Retenez-moi, je vais l’étrangler ! (Chapitre 3.1)

5 mins

2 janvier 2022

– Vous ne connaissez pas la dernière ?

– Non, mais j’ai hâte de vous entendre, Gwendoline, répond Véronique malicieusement.

La thérapeute est vêtue d’un pantalon de cuir très tendance et d’une blouse au tombé parfait. L’ensemble est très seyant et bien que d’une humeur massacrante, Gwendoline sait apprécier le bon goût vestimentaire de sa spécialiste.

– Jérémy est le dernier des connards. Mais genre vraiment. Un très très gros connard.

La jeune femme, très remontée, soupire comme si elle voulait évacuer le trop plein de contrariété qu’elle avait accumulé en elle depuis des jours.

– Que s’est-il passé pour que vous soyez dans un pareil état dès le début de l’année ? interroge Véronique, quelque peu amusée.

– Tout a commencé quand cet abruti a commenté une de mes photos sur Instagram.

– C’était méchant ? intervient la thérapeute.

– Non, pas du tout, au contraire. Il m’a complimenté. En privé, via Messenger, il m’a confié que me voir nue sur la photo lui rappelait de bons souvenirs. Je lui ai répondu que c’était normal que cette photo le titille, que c’était sûrement parce qu’il devait « avoir faim ».

Gwendoline mime les guillemets pour bien souligner que c’est une expression et non un terme à prendre aux pieds de la lettre.

– Ça nous arrive encore d’échanger parfois quelques mots, notamment au sujet de mon travail de modèle, continue-t-elle. Du coup, par politesse, j’ai pris de ses nouvelles. J’en viens aux faits. Monsieur a un plan cul, voilà ce qu’il m’a dit. Ah non, pardon, voici ses mots exacts : Monsieur baise une étudiante.

Véronique ouvre des yeux tout ronds, probablement aussi surprise que Gwendoline l’a été quand elle a eu l’information pour la première fois.

– Rappelons-nous que ce mec n’a pas arrêter de me bassiner avec son respect des femmes… blablabla… Laissez-moi rire. Mais ce n’est pas le pire, croyez-moi. Accrochez-vous, vous n’allez pas être déçue.

– Ah oui ? Je m’accroche, je m’accroche, dit la thérapeute en souriant et en attrapant les accoudoirs de son fauteuil.

– Je l’ai félicité d’avoir trouvé quelqu’un « à baiser », pour reprendre ses termes. C’était bien sûr ironique, mais comme il est con comme une bite, il n’a pas dû comprendre. Comme il avait l’air très content de lui, je lui ai demandé si elle était au moins jolie. A vrai dire, à le lire, j’avais plutôt le sentiment qu’il avait pris la première qui passait et qui était d’accord pour écarter les cuisses. Enfin bref. Du coup, il m’a dit qu’elle était pas mal. En précisant qu’elle n’était pas aussi bien gaulée que moi, mais que ça allait. La jeune femme appréciera sûrement tout le respect que ce débile a pour elle…. Et là, attention Véronique, heureusement que vous êtes assise. Vous n’allez pas en croire vos oreilles !

Gwendoline respire un grand coup et, pour amplifier l’effet théâtral de son annonce, attend quelques secondes avant de lâcher sa bombe en parlant très distinctement et lentement :

– Il a ensuite ajouté : par contre, elle n’est pas aussi cochonne que toi. COCHONNE. Oui, oui, Véronique, vous avez bien entendu !

La thérapeute prend un air navré, comme si elle se mettait à la place de sa patiente. Pleine d’empathie, son visage montre sa désapprobation envers les propos de Jérémy.

– Non, mais sérieusement, vous pouvez croire ça ?? Ça ma scié en deux ! Cochonne, moi ? Mais il est tombé sur la tête ce pauv’garçon ! Mais quel imbécile ! Mais quel putain de connard de merde !

– Effectivement, je comprends votre colère, Gwen. C’est vraiment rabaissant de parler de vous ainsi.

– Imaginez un peu l’effet que cela m’a fait. Lui, à qui j’avais donné ma confiance, à qui j’ai présenté ma fille ! Un mec à qui j’ai ouvert mon cœur, pour lequel j’avais commencé à nourrir des sentiments, voilà ce qu’il retient de notre histoire ? Que je suis une cochonne ? Mais quel gougnafier !

– Lui avez-vous dit que cela vous choquait ? Ce que ces mots vous faisaient ?

– Bien sûr, je lui ai dit que j’étais outrée qu’il parle de moi ainsi et que ce n’était pas digne de quelqu’un qui prônait le respect des femmes. Alors, il s’est corrigé et a dit : elle n’est pas une fille aussi ouverte d’esprit que toi, si tu préfères. Ben tiens ! Évidemment que je préfère, débilos. Mais c’est trop tard. Comme si cela changeait quelque chose désormais. Ouverte d’esprit, mon cul !

Gwendoline se lève d’un bond et commence à marcher de long en large dans la pièce. S’excusant auprès de Véronique, elle explique qu’elle a besoin d’évacuer sa rage.

– Oui, il y a de quoi être en rage face à ses propos. A votre avis, qu’est-ce qu’il entend par « cochonne » ? Et pourquoi cela résonne-t-il si fort en vous ? Interroge très calmement la thérapeute.

– Cet abruti a dit ça parce que je suis une femme libérée au lit. J’assume ma sexualité, je n’ai pas honte de chercher à prendre du plaisir, avec un homme ou seule. J’encourage d’ailleurs la masturbation. J’aime le sexe, c’est vrai, mais au même titre que j’aime la bonne bouffe, les bons livres ou dormir ! Il n’y a rien d’exceptionnel là-dedans. Le sexe fait partie de la vie et contribue à notre épanouissement. Ce n’est pas réserver qu’aux hommes ! J’en ai tellement marre d’entendre ce discours d’arriéré ! Quand est ce que les femmes pourront revendiquer le droit de vivre une sexualité saine et pleinement satisfaisante sans passer pour des salopes, des grosses putes ou des cochonnes ?

– Les choses vont en ce sens actuellement mais les changements sont lents, il est vrai. Dans tous les domaines. Une étude à montrer que désormais les hommes participaient à hauteur d’une minute de plus par jour aux tâches ménagères.

– C’est une blague ? Une minute ? Ça va, ils ne risquent pas le claquage…

– C’est ridicule comme avancée mais on peut espérer que les choses s’améliorent pour plus de parité.

– Vous voulez que je vous dise Véronique. Tout ça, c’est de notre faute, en vérité. C’est la faute des femmes. Vous savez pourquoi ? Parce qu’elles laissent faire ce genre de choses. Si les femmes refusaient de faire le ménage au lieu de le faire seule à la place de leur mec, on n’en serait pas là aujourd’hui. Et c’est pareil pour tout ! Prenons l’exemple de la sexualité. Combien de femmes acceptent qu’un rapport sexuel soit terminé dès lors que l’homme a joui ?

– Ça, c’est bien vrai.

– Mais en quel honneur ? Arrêtez-moi si je me trompe mais on n’aurait pas oublié qu’il y a deux personnes dans l’équation ? Et la femme et son plaisir ? Quel est le connard qui a décrété que c’était l’orgasme masculin le signal de fin ? Et maintenant, voilà que si on demande à un homme de nous faire jouir, on se fait traiter de cochonne ! J’ai été patiente avec lui. Patiente et compréhensive. Et pour quel résultat ? Cochonne ? Non mais je rêve ! Comme je regrette de lui avoir fait confiance ! De l’avoir laisser me toucher avec ses sales pattes ! Éructe-t-elle en se rasseyant brusquement sur le canapé.

– Prenez quelques respirations conscientes, Gwen. Revenez à vous et à votre corps. Respirez avec cette colère qui vous traverse en pensant à ce que Jérémy a dit de vous. Accueillez cette rage qui se manifeste physiquement. Remarquez où elle se situe. Dans quelle partie de votre corps s’est-elle logée ? Est-ce dans votre ventre, dans vos bras, dans votre poitrine ?

– Dans ma gorge… ça ne passe pas. Ça me reste coincer en travers de la gorge. Ça me brûle et c’est douloureux.

– Qu’est-ce qui vous reste coincé en travers de la gorge ?

Le silence dans la pièce se fait pesant. On entend désormais la pluie tambouriner contre le plafond de verre. Gwendoline se mord les lèvres. Ses yeux brillants ont du mal à croiser le regard de sa thérapeute. La honte l’envahit…

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