– Il dormait nu à côté de vous dans le même lit ? Interroge la thérapeute pour s’assurer d’avoir bien compris.
– Oui. C’est dingue non ? Aujourd’hui, si on proposait à ma fille de dormir à côté de son oncle nu, elle dirait non, bien évidemment. Mais moi, je n’ai rien dit. J’ai fermé les yeux en quelque sorte. C’est drôle, car je n’ai presque pas de souvenir de cet épisode et pourtant je me rappelle très bien de ce qui m’arrivait la journée, en classe. Il y a plein de détails que je garde en mémoire, comme le fait que j’avais une petite copine qui s’appelait Félicie, ou que dans cette école, il y avait deux maitresses pour notre classe : une le matin et une l’après-midi. Mais, c’est étrange, je n’ai presque pas de souvenirs de ce qui se passait le soir, après l’école. Et notamment au moment du coucher. Hormis le fait que je revois mon oncle s’allonger à côté de moi et que je sais qu’il est nu, je ne me rappelle quasiment rien. Bizarrement, c’est aussi à cette époque qu’on m’a détecté un problème de vue. J’ai une très mauvaise vue en réalité. C’est marrant, non ? Enfin marrant, je me comprends, mais quand même, on dirait que mon corps a vraiment fait en sorte que je ne vois rien, que je ne me rende compte de rien. Comme pour me protéger….
– C’est probablement ce qui s’est passé, effectivement. Et c’est très courant dans toutes formes de traumatisme…
– Alors voilà, je n’ai pas voulu voir, comme avec Jérémy. J’ai préféré faire abstraction de ce qui me déplaisait. A présent, j’ai ouvert les yeux et enlevé mes œillères et je suis prête pour la suite, dit-elle avec une assurance légèrement forcée.
– Comment vous sentez-vous dans cette nouvelle configuration ?
– Blasée, à vrai dire. Heureuse de m’être libérée de ce poids et de cette relation qui ne me convenait plus, mais aussi… Lassée. Nous sommes à la veille du réveillon de Noël et je suis à nouveau célibataire. Seule et célibataire. Comme toujours. Éternellement célibataire, c’est pathétique. Bien sûr, je préfère être seule que mal accompagnée, mais en réalité, je préfèrerai surtout rencontrer la bonne personne…
– Ce serait quoi la bonne personne pour vous ?
– Un homme, un vrai.
– C’est-à-dire ?
– Et bien, c’est peut-être lié à cette époque où j’ai été au contact avec un garçon bien plus âgé que moi lorsque je dormais avec mon oncle mais j’ai remarqué que je n’avais fréquenté que des mecs beaucoup plus jeunes que moi tout au long de ma vie sentimentale… Tous mes ex ont le même profil : des garçons plus jeunes, immatures, irresponsables, qui ne prenaient pas leur vie en main et attendaient que quelqu’un s’occupe d’eux à leur place. Des petits garçons ayant besoin d’une mère, en gros.
– Mais c’est aussi vous qui les choisissiez, en quelque sorte, ces petits garçons…
– Oui, bien sûr. J’imagine que cela me rassurait. Comme si j’avais peur des hommes, de me confronter à eux…
– C’est quoi pour vous un homme ? demande la thérapeute, toujours à l’écoute, tout en notant quelques informations dans son calepin.
– Et bien, vous savez, un homme, il a une sorte de carrure, pour ne pas dire de charisme, de prestance. Il s’agit peut-être de maturité, je ne sais pas comment appeler cela. Il est établi dans la vie. Il a une situation financière stable et confortable. Il est responsable. On peut compter sur lui. Et il sait ce qu’il veut. Il n’attend pas quelqu’un pour lui dicter sa vie. Il prend les devants. Il fait preuve d’initiative.
– Et c’est cela qui vous fait peur ?
– Non, plus maintenant, enfin moins, disons. Puisque à présent je préfèrerai un homme comme cela, ayant les épaules pour me soutenir, sur qui je pourrais compter, avec qui je me sentirai sur un pied d’égalité. Et en sécurité aussi. Mais, il n’y a pas que cela. J’avais demandé à l’Univers un homme qui veillerait sur moi et me ferait du bien, mais Jérémy, comme tous les autres, n’a pas du tout répondu à mes attentes. Bien au contraire ! crache-t-elle avec dégout.
– Comment cela ? Qu’est-ce qui vous met en colère, Gwendoline ?
– J’en ai marre qu’on m’abime ! hurle-t-elle tout en explosant en sanglots.