistrement et la contempla longtemps. Peut-être qu’il allait la présenter au gouverneur finalement… Cet enregistrement était peut-être son ticket pour un monde meilleur, voire une annulation de la sélection qui, même si il se devait de la défendre, préférait que cette triste destinée n’ait pas lieu.

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