Le serveur arrive avec leurs consommations qu’il dépose précautionneusement sur la table basse devant eux. Une assiette de chamallow grillés accompagne leurs chocolats chauds fumant et d’une belle couleur pralinée.
Erwann le remercie et échange quelques mots avec lui, ce qui laisse à penser qu’ils se connaissent. Apparemment, il est déjà venu ici à plusieurs reprises, puisqu’on le traite comme un habitué.
Se tournant vers Gwendoline, il commence les présentations.
– Cette magnifique jeune femme que tu vois est mon nouveau modèle, annonce-t-il avec un clin d’œil. Nous avons fait une séance sur le pont de la Jonelière au coucher du soleil. Elle a failli mourir de froid pour la beauté de l’art. Gwen, voici Fred, le patron de ce gourbi, ajoute-il pour plaisanter.
– Enchantée Fred. Votre canapé est merveilleusement confortable et votre déco est superbe, le complimente-elle sincèrement.
– Merci beaucoup Mademoiselle, répond-il avec un sourire enjôleur dévoilant des dents légèrement espacées. Dis-moi l’artiste, est-ce que tu comptes exposer à nouveau ici, prochainement ?
– C’est en projet. Je fais d’ailleurs des recherches en ce sens et je pense que la séance avec Gwen sera propice à ce type de thème.
– Super, tu nous donneras tes dispos pour qu’on imprime des flyers. La dernière fois, ton expo a fait salle comble et Greg, (c’est mon associé, précise-t-il à l’attention de Gwendoline), était ravi du chiffre d’affaires. Tu es doué, il faut dire ce qui est ! Renchérit-il, élogieux tandis qu’Erwann, qui commence à se sentir mal à l’aise face à ces compliments, fait tourner ses anneaux autour de ses doigts. Une habitude qui n’a pas échappée à la jeune femme.
– Eh bien, quand je suis très inspiré, le résultat ne peut être que bon, argumente-il en regardant attentivement la jeune femme qui se sent un peu gênée, mais néanmoins flattée par ses sous-entendus.
– Profitez bien de vos boissons les jeunes, et tiens-moi au courant mec. Gwen, ravi d’avoir fait votre charmante connaissance.
– Tout le plaisir était pour moi, répond-elle.
– A votre service, conclut le serveur en se penchant légèrement en avant comme pour lui faire une révérence.
Fred, dont l’attitude lui paraît exagérément maniérée, se retire vers le bar, tenant son plateau rempli en l’air, à bout de bras. Elle le dévisage et remarque sa démarche chaloupée et son style vestimentaire très près du corps. Son intérêt pour Erwann n’est peut-être pas dirigé que vers ses talents d’artiste… Soudain, elle s’interroge sur l’homme qui est assis à côté d’elle. Qu’il plaise à la gent masculine avec son style hipster, c’est évident, mais son allure soignée n’en fait pas un gay pour autant. Beaucoup d’hommes prennent soin d’eux et aiment porter des bijoux sans que cela n’enlève quoi que ce soit à leur virilité, bien au contraire. D’ailleurs, elle les adore ses bijoux et trouve que cela lui donne un charme fou et beaucoup de personnalité. Pour quelqu’un comme elle qui n’aime pas les gens transparents, un homme qui affiche ses goûts et aime s’exprimer à travers son image, c’est du pain béni.
Quant à Fred, qu’importe son orientation sexuelle, elle n’a pas à le craindre vu la façon dont Erwann la dévore des yeux depuis leur rencontre. Elle repense à son clin d’œil et aux mots qu’il vient de prononcer et se demande ce qu’elle doit en conclure.
Est-il lui aussi sous le charme ? Comme en écho à ses propres questionnements, une légère tension s’installe entre eux. Ils se dévisagent quelque peu gênés, comme lisant dans les pensées l’un de l’autre.
De son côté, Erwann cherche de quoi se donner une contenance en lui tendant la grande tasse avec sa soucoupe. Elle se redresse pour la saisir et y porter les lèvres. Le crémeux et la douceur du mélange de lait et de vrai chocolat en morceaux la comble. Elle pousse un soupir d’extase.
– Hum, c’est délicieux, vraiment…
– Content que cela te plaise. Ils sont très cools ici et le personnel est aux petits soins… et pas le moins du monde avare en compliments, comme tu as pu le constater par toi-même. Je viens souvent depuis que… Enfin souvent.
Il se tait et fixe sa tasse, silencieux. Elle le sent touché, déstabilisé.
Voyant qu’il se perd dans ses pensées, elle prend le relais en continuant la discussion, impatiente d’en apprendre davantage sur lui.
– Si je comprends bien, tu es déjà venu exposer ici ? Dommage d’avoir manqué cela…
– Il y aura d’autres occasions. Comme les photos que l’on a faite ce soir seront destinées à une exposition, j’aimerais que tu me donnes ton avis sur celles que tu voudrais montrer au public. C’est ton image après tout. Je peux en sélectionner quelques-unes, les retoucher et te les montrer de visu pour que tu me fasses part de tes impressions. C’est un travail d’équipe et ton opinion m’importe.
– C’est très gentil de ta part, merci. Vu ton talent, je suis sûre que certaines valent le coup d’œil.
– Merci. En tout cas, j’ai beaucoup aimé l’énergie que tu as eu durant le shooting. Il y aura de très belles choses.
– Rien à voir avec les photos, intervient-elle en changeant subitement de sujet, mais j’ai remarqué que tu n’as pas commandé d’alcool tout à l’heure au restaurant, pas plus qu’ici. Je me demandais…
La présence alcoolisée de son ex Jérémy n’est pas étrangère à sa réflexion. Voyant qu’elle tourne les yeux vers lui et sa bande de potes, il comprend directement où elle veut en venir.
– Je ne bois pas. Ou plus, en réalité. Je n’ai jamais été un grand amateur de vins ou spiritueux…
Erwann n’a jamais aimé l’alcool. Pourtant, à l’époque de son mariage, il buvait régulièrement, habitude qu’il a perdue dès leur rupture. Il s’est alors rendu compte qu’il acceptait de boire principalement pour accompagner sa femme et lui faire plaisir, mais sans en ressentir le besoin, ni l’envie. Arrêter cela a été libérateur pour lui, ce fût comme couper un lien qui l’unissait à Alice contre son gré. Il rompait définitivement avec celle qui était partie pour un autre, celle qui l’avait blessé au plus profond de son être. Il reprenait peu à peu son pouvoir et se sentait davantage autonome et libre de ses choix. Son dernier verre remonte à la soirée du nouvel an où il a accepté de trinquer avec ses potes, sans quoi ils ne l’auraient pas lâché. Et il faut dire que question alcool, Quentin et Richard font honneur à la réputation des bretons.
– Et toi ? Tu n’as rien commandé non plus, et je n’ai pas pensé à te le proposer, regrette-il soudain.
– Je ne bois pas du tout. Je n’en ai jamais eu envie et je ne crois pas que cela soit une bonne chose pour la santé, alors…
– Jamais d’alcool ? répète-il, presque surpris de sa réponse.
– Jamais, non, conclut-elle avec un large sourire.