Fuir la ville et ses banlieues incendiaires. Au pied des immeubles larges et hauts, des bandes nous rançonnent, nous menacent, nous empêchent de profiter du peu de libertés qui nous restent encore. Nous ne sommes même plus enfermés dans l’infernale routine.
Sans électricité, sans pétrole, sans gaz, les idées, même les plus géniales, ne nous servent à rien. Nous sommes coincés dans un tunnel sans bout. Plongés dans la nuit la plus noire. Celle dont ne nous pouvons échapper qu’en risquant mille fois notre vie.
Quand plus rien n’est possible, il faut partir. Quitter l’urbanité. Prendre ses pieds et un léger bagage. Un reste d’eau. Plus la force d’attendre l’étoile du bonheur retrouvé. Plus l’envie de nous cacher pour éviter le pire. Trop dur, cet exil en latence.
Violences des temps présents qui nous soumettent. À corps perdu, nous avançons coûte que coûte vers le gouffre. Il fait chaud, terriblement chaud. Nos corps presque nus souffrent depuis tant de temps. Mais nous marchons, nous marchons, pour lui échapper. En vain.
Marcher, toujours marcher, des jours durant. Descendre vers le Sud. Sous une canicule qui n’en finit plus. Déjà 150 kilomètres dans les jambes. Les pieds en compote, les orteils cloqués. Cuisses lourdes. Cœurs brisés. Esprits en déroute. Totale. Irréversible.
30 jours déjà. Presque tous en guenilles. Femmes et hommes confondus. Une odeur immonde nous accompagne au quotidien. Des rivières à sec. De rares étangs croupis. Le peu d’eau que la nature nous donne nous permet juste de ne pas mourir.
La fureur des villes ne nous a pas suivis. Le seul point positif de notre exode nécessaire. Les forêts où nous avançons depuis plusieurs jours donnent à nos corps un peu plus d’apaisement. Cette après-midi, nous avons tué notre premier cerf. Personne ne refusera d’en manger.