I – Hiloy : Les doubles derniers
Hiloy Plilaz
Rang : Or
Héritière de la grande famille Plilaz
Héritière de la charge de gardien
Hiloy observa la carte dépliée sur son bureau avec attention. Passant rêveusement le doigt sur les cinq châteaux encerclant le palais royal, elle énuméra :
-Numéro un : le clan Douros. Le chef a la charge de Voix du Roi. Le seul à pouvoir parler au Roi directement et à transmettre ses ordres. Numéro deux : le clan Qorlia. Le chef a la charge d’Épée Royale. Il est le protecteur personnel du Roi, le seul avec la Voix à pouvoir se tenir en sa présence, sans pouvoir lui parler. En troisième, le clan Tgeork. Le chef a la charge de Premier Conseiller. Juge, son avis compte double. Numéro quatre : le clan Jyu. Le chef a la charge de Second Conseiller. Deuxième juge dont l’avis ne compte qu’une fois.
Son doigt s’arrêta sur le château dessiné sous le palais :
-Et nous. Numéro cinq : Le clan Plilaz. Charge de Gardien. Direction de la garde du palais.
Elle soupira :
-Les double derniers.
Son père ne cessait de lui rabâcher combien il s’était senti humilié quand les cloches avaient sonné successivement dans les quatre autres châteaux annonçant la naissance des héritiers, alors qu’elle ne naîtrait qu’un an plus tard. Les cloches de son clan avait donc sonné en solitaire l’année suivante. L’adolescente n’était pas seulement dans le dernier clan des Cinq du Roi, mais aussi la dernière née des héritiers.
Hiloy continua de faire avancer son doigt, retraçant les remparts qui séparés les cinq châteaux et le palais royal du reste de la population. Combien de clans y a-t-il là-dedans ? Elle observa rêveusement la masse indistincte de manoirs, de demeures qui représentaient des clans qui avaient réussi à prendre une certaine importance. Les héritiers de ces chefs de clan seront là demain. Combien y en avait-il en tout ?
La Cinquième bascula sur son siège pour observer son plafond recouvert de blasons. Chaque fois que son précepteur lui avait parlé d’un clan, elle avait affiché le blason pour l’apprendre. Parmi les milliers qui se trouvaient au-dessus de sa tête, les trois quarts lui échappaient. Mais bon, ce n’est pas important. Elle rebascula vers l’avant. Les yeux de nouveau sur la carte, Hiloy revint sur le cercle des cinq châteaux. Les héritiers qui importés étaient ces quatre-là.
On toqua doucement à la porte.
-Entrez.
Sa mère pénétra dans la pièce et s’approcha doucement :
-Ça va ? Tu n’angoisses pas trop ?
Hiloy sourit :
-Non, ça va. Tu voulais quelque chose ?
-Je passais juste voir comment tu allais. Tu as bien ton blason ?
L’adolescente pointa son uniforme suspendu à sa penderie. Sur la poche de poitrine, un petit cercle d’or contenant une fourmi ailée était épinglée, des diamants à la place des ailes. Sa mère, Eson Plilaz était une femme toute en finesse. Les cheveux bleu sombre étaient clairsemés de blanc. Elle avait, à présent, la même taille que son enfant. En entrant, la femme alla s’asseoir sur le lit à gauche du bureau d’Hiloy :
-Tu feras attention avec les quatre autres, hein ?
-Oui, maman.
-Je sais que ton père tient à obtenir une charge plus élevée, mais que cela ne te bloque pas. Une fois là-bas, tu pourras faire ce que tu veux.
Hiloy lui glissa un regard amusé. Jusqu’à la fin de l’année où il faudra que j’explique pourquoi on reste au même niveau. Pourtant, elle avait eu beau réfléchir à la question, Hiloy n’avait aucune envie de tuer ou d’épouser un des quatre. Au moins, avec un duel, personne ne meurt… dans le meilleur des cas. C’est la seule option qu’il reste de toute façon.
La Cinquième hocha la tête laissant sa mère continuer :
-Et surtout, ce n’est pas parce qu’ils ont un an de plus que toi, que tu dois te laisser intimider.
Nouvel hochement de tête.
-Bon, je te laisse, alors. Couche-toi tôt. Tu dois être en forme demain.
Sa mère lui embrassa la tempe avant de sortir. Hiloy lui lança :
-Bonne nuit.
-Toi aussi.
L’adolescente revint à sa carte. Elle n’en avait pas parlé à ses parents, mais son choix était fait depuis longtemps. La Cinquième ne se voyait pas tuer qui que ce soit, le mariage n’était pas envisageable. Il ne restait que les duels. Quatre combats. Elle appuya ses coudes sur le bureau, prenant son cou dans ses mains, les yeux sur les châteaux. Hiloy s’était souvent demandée à quoi ressemblait les autres. Les cloches sonnaient pour la naissance d’un héritier, mais il n’y avait aucun moyen de savoir s’il s’agissait d’un garçon, d’une fille ou autre. Quatre filles, quatre garçons ? Deux filles, un garçons et un autre ? Deux garçons et deux autres ?
Elle bâilla, s’étira. Sa mère avait raison. Il valait mieux qu’elle se couche tôt. La nuit était déjà tombée. Hiloy se mit en pyjama pour se glisser sous les couvertures. Elle cogita encore un long moment avant de pouvoir dormir.
L’angoisse la saisit au réveil. La gorge nouée, l’adolescente enfila son uniforme. Elle vérifia que la jupe était bien mise sur son pantalon corsaire, que les manches évasées de sa chemise blanche sortait bien de sous son veston et que le blason était bien mis sur sa poche. Hiloy attacha ses cheveux bleu électrique en queue de cheval et revérifia son uniforme dans le miroir. L’ensemble était noir, avec des broderies d’or aux épaules, preuve qu’elle était l’héritière d’une grande famille, enfant d’un chef.
Hiloy descendit assez rapidement, craignant d’être en retard. La veille, des hommes étaient venus prendre ses valises. C’était au moins une chose de moins dont elle devait se soucier. L’adolescente s’installa devant la table où l’attendait un petit-déjeuner monumentale. Elle mangea autant qu’elle put, se rabâchant mentalement, tout ce qu’elle devait savoir. Les cinq familles, les autres clans. Or, héritier d’une grande famille, argent, héritier d’une famille du commun.
-Tu es prête ?
La voix strict de son père la crispa. Leanoy Plilaz, contrairement à sa femme, était sec et sévère. Chauve, grand et légèrement voûté, sa présence impressionnait toujours son enfant. Celle-ci se redressa, sortit de table et lui fit face :
-Prêt.
-J’ai fait appeler le chauffeur.
Il sortit sans rien ajouter de plus. Hiloy se rendit dans l’entrée où l’attendait sa mère et son précepteur. Celui-ci observa son uniforme d’un œil critique avant de sourire :
-Vous êtes très bien.
Hiloy lui rendit son sourire alors qu’il ajoutait :
-Surtout, n’oubliez pas. Mis à part les héritiers des Cinq, les autres héritiers sont allés dans des écoles. Ils se connaissent, ont déjà des ennemis, des alliés.
La Cinquième hocha la tête en précisant pour montrer qu’elle n’avait pas oublié :
-Je sais.
Le fait d’être resté dans l’enceinte du château avec un précepteur la mettait en difficulté, car les autres héritiers avaient sans doute déjà formé des alliances à l’école générale.
Sa mère ne put s’empêcher d’intervenir :
-Et n’oublie pas, les héritiers des Cinq se sont probablement déjà vu. Peut-être même déjà affronté, même s’il semble que l’ordre des clans n’est pas changé…
Hiloy échangea un regard avec son précepteur qui intervint :
-Je pense que l’on va s’arrêter là.
La femme se tordait les mains et l’adolescente sourit. Elle embrassa sa mère, salua son précepteur et se dirigea vers la porte. Après avoir enfilé ses chaussures et jeté un dernier regard en arrière, la Cinquième dévala les quelques marches qui menaient à la cour. Son chauffeur lui ouvrit la portière de la voiture garée juste en face.
Assise sur le fauteuil de cuir, Hiloy s’efforça de respirer calmement. Tout va bien. C’est pas la mort… enfin, pour l’instant.
L’école était cachée afin d’empêcher qui que ce soit d’extérieur de se mêler de ce qu’il s’y passait. Les héritiers y étaient enfermés, abandonnant leur garde du corps privé. Ils étaient donc des proies faciles. Dû à son isolement, l’école s’était trouvée pourvu d’une poste et de son propre hôpital.
Hiloy regarda la porte de l’enceinte s’ouvrir et la voiture s’enfonça dans les rues qui lui étaient inconnues. Tout était désert car la journée était dédiée au transfert des héritiers. Personne ne pouvait en être témoin afin d’éviter toute interférence et d’être suivi. Seuls les chauffeurs savaient où ils devaient mener les adolescents. Le sien la mena sur une place déserte comme le reste de la ville. Il lui ouvrit la porte et l’invita à sortir.
-Ne vous inquiétez pas. Je reste ici en attendant qu’ils arrivent.
Hiloy eut un sourire crispé. Ce moment où l’héritier était seul, à attendre que les hommes de l’école viennent le chercher, était un instant où il se trouvait particulièrement vulnérable. Idéal pour un kidnapping. La Cinquième resta sur ses gardes en observant les alentours. Derrière les fenêtres, quelques curieux tentaient un coup d’œil. Elle traversa la place pavée en se demandant où elle était censée s’arrêter. La réponse ne tarda pas à lui sauter aux yeux. Un cercle avait été tracé au sol. C’est permanent ou juste pour l’occasion ?
L’adolescente se plaça sagement au centre et attendit la suite. Tout en patientant, elle jeta un regard par-dessus son épaule pour vérifier que son chauffeur était encore là. Celui-ci lui fit un petit signe de la main pour la rassurer. La Cinquième lui sourit et reporta son regard devant elle. Son cœur battait la chamade, son estomac était noué et elle fut pris.e d’une furieuse envie d’aller au toilette. Évidemment. Une voix puissante se fit entendre :
-Fermez les yeux, s’il vous plaît.
L’adolescente sursauta et sentit l’angoisse atteindre son paroxysme tandis qu’elle obéissait. Alors que Hiloy entendait des pas converger vers elle, dans son dos, la portière de la voiture claqua. Le moteur démarra et le véhicule s’éloigna. L’adolescente n’eut pas besoin de se retourner pour savoir que son chauffeur était parti. Un bandeau fut placé sur ses yeux, puis une main fine lui saisit le bras. Hiloy sentit un parfum flottait près d’elle, alors qu’on la menait avec précaution vers une autre voiture.
Elle tenta bien de deviner combien de virage était effectué, quelle distance était parcourue, mais abandonna vite. Quand le véhicule s’arrêta, l’adolescente aurait été bien en peine de dire combien de temps ils avaient mis pour arriver. On la fit sortir :
-Restez là.
La Cinquième obéit pendant qu’on lui retirait le bandeau. Plissant les yeux sous la luminosité du jour, elle découvrit une vaste cour au bout de laquelle se tenait un bâtiment rectangulaire d’un blanc terne. Hiloy put découvrir les visages de ceux qui l’avaient conduite. Il s’agissait d’un homme grand, aux épaules carrés, l’air peu aimable et une femme aux cheveux jaune attachés en chignon avec une mine pincée. Ils se placèrent face à elle, les mains devant eux. Ils s’inclinèrent profondément, puis l’homme parla :
-Voici les règles de l’école des héritiers. En tant qu’héritière, vous ne pouvez quitter l’enceinte de l’école. Vos courriers seront lus et vérifiés. Les chambres sont automatiquement fermées à dix-neuf heure et ouvertes à six heure trente. En tant qu’héritière d’or, vous pouvez demander à ce que l’on vous livre des objets de toutes sortes. Les colis seront vérifiés et nous nous réservons le droit de refuser vos demandes si l’objet peut être considéré comme une arme. Des fouilles pourront, d’ailleurs, avoir lieu à n’importe quel moment, que ce soit de votre chambre ou de votre personne, cela afin de s’assurer qu’aucune arme n’a été introduite. Vous avez également le droit de demander à changer de chambre. En tant qu’héritière des Cinq, vous ne subissez pas le couvre-feu. Vous êtes libre de quitter votre chambre à n’importe quelle heure. Vous n’êtes pas non plus obligée de participer aux activités de l’école. Si une de ces règles venaient à être brisée, l’expulsion serait immédiate, peu importe votre rang ou votre clan. Avez-vous compris ?
Hiloy hocha la tête. Ces règles, sa mère lui en avait déjà parlé. La femme fit un pas en avant :
-Si vous voulez bien écarter bras et jambes.
La Cinquième se laissa fouiller docilement, puis, une fois assurée qu’elle n’avait pas d’arme, son accompagnatrice lui donna une carte et une clé magnétique :
-Ici, se trouve votre chambre et voici votre clé. Vous y trouverez vos affaires.
Elle fit un pas en arrière pour revenir à la hauteur de son collègue qui demanda :
-Avez-vous des questions ?
L’adolescente secoua la tête, la gorge trop nouée pour pouvoir parler. Ils s’inclinèrent à nouveau profondément en disant en chœur :
-Bonne chance ! Nous espérons vous revoir en fin d’année.
Ils passèrent près d’elle sans lui jeter un regard pour regagner leur voiture. Hiloy les vit partir avant de jeter un œil à sa carte. Le bâtiment face à elle n’était qu’une entrée. Les terrains de l’école s’étendaient encore bien plus loin. La Cinquième s’inquiéta en voyant le nombre de bâtiment, se demandant comment elle arriverait jamais à s’y retrouver. Bon, déjà, trouve ta chambre. Ce sera pas mal. Le crissement de pneu sur les graviers de la cour lui fit tourner la tête. D’autres voitures entraient à la fil pour déposer les héritiers. Hiloy se mit en marche. Elle préférait rester seule pour ses repérages.