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Erwann prend une longue inspiration et attrape un quignon de pain qu’il trempe dans son bol avant de le manger. Tout en mâchant, il regarde le plafond comme pour y puiser l’inspiration. Touché par les confessions de la jeune femme, il décide de jouer le jeu et de se livrer à quelques confidences :
– Je peux te parler de ma fille ?
– Avec grand plaisir, dit-elle les yeux brillants, tout en mangeant.
– Elle s’appelle Manon-Tiphaine, c’est son prénom en entier mais tout le monde l’appelle Manon, commence-t-il plus ému qu’il ne l’aurait souhaité.
Il repense à la générosité de sa fille qui n’est jamais avare de compliments et n’a de cesse de lui dire combien elle le trouve beau et stylé. Contrairement à certains adolescents, qui vivent cloîtrés dans leur chambre et préfèrent ne pas être vus en compagnie de leurs parents, Manon-Tiphaine adore passer du temps avec lui. Elle ne manque jamais une occasion de lui présenter ses amis, les yeux tout illuminés de fierté.
– J’ai une chance inouïe de l’avoir dans ma vie. Elle est ma première fan. Au moins autant que je le suis pour elle. Elle est très grande, sportive et intelligente. Quand elle est là, elle change mon monde. De par sa grâce, sa douceur et sa bonté, elle embellit ma vie. En tant que père, je me demande toujours si je suis à la hauteur.
Gwendoline l’écoute religieusement.
– Elle suit des cours à domicile pour pouvoir consacrer le plus de temps possible au surf. C’est sa passion. Manon est studieuse, elle bosse dur et partage son temps entre ses entrainements, ses compétitions et ses cours à la maison. Quand on passe quinze jours ensemble, en Bretagne, on s’accorde souvent des pauses dans la journée, puisqu’on travaille à la maison chacun de notre côté. On casse notre routine en jouant au tarot ou à la belotte, parfois même au poker lorsque qu’on des chocolats à miser après Noël ou Pâques.
Il sourit à l’évocation de ce détail et de sa gourmandise, un trait de caractère qu’il partage, comme tant d’autres, avec sa grande comme il l’appelle.
Tout en terminant son bol de soupe, il continue sur sa lancée :
– Souvent, les journées sont bien remplies alors le soir, c’est relâche, on s’amuse, on se divertit… L’hiver dernier, on s’est lancés dans d’interminables parties de Monopoly, avec nos propres règles du jeu. Des règles complètement loufoques, absurdes, mais qui nous ont fait bien marrer. L’hiver, c’est aussi l’occasion de binger ensemble une série, comme Peaky Blinders ou Vikings… ou de lui faire découvrir quelques vieux films de mon époque. L’été, on aime rester à discuter dehors le plus longtemps possible, dînant tardivement, presque à la nuit tombée. Ou aller se balader sur la plage au coucher du soleil. Marcher les pieds dans le sable et écouter le chant de la mer, tu sais, c’est très reposant…
– Tu as un vrai talent de conteur, Erwann, dit-elle, absorbée par son récit, j’en ai la chair de poule. J’ai presque eu l’impression d’y être, de participer à vos soirées.
– C’est normal, je suis breton. C’est dans nos traditions, explique-t-il avec fierté.
– Et la photo, elle aime ça ?
– Pas spécialement. Elle aime mon travail mais n’est pas particulièrement attirée par cette activité. C’est une sportive qui a toujours besoin de se défouler, de courir, de danser. Pour elle, la photo, c’est un peu trop contemplatif. Elle préfère que je lui apprenne à conduire plutôt qu’à faire des portraits.
Gwendoline sourit à cette remarque. Elle trouve Erwan touchant en papa gaga et dévoué. Elle sent tout l’amour qu’ils ont l’un pour l’autre et se retrouve dans l’éclat de ses prunelles lorsqu’elle aussi fait l’éloge de sa fille.
Plus Gwendoline le regarde et l’écoute, plus elle est sous le charme de cet homme sensible et attentionné.
Lorsqu’il se lève pour aller régler la note, elle le suit des yeux et observe son dos, ses fesses rondes et pleines et ses jambes musclées, délicieusement galbées dans son jean brut.
Bien que rassasiée par son menu quatre étoiles, elle se repait de cette vision idyllique d’un homme grand, fort et tendre. Son rêve devenu réalité. Pourtant, ce n’est pas un songe ou une apparition imaginaire. Il est bien là en chair et en os, prévenant, doux et serviable et quoi qu’il fasse, il a l’air absolument adorable.
Lorsque la beauté intérieure se reflète à l’extérieur et que les deux coïncident et se renforcent, la personne est magnifique.
Il existe donc ce beau fantasme qu’elle a si souvent réclamé à l’univers dans son journal intime. Elle est là, cette perle rare, aussi agréable d’apparence que de personnalité.
Comment ne pas succomber à un tel mélange, à un si beau spécimen ? L’Univers lui a bel et bien répondu et voici le résultat. Elle se sent pleine de gratitude pour cette magnifique rencontre, pour ce merveilleux repas en si charmante compagnie.
Elle termine sa tasse de café au lait lorsqu’il revient, glissant son portefeuille dans la poche arrière de son jean.
– Merci pour ce succulent repas, dit-elle avec un sourire plein de gratitude. Tout était parfait.
– Je t’en prie. C’est la moindre des choses. J’ai beaucoup apprécié aussi, confesse-t-il, presque gêné.
Est-il en train de parler d’elle, du repas, de leurs confidences, de la séance photo ou de la soirée toute entière ? Elle sent ses joues rougir à nouveau, embarrassée par l’attirance qu’elle ressent pour cet homme qu’elle connaît à peine.
Déjà vingt-trois heures, indique la pendule massive posée contre le mur en pierres apparentes. Le restaurant s’apprête à fermer ses portes.
Tandis qu’il l’aide à enfiler son manteau, elle n’ose plus parler de peur de rompre le charme. Elle ne veut pas le quitter si vite et se sent maintenant en forme, comme boostée par une énergie mystérieuse.
Est-ce le café au lait bu si tardivement qui fait son effet et la tient en éveil ?
Pour une couche-tôt comme elle, qui aime se lever aux aurores pour méditer, elle devrait déjà dormir. Elle s’était même imaginer utiliser cette excuse pour éviter de prendre un verre avec son photographe, comme cela se fait souvent, pour débriefer de la séance.
Cette fois-ci, elle réfléchit à toute vitesse pour trouver une idée de dernière minute qui le retiendrait encore un peu auprès d’elle.
Heureusement, c’est à nouveau lui qui trouve la solution…