Big Fish

3 mins

Il y a quelques années de ça, j’avais réussi à chopper un gros poisson. Je me souviens de ces petits festins, de ces moments partagés au bord de l’eau, j’avais la nostalgie de ce doux souvenir …Alors, plus d’une décennie après j’ai ressorti ma canne à pêche et j’ai tenté de le repêcher, de le faire venir à moi et cela a fonctionné. Une première prise bien aiguisée, plutôt concluante, il m’a raconté ce qu’il était devenu et j’ai fait pareil. Il m’a fait visiter son océan de plaisir reprenant la mélodie qu’on s’était joué autrefois. Oui il faut savoir que le gros poisson avait le pouvoir de m’envoûter car il connaît le chant des sirènes… je n’avais pas nagé comme ça depuis plus d’une décennie et au détour d’une baignade j’ai même aperçu un arc en ciel. J’avais renoncé à la pêche depuis tant d’années. 

Mais voilà, après ce moment de folie et de liberté, le gros poisson est reparti nagé en eaux troubles pour se dissimuler dans sa vase.

Alors, comme tout bon pêcheur qui se respecte, j’ai lancé quelques appâts, comme une bouteille à mer. J’étais motivée comme jamais, il fallait que je remette mon gros poisson au menu. Mais j’avais oublié que les poissons aimaient le silence et naviguer seul. 

Dans la marre encore toute floutée, j’ai cru apercevoir une silhouette alors, j’ai pris ma canne et je fis mon plus beau lancé. Je sentis son poids s’accrocher à mon fil et hop ! Je n’avais plus qu’à le remonter. Mais ce n’était pas aussi facile que je me le rappelais…

parfois il faisait semblant de vouloir se laisser attraper pour au dernier moment tirer fuyant d’un coup sec comme pour montrer qu’il était le seul capitaine à bord qui maitrisait le lien. L’épisode se reproduisit, ainsi de suite et certains soirs j’ai même été contrainte de le finir à l’épuisette, rampant dans les marécages jusqu’aux genoux pour ne pas le perdre de vue… Je voulais repêcher mon gros poisson coûte que coûte.

Big Fish se laissait parfois attraper. C’était devenu régulier comme une sorte de petit jeu qui s’était installé entre nous. Mais le reste du temps, quand il ne se laissait pas prendre dans mes filets, il me laissait là, au bord de l’eau pendant des jours à attendre le moindre petit mouvement de sa part… J’étais ce pêcheur qui attend, patiemment à côté de sa ligne qu’un petit geste se laisse entendre, sursautant au moindre frétillement de l’eau… des jours et des nuits passaient et au final, j’étais devenue un pêcheur à 100 % car je passais plus de temps à l’attendre revenir, qu’à le déguster….

Au bord de l’eau, j’ai fini par m’endormir et par me laisser convaincre que s’il ne revenait plus, ce ne serait peut être pas plus mal. Sentir le bonheur de le voir revenir aussi peu de temps ne me remplissait plus assez, l’euphorie de la pêche était passée et j’étais fatiguée d’attendre, me demandant comment le jour sans fin allait se terminer. 

et puis soudain, j’ai réalisé que le besoin de solitude ne devait pas être la seule raison.

je me suis alors levée pour aller faire un tour de l’autre côté du lac.

là devant moi il y avait cette belle femme translucide et j’ai eu soudain le sentiment d’avoir une apparition. Était ce un rêve ? Un fantôme ? 

Dans l’eau d’où une vapeur s’échappait, il était là mon gros poisson, observant le souvenir de celle qui l’avait ferré autrefois. Dans son regard, il y avait une admiration mélancolique de leurs jours d’autrefois. Il lui racontait combien il avait l’impression de mourir à petit feu, que ce trop plein d’amour le consumait, qu’il se sentait trop et pas assez à la fois, vide, livide, comme si ses membres lui faisaient faux bond, qu’il terminerait seul, triste et dévoré par elle, qu’il se sentait dans un gouffre dont il était piégé seul à l’intérieur… 

J’ai alors compris pourquoi mon big fish ne revenait pas. Il était hanté par la pêcheuse d’antan qui pouvait le tenir pendant des heures éveillé. Je n’avais jamais vu mon gros poisson aussi envouté. Mes oreilles bourdonnaient de ses paroles..

Triste devant l’évidence, je repensais à nos souvenirs et à ce petit éclat que je croyais voir de temps à autre dans ses yeux quand il venait à moi. 

Je n’étais qu’un jeu sans intérêt, un moment que j’avais pris comme particulier mais qui n’était qu’une façon de le rassurer qu’il savait encore un peu jouer…

Alors, essuyant mon visage trempée par mes larmes qui se mélangeaient à la brume du soir qui venait de s’abattre, je suis retournée à ma place. 

Je me suis relevée, j’ai posé ma canne, mes appâts et je suis partie. 

Parce que finalement, on ne peut pas pêcher un poisson qui ne veut pas se laisser attraper…

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