Cet attentat qui avait été raté avait remué bien des esprits par sa suite, car le bilan était grave, et un mouvement de panique avait soufflé sur toute la cour gouvernementale. Après l’explosion, le gouverneur avait prit le soin de faire arrêter Artyavius qui avait pris la décision de rester pour ne froisser personne et ne pas risquer de se compromettre. Le gouverneur Zorastre avait eu une attitude très étrange face à cet attentat, il n’en pensait rien réellement, semblait ailleurs, et était directement parti rejoindre Milda et son fils caché, prétextant au peuple qu’il partait se remettre de ses blessures, évidemment la vérité étant qu’il était parfaitement indemne. Cependant, l’explosion avait tué le président de l’assemblée qui était au premières loges de la déflagration, et seuls quatre députés étaient saufs, mais dans un état déplorable. Le pouvoir plus que jamais était menacé, déjà le fait qu’il n’y ait plus de gouvernement mais qu’en plus, le gouverneur n’était ni là pour faire des discours et rassurer la population, on craignait un soulèvement pur et simple de la population, car au fond tout les bons gens de la cour le savait : renverser le pouvoir dans un tel moment aurait été un jeu d’enfant. De plus, la milice qui était tenue de garder la main sur le pouvoir était en flammes : plus personne ne se faisait confiance en raison de l’enquête ouverte sur ce terrible événement. On avait réussi à identifier l’explosif, et évidemment, un certain Hernell manquait à l’appel. Le bruit a donc couru qu’un soldat de la milice avait réussi à introduire un bombe, mais en interne le problème était tout autre, étant donné que l’on savait que Hernell était parti pour les camps, et qu’il avait été remplacé par un autre qui avait postulé immédiatement, mais en gardant toujours l’identité du précédent. Cela se faisait beaucoup, le processus était très tabou, parfois ignoré, parfois renié. Mais remonter la trace était tout simplement impossible, l’homme ayant disparu n’avait laissé aucune trace d’une quelconque identité, les empreintes relevées ne correspondaient à personne, du fait que Armand vivait en marge, sans papiers. Il était évident qu’une telle faille de sécurité au sein d’une milice gouvernementale avait fait serrer les dents à plus d’un. Au point que l’on se posait des questions sur les motivations de ce processus d’échange d’identité, que peut être un trafic de papier était mis en place dans la milice. Etine Krawar, dirigeant de la milice gouvernementale avait donc eu un procès qui s’était déroulé sur le champ, la nuit suivante, et n’avait fait absolument aucune déclaration, ce qui en disait long pour beaucoup. Le résultat de tout ce scandale qui semblait plus grave que les morts, était que la milice était totalement enrayée, certains ayant découvert ce mode d’opération avaient démissionné alors même qu’ils auraient été envoyés au camp pour ça, mais la suspension de Mr. Krawar rendait impossible leur arrestations. On s’insultait, on rageait, mais surtout, on avait peur. Peur de l’instabilité, de la perte de confiance envers le système, envers le gouverneur ! Mais le gouverneur malgré ses tracas restait secrètement la tête haute, et allait redresser vivement le cours des choses.
Pour ce qui était du gouverneur, voyageait sur sa péninsule natale, Akhrav, isolée et située à une centaine de kilomètres de Nostrokhod. C’était la région la moins habitée du continent. Pour certains, notamment les plus pieux considéraient cette terre comme celle des dieux, une terre mystique que la nature expérimente. Il y faisait assez froid, une épaisse brume recouvrait les sommets, des roches s’élevaient au pied des crevasses, et des sapins recouverts de lichens. C’est dans le camion blindé que Zorastre apercevait déjà, surplombant cette forêt de conifères une grande bâtisse enfoncée dans la forêt où le gouverneur avait passé une partie de son enfance. À peine avoir posé le pied à terre, Zorastre s’avança vers Milda qui l’attendait souriant dans la brume, et l’embrassa pendants de longues secondes. Celui qu’on appelait le comte Zeristy, un homme dégarni cinquantenaire, qui entretenait cet édifice familial depuis bien longtemps, et était un cousin de Canielli, qui lui aussi était venu avec le gouverneur qui n’allait presque nul part sans lui. Avec toute une équipe de valet, il gardait le fils du gouverneur depuis que celui-ci avait décidé de lever son exécution. La vue de cet enfant sur Zorastre lui laissait une triste trace sur son cœur, se souvenant de la lettre qu’il avait rédigé pour le faire disparaître. Il était très jeune, six ans pour être précis, avait le même regard que son père, et semblait ne jamais sourire. Ses cheveux noirs un peu longs lui faisait beaucoup ressembler à son géniteur, mais ses yeux bleus presque blancs qui étaient ceux de sa mère, Milda, et contrastait totalement avec les yeux noirs que portait Zorastre. De ce fait, il avait en plus de cet air doux que lui donnait ses yeux, et la sévérité de son air, faisait ressortir en cascade toute la nature à la fois terrifiante et fascinante qui se transmettait de père en fils. Zorastre perdait toute sa garde à la vue de son fils, il se sentait comme rabaissé, et les larmes humidifiaient ses yeux à la pensée du charisme enfantin surréaliste qu’il dégageait, laissant deviner le charisme qu’il aurait adulte. Mais la pensée que cet héritier était illégitime lui fendait le cœur. La vie dans cette maison, qui était bâtie en trois ailes et sur trois étages, était un peu lugubre mais avec une atmosphère plus détendue qu’à la capitale. Zorastre avait pour la première fois la sensation d’appartenir à une famille, et il passait des jours si beaux ici qu’il ne voulait en aucun cas retourner à Nostrokhod. Le gouverneur découvrait totalement son fils et paraissait bien plus excité que d’habitude, ni Milda ni Canielli ne l’avait déjà vu comme ça. Il ne passèrent que trois jours dans cette propriété, et ces journées laissèrent à Zorastre tout le temps de penser, à l’avenir de son fils, à l’héritage qu’il portait. Alors qu’il s’entretenait s
Un soir, alors qu’un brouillard extrêmement dense enveloppait la maison, Zorastre prit son fils par le bras pour lui dire fièrement :
« Nous allons nous promener en forêt ce soir. Comme quand j’étais enfant. Tu va voir, par ce temps idéal, Salamanda illuminer la brume, ce sera le plus beau spectacle que tu auras vu pour au moins quelques années. »
En effet au crépuscule, ils partirent alors que l’on ne voyait rien, seuls. Ils marchèrent quelques minutes, quand ils s’arrêtèrent manger quelques baies sur un buisson. Zorastre connaissait bien le goût qu’avait ces petits fruits orangés, tandis que son fils grimaçait au goût infiniment acide qui s’en dégageait. Quand le soleil s’était couché, les yeux de Zadka s’illuminèrent en même temps que toutes sortes de lueurs qui sortaient de la brume, rouges, verdâtres, comme des aurores qui tournoyaient tout autour d’eux. En premier, le ciel au dessus avait rougit, puis ce rouge envahit les arbres, et se décomposa en plusieurs couleurs : vert, bleues, mais dans une sorte d’harmonie que tout cela semblait sur-naturel. C’était comme un feu d’artifice, comme si ils étaient rentrés à l’intérieur d’un tableau impressionniste. En marchant, il s’arrêtèrent dans une petite clairière.
« Tu vois, Zadka, c’est un don des dieux de pouvoir admirer un tel spectacle. Vois-tu ? C’est ce qui me fait oublier de gouverner…
Père… dit timidement Zadka toujours fixant les lueurs autour de lui. Vais-je gouverner moi aussi, un jour ?
Zadka… Tu n’est pas apte à gouverner mais… Pourquoi veux-tu à tout prix gouverner ?
Je veux que nous partions ensemble d’ici, rejoindre l’empereur et faire triompher notre civilisation par la sélection, comme ce qu’aurait voulu Zorasranimus. Tu as l’air d’avoir tellement d’honneur à gouverner, pourquoi pas moi ?
Zorastre s’agenouilla à sa hauteur, comme effondré par ce qu’il venait d’entendre.
Mon fils, je… Je ne suis pas heureux en gouvernant. Le pouvoir m’empêche de te voir, de vivre ma vie. Il me ronge dans le sang, au fond de moi, c’est une folie qui t’attrape très jeune par le pied et ne te lâche jamais. Tu sais de quoi son faites le guerres et les règnes Zadka ? De sang, de cadavres, des gens qui meurent sans pouvoir dire ce qu’ils pensent, des gens qui sont arrêtés pour leur intimité, leur idées politiques, pour tout et n’importe quoi. Ils sont envoyés dans les camps, des enfants comme toi, des femmes, comme ta mère et des hommes comme moi. Des gens qui veulent changer le monde, et par obligation, tu dois les massacrer et anéantir toute trace de leur existence quand bien même cela te pince le cœur à t’en faire saigner.
Mais ce n’est pas ce qu’il faut pour que la société et l’empire fonctionne ? Les morts sont nécessaires non ? Le révolutionnaires doivent périr dans le sang… »
Zorastre fut abasourdi par cette répartie se contentant de pleurer sur l’épaule de Zadka tandis que celui-ci restait toujours de marbre. Il avait baissé sa garde, décidément le sang des Zorastre sera toujours celui qui en fait couler le plus… Ils passèrent un long moment ensuite à marcher à travers les broussailles, dans le silence un long moment. Tous deux étaient si pensif que c’était comme une ellipse, un bout de temps à la fois très court et très long, duquel on ressort pleins d’interrogations alors que l’on avait cherché tout ce temps à des réponses. Mais alors que les lumières de Salamanda éblouissaient de leur splendeur psychédélique, la demeure se dressa dans la brume, devant eux, et ainsi ils finirent leur promenade nocturne.
Cela faisait des heures que Hendin était devant sa machine, attendant patiemment la sonnerie qui annoncera la fin de la journée, et de toute cette souffrance continue. Il se sentait fatigué, ses mains étaient ensanglantées, et ses muscles étaient en train de brûler. Ce travail était fatiguant. Il aurait presque préféré aller à la mine plutôt que de faire sans arrêt les mêmes geste avec sa presse qui ne faisait que fixer une pièce elle même sur un morceau de moteur. Il n’en pouvait plus. Chaque fois ses doigts se coinçaient entre le piston et le fourreau, lui pinçant jusqu’au sang, ou bien il s’écrasait la main sur la presse, qui bien heureusement n’était pas assez puissante pour que cela déchiquette ses doigts. La sonnerie glaçante raisonna dans l’usine, le travail était enfin fini, tous les détenus n’avaient qu’une idée en tête : manger et se reposer. Mais dans l’atelier d’Hendin vint un gardien qui en le saluant, déposa une bouteille de bière et un paquet de cigarette sur la table.
« Je t’en ai trouvé, dit-il. Planque la bien et bois la discrètement.
– Je ferais attention. J’ai promis de la partager, on se fera prendre à deux au moins ! »
Le gardien sourit, et se précipita dans les couloirs. Hendin pour sa part fit mine de retourner dans les habitations, mais arrivé au niveau d’une petite porte, vérifia que personne ne le voyait, et passa l’encadrement, qui menait à un escalier de secours condamné. Tout en haut, Hernell l’attendait patiemment. Il tendit immédiatement la paquet de cigarettes à Hernell qui en alluma une immédiatement avec la petite boite d’allumettes fournie dans le paquet. Il se mirent directement à boire, à grandes gorgées car ils manquaient de temps.
« Comment s’appelle-t-il ce gardien ? Demanda Hernell avec une voix étouffée par le plaisir.
– Warzen. J’ignore son nom. Il a réussi à me choper ça de ses supérieurs.
– Tu as bien de la chance d’avoir un peu d’humanité dans ton usine.
– Même eux ils ont pas le droit de boire tu te rends compte ? Bref, il m’a dit qu’il avait été rétrogradé de l’armée, et qu’il est rentré de force dans la milice. Tu savais que les deux se faisaient la guerre ?
– Tu me prends pour qui ? J’étais de la milice avant. Avant d’être trahi. L’armée n’aime pas la milice parce qu’elle pique son boulot. Elle a un but politique, c’est presque comme un parti, et ils sont tous plus prétentieux les uns que les autres, et ne peuvent pas s’empêcher de cirer les pompes du gouverneur. Et puis je dois être honnête : les hommes de la milice sont des abrutis finis, aucun sens de l’organisation, ils pensent qu’à faire bonne figure et trafiquent tout ce qu’ils rapportent.
– C’est à cause d’eux qu’on en est là aujourd’hui.
– Pourtant certains miliciens savent très bien qu’ils ne seront pas retenus à la sélection. Mais comme tout le monde tente sa chance ça créée un engouement pour l’individualisme, et tout le monde essaye de se couler les uns les autres pour avoir une place.
– Nous aurons une place, rétorqua Hendin, si nous arrivons à picoler sous leur nez, on peut renverser cette forteresse à nous seuls.
– Ne parle pas trop fort… dit Hernell qui sentait que les deux parlaient de plus en plus fort avec l’ivresse montante. »
Tous les deux finirent la bouteille, et leur cigarettes, Hernell en prit trois dans la paquet.
« C’est pour ce soir si je n’arrive pas à dormir.
– Comment ne peux-tu pas réussir à dormir après une pareille journée ?
– Je réfléchis trop… Et puis je ne pouvais pas m’endormir sans somnifères avant. »
Ils descendirent les escaliers, ouvrirent la porte qui donnaient sur le couloir désert. Personne ne les avaient remarqués visiblement. Avant de repartir chacun de leur côté, leurs quartiers étant opposés, il se serrèrent la main solennellement.
« Nous ne laisserons pas passer notre liberté. Commença Hendin.
– Jamais. Serrons les poings. »
Hernell sortit du bâtiment immense qui regroupait toutes les usines du quartier industriel, le froid le prit à la gorger, et la nuit était déjà là, toujours aussi perçante, et le vent toujours aussi violent.
Hernell avait rencontré Hendin justement dans le quartier industriel, ils avaient partagé le même atelier, c’était alors le seul détenu qui lui avait adressé la parole. En temps normal, les conversations ne devaient pas être libres entre les détenus, et tout le monde s’efforçait de respecter cette règle à la lettre, de peur d’être fusillé. Hernell ne savait si c’était de l’insouciance, une peur de mourir totalement absente ou bien la conviction que les gardiens étaient sourds mais Hendin transgressait sans arrêt les règles, et au final semblait être le seul être humain en ces lieux. Car Hendin avait été déporté pour avoir ouvertement admis être révolutionnaire, et ne s’en privait pas de le dire ici. Ce qu’il avait dit à Hernell, était aussi qu’il cherchait à renverser le système de cette prison géante. Hernell ne savait trop que penser, étant corrompu par la propagande qu’il avait subi à l’école de la milice, mais par instinct de survie, n’hésitait pas à le suivre dans ses choix.