La première fois que cela m’est arrivé, c’était il y a quelques années. Avant j’étais trop jeune, sans doute. J’avais encore un pied dans l’enfance, donc aucune raison d’y retourner. Avec une amie, on avait craqué pour une glace à l’Italienne alors que nous nous promenions sur la corniche à Sète. Un endroit où je n’aurais certainement pas très envie mettre les pieds en été. Mais un week-end ensoleillé de mai, nous ne pouvions que remarquer toute l’eccéité de cette ville, aussi baptisée l’île singulière. Nous avions donc craqué pour une glace à l’Italienne. Une éternité que je n’en avais pas mangé. Mais, sous le charme d’un vendeur légèrement hâbleur, nous nous étions laissées tenter. À peine l’avais-je entamé que je m’étais senti prise dans un léger tourbillon qui m’avait renvoyé bien des années plus tôt, lorsque enfant, j’avais eu le droit à ma première glace rien qu’à moi. Elle était énorme, avec de la chantilly et de petits vermicelles. J’étais aux anges. Mes parents beaucoup moins, lorsque je ne réussis pas à la finir, comme ils me l’avaient prédit. Ce jour-là à Sète, ce fut simplement une petite réminiscence. C’est à peine si mon amie a remarqué une légère absence.
La deuxième fois, c’était au restaurant avec un groupe d’amis. En dessert, j’avais choisi une mousse au chocolat. Le goût de cette mousse me rappela celle de ma mère. Le tourbillon m’avait cette fois renvoyée à mes 7 ans, quand les dimanches rimaient avec piscine pour les enfants, tennis pour les parents et mousse au chocolat pour tout le monde. Une sensation si douce m’avait envahie, que j’avais eu un instant envie de me perdre dans ce souvenir. Malheureusement, bien vite, une blague un peu graveleuse d’un collègue potache m’avait ramenée parmi les adultes : “C’est Melon et Melèche…” Je vous épargne les détails. Mes amis avaient bien essayé de me faire comprendre que j’étais un peu bizarre ce soir-là. Mais ils s’exprimèrent avec trop de circonlocutions, et je n’avais rien compris. Je suis quelqu’un de franc et d’assez directe. Je n’aime pas chercher à comprendre les sous-entendus. Et j’aimais bien ces retours en enfance.
Ce soir, je ne me suis pas méfiée quand nous avons dégusté la tarte aux mirabelles faite par mon compagnon. Je ne me suis pas non plus inquiétée quand je me suis sentie tourbillonner vers mon enfance. Mais cela fait maintenant quelques heures que j’erre coincée dans un souvenir. Pendant des vacances chez ma grand-mère à la campagne avec tous les cousins. Très agréable au début. Mais ça fait maintenant vingt fois que j’entends ma grand-mère nous appeler pour le goûter. Vingt fois que je mange une part de tarte à la mirabelle. Succulente certes. Mais je commence à me sentir vaguement nauséeuse. D’autant que dans le même temps, j’entends, au loin, mon cher et tendre me parler d’une voix légèrement inquiète, tandis que je peux à peine lui articuler des monosyllabes. Comment vais-je me sortir de là ? Les fois précédentes, je n’avais rien contrôlé, j’étais revenu spontanément. Comme l’on sort d’une banale rêverie.
Il va falloir que je trouve une solution. Il faudrait que j’essaye de boire un café. Une boisson bien d’adultes qui me renverrait certainement d’où je viens. Rassurée, je me rue dans le salon afin de boire une goutte de café abandonnée au fond d’une tasse. “Pouah dégeulasse !” “Ça va ?”, me demande ma grand-mère. Merde, je suis toujours coincée. Ça ressemblait à une bêtise d’enfant de boire dans les fonds de tasses. Je réfléchis un instant. J’ai une idée : il faudrait que je me fasse un café. Le problème, c’est que déjà adulte, je ne maitrise que le jus de chaussette, alors enfant, cela risque de ne pas être brillant. Mais je n’ai pas le choix. Juste avant que ma grand-mère ne repropose de la tarte, je file à la cuisine. Je vide le paquet de café dans le filtre. J’ajoute un minimum d’eau. J’appuie un peu surtout les boutons, et là, miracle ! J’entends un ronronnement caractéristique. Je récupère la tasse juste au moment, ou ma grand-mère entre dans la cuisine. Juste le temps d’entendre sa voix qui me dit avec autorité : “Repose-moi ça tout de suite !”, j’englouti le breuvage immonde et revient au côté de mon compagnon.
Quel soulagement ! De son côté, mon compagnon semble perturbé. Il se demande ce qui a bien pu me laisser muette aussi longtemps. J’esquive ses questions, mais je l’ai échappé belle. Je peine à retrouver mes esprits. Je n’ai plus du tout envie de revivre ça. Jamais.
Ça n’a pas été facile ces dernières semaines. J’ai dû refuser des crêpes, des gaufres… Je n’ai pris aucun risque. Aujourd’hui, pour la première fois depuis ma dernière frayeur, nous avons passé la journée chez mes parents. Je craignais un peu, car s’il y a bien un endroit chargé de souvenirs et de parfums d’enfance, c’est bien chez eux. J’ai dû esquiver quelques douceurs, mais globalement ça a été. Plus important encore, personne n’a semblé me trouver bizarre. Du coup, je suis peu plus détendue. Comme un orage a éclaté en début de soirée, nous avons accepté de rester dîner et de reprendre la route quand la météo sera plus calme. Ma mère a fait des spaghettis à la bolognaise, je crois que ça devrait aller… À moins que… “Aaaaah”…
J’adore! Ça se lit tout seul et on ne sait pas à quoi s’attendre du tout! Une vraie petite merveille avant d’aller au lit. Merci!
Merci beaucoup, ça me touche vraiment 🙂
Bonjour Aude,
Ton Pen est ajouté au concours !
Du même avis que Aurore. Une petite merveille avant d’aller au lit.
Excellent! Fluide et bien amené
Merci, merci 🙂