Sur un des groupes Facebook dédiés à la photographie, une nouvelle publication apparaît, accompagnée de plusieurs photos. Elle date de la fin d’après-midi et déjà un certain nombre de ses collègues ont répondu à cette jeune femme qu’Erwann découvre au fur et à mesure des images qu’elle a postées.
Elle se prénomme Gwendoline, a trente-neuf ans et un visage d’ange. Voilà ce qui le frappe en premier. Une profonde douceur habite son regard émeraude lorsqu’elle fixe l’objectif. Sa seconde pensée est qu’elle ne les fait pas du tout, ses trente-neuf ans. Ni de visage, ni de corps. Elle est très fine et ses muscles sont bien dessinés. Il s’en rend facilement compte puisqu’elle est complètement nue sur deux des photos qu’elle a mis en ligne. Sur l’une d’entre elle, celle qui est en noir et blanc, elle est de dos et sa chute de rein est au centre de l’image. En revanche, sur celle qui est en couleurs, elle est de face, bras et jambes croisés sciemment pour cacher l’essentiel de sa nudité.
Ouch, qu’elle est belle, pense-t-il troublé.
Les clichés qu’il découvre sont assez médiocres en qualité mais elle a une vraie présence et un style extrêmement séduisant. Originale, elle porte ses cheveux gris naturels, ce qui est rare de nos jours tant les femmes, et même les hommes, usent d’artifices pour camoufler les signes de l’âge. Cela l’interpelle d’autant plus que son ex-femme n’avait de cesse de répéter à quel point elle trouvait cela disgracieux lorsqu’une femme ne se teignait pas les cheveux. Pourtant, force est de constater que sous ses yeux, cette femme a une magnifique et longue chevelure argentée qu’elle porte à merveille et qui lui va comme un gant.
Cela dit, Alice n’est pas un exemple à suivre, dans la mesure où elle souffre d’une piètre image d’elle-même. Ses reproches à l’égard des autres ne sont finalement que le reflet de sa mauvaise estime d’elle-même et son discours toxique trahit avant tout son dégout pour sa propre personne.
En revanche, la jeune femme qu’il a sous les yeux, par écran interposé, a l’air bien dans ses baskets et complètement à l’aise devant l’objectif qui plus est… il faut l’être pour oser se dévoiler ainsi.
Autre chose attire son regard embué par le manque de sommeil : les nombreux tatouages que portent fièrement la jeune femme. Celui de son dos est particulièrement réussi et superbement mis en valeur sur les images. En zoomant, Erwann reconnaît un mandala réalisé entièrement en dot, c’est-à-dire en pointillé. Il occupe tout le haut de son dos, partant de chaque côté de ses épaules fines et se terminant au niveau de la fermeture du soutien-gorge dont elle est vêtue sur la photo. Le résultat est bluffant et lui va à ravir. On dirait une paire d’ailes d’anges, tout en harmonie avec son image tendre.
Il constate également qu’il n’y a aucune faute dans la description qu’elle a jointe à ses photos, ce qui devient exceptionnel sur les réseaux sociaux. Malgré l’heure tardive, il se permet de lui envoyer un message en privé, par Messenger, en lui souhaitant tout d’abord une bonne année.
Peut-être est-elle déjà en train de dormir, ou encore en train de faire la fête, auquel cas, elle découvrira son message plus tard.
Erwann passe quelques minutes à chercher la bonne formule pour se présenter et exposer ses idées de shooting, veillant bien à ne pas faire de fautes dans son texte. Après avoir ajouté les liens vers son site web et son Instagram, il tente un trait d’humour en lui souhaitant d’éviter une indigestion à cause du réveillon. Lui-même sent encore tout le menu de ce soir peser sur son estomac.
Il ajoute son numéro de téléphone privé, un gage de confiance envers quelqu’un qu’il ne connaît pas, certes, mais surtout la preuve qu’il désire vraiment qu’elle lui réponde. Ainsi, il met toutes les chances de son côté.
Du moins, l’espère-t-il.
Éreinté, il éteint définitivement son portable, non sans avoir pris soin d’enregistrer toutes les photos de la jeune femme aux cheveux argentés qui semble ne plus vouloir quitter son esprit. Il se surprend lui-même à ressentir un tel enthousiasme pour une personne dont il ne sait rien. Qu’est-ce qui lui prend ? Cela ne lui ressemble pas du tout. Mais après tout, pourquoi pas ? La sensation qui naît au creux de son ventre est plutôt positive quoique déstabilisante. On verra bien où cela nous mènera, se dit-il philosophe. L’avenir nous le dira…
Dans le silence de son immense villa, bercé par l’unique bruit des vagues en bas de sa propriété, il tombe dans un sommeil profond, un léger sourire enfoui dans sa barbe.