(musique originale : Perturbator – “Sentient”)
Je pensai qu’elle préférerait la nuit pour se révéler. Après une journée infructueuse, les autres étaient partis dans leurs caravanes, se reposer un peu. Sans quitter leurs vêtements, au cas où l’alarme d’intervention retentirait. Peu importait, si cela arrivait, que je sois présent ou pas, Bud et Mila se chargeraient des tâches ridiculement simples auxquelles nous étions désormais confrontés. Une nouveauté.
Durant les semaines qui avaient suivi l’arrivée du nouveau Doc, je n’avais rien réparé. Rien de gratifiant, ou de très compliqué. Aucun modèle d’exception. Sur l’autoroute, avec le flux constant de véhicules roulant entre 250 et 350 km/heure, ce manque de travail mécanique constituait une aberration statistique. Et si je ne réparais rien, Doc en revanche, en soignaient plein. Cela signifiait que la Dame Rouge, pour une raison qui m’était inconnue, m’avait abandonné. Et elle l’avait choisi lui, notre nouveau Doc, afin de me remplacer.
Plus tôt, un soleil puissant et haut faisait ondoyer le bitume de la Dame sous une chaleur écrasante. Un code 1, une supercar signalée à l’arrêt, en plein sur la voie centrale. Une Subaru Sprinbok, modèle 4.75 de couleur verte hunter, avec pellicule mouvante irisée. Aucune collision, une simple panne, que la Dame Rouge avait immédiatement repérée à travers les optiques de ses caméras à algorithmes intelligents partout disséminées, et les fins duvets sur ses bras s’étaient hérissés, quand en réaction à l’incident, elle avait lancé le déploiement automatique des ralentisseurs. Sur près de cinq kilomètres en amont, des murs en titanes rétractables avaient surgi des voies. Hauts de quatre-vingt-dix centimètres, et fusionnés à la structure même de l’autoroute, les ralentisseurs étaient capables d’arrêter net les plus lourds véhicules lancés à trois cents kilomètres/heure. “Ralentisseur” n’était donc pas un nom très approprié.“Stoppeur” aurait été plus adéquat. Malheureusement pour nous, aucune collision ne fut à déplorer. Par une causalité impossible à analyser, signe annonciateur de ma future faillite, depuis cinq kilomètres en amont, aucun véhicule n’avait foncé dans les ralentisseurs. Les usagers s’étaient gentiment arrêtés.
Lorsque nous avions surgi de notre voie d’urgence, il n’y avait que la Subaru qui nous attendait. Elle, sa calme immobilité et ses vitres teintées, impénétrables. Sa pellicule irisée explorait tous les spectres des couleurs visibles, avant de revenir à son vert hunter initiale.
Il s’agissait d’un modèle courant, mais au vu des modifications extérieures et échappements, la Sprinbok avait été transformée en supercar. Cela signifiait que son conducteur avait les moyens de se payer mes services, assurance ou pas. Son véhicule accepterait la plupart de nos pièces et circuits modifiés par mes soins. Je ne redoutais aucune complication. Le conducteur serait heureux d’accepter notre facture, car s’il refusait ma prestation de réparation sur place, et il en avait le droit, si nous nous contentions de déplacer violemment et gratuitement son véhicule sur la voie d’arrêt d’urgence afin de rétablir le trafic, plusieurs heures seraient nécessaires aux mécaniciens de Subaru pour avoir les autorisations officielles qui leur permettraient d’intervenir ici. Une longue attente, durant laquelle beaucoup de choses terribles pouvaient arriver. Comme les scavengers, qui ne tarderaient pas à localiser un véhicule de cette qualité à l’arrêt. Ils grimperaient le long des pieds en bétons de la Dame, à l’aide de leurs griffes d’acier, affamés de désosser de la mécanique ou du biologique… Mon intervention était logiquement inévitable. En plus, il y avait de grandes chances pour que je sois le seul à rentabiliser cette sortie. Bud traînerait, en faisant semblant, comme d’habitude, de m’aider dans des tâches bien au-delà de ses capacités limitées, Mila ne s’y intéresserait même pas. Quant à Doc… Doc ferait l’éclatante démonstration à Père de son inutilité.
Ces certitudes me berçaient dans une langueur rappelant les siestes de fin d’après-midi. L’arrivée de Doc n’avait pas changé nos traditions, Mila refusait toujours que je voyage dans l’habitacle avec eux. A genoux dans la remorque dédiée aux soins, séparé d’elle par une fine trappe en plexiglas, j’admirais sa nuque, le grain de sa peau, le noir profond de ses cheveux. Jamais autre part qu’ici je me pouvais me trouver physiquement aussi proche d’elle. J’en profitais pour rêver. Dans ces rêves éveillés, je passais ma langue le long de son cou gracile. Je respirais son odeur. Je faisais reposer dans le creux de ma main la partie arrière et bombée de son crâne… Le camion s’était arrêté à dix mètres de la Subaru, Bud utilisa le haut-parleur. J’entendis sa voix résonner des mêmes mots officiels : ” ici les services d’urgences autoroutiers, nous sommes venus vous offrir assistance mécanique et médicalisée. » Mila avait trafiqué la trappe pour que je ne puisse plus l’ouvrir de l’intérieur, aussi je dus frapper du poing pour attirer leur attention. Elle mit beaucoup trop de temps à se tourner et à la faire coulisser.
– QUOI ?!
– Dis-leur de revenir au camion.
– Pourquoi ?
– On a un problème, avec l’identité du client.
– Mais qu’est-ce que tu racontes ?
– La voiture possède de fausses ID, c’est du sérieux.
Mila sortit la tête par la vitre et les rappela. Bud et Doc étaient presque arrivés à hauteur du véhicule. L’urgence de son ton leur fit parcourir la distance retour au petit trot. Le, ou les conducteurs de la Subaru, n’avaient pas bougé. Impossible de savoir combien ils étaient, ni ce qu’il se passait à l’intérieur. Mila objecta qu’elle avait vérifié l’ID de la voiture, Doc grimpa dans la cabine, j’arrachai le grain de latex situé à la base de mon crâne et déroulais mon hypercoaxiale pour la tendre à bout de bras, à travers la trappe minuscule. Je désignai à Mila le terminal antique et ses chiffres verts-baveux. Elle me connecta, en prenant soin d’afficher une mine dégoûtée après avoir touché ma connexion. À cette image, Doc qui ne savait pas encore à propos de ma connectique, poussa grands cris et demandes d’explications. Bud, qui avait repris sa place derrière le volant, lui demanda de se la fermer un peu.
Je leur commandai :
– Relisez tous chacun votre tour et à voix haute le numéro de plaque holo de notre client.
Bud allait du terminal à la plaque de la voiture, n’arrivant pas à y croire, il s’en frottait les yeux.
– Je ne comprends pas… Personne ici ne lit les mêmes numéros ?
– Je vous expliquerai plus tard. Partons immédiatement.
La voix de Père raisonna alors à travers mon interface.
” Fils, que se passe-t-il là-bas, dans votre beau pays ?”
Je fis signe à mes coéquipiers de se brancher. Bud et Mila installèrent au creux de leurs tympans leurs systèmes coms. Avant de répondre à Père, et pour ne pas avoir à me répéter, j’attendis qu’ils soient tous en conférence. Une visière holographique jaune et translucide apparut devant leurs yeux. Sauf Doc, qui n’ayant pas encore reçu son système de communication, restait exclu de notre petite réunion. Ça m’allait.
” Fils…
” Père, cette voiture possède un système de brouillage pour se rendre invisible aux scanners de l’autoroute. Au début, je crus que les longueurs d’ondes étaient dues à une dysfonction de la pellicule irisée, mais non. La Subaru utilise un perturbateur par résonance intracrânienne. C’est la raison pour laquelle chacun perçoit une immatriculation différente.”
” Alors, c’est une voiture volée…”
” Aucun voleur ne serait assez fou pour emprunter l’Autoroute du Diable. Et aucun n’a accès à ce genre de technologie.”
Bud :
” Pourquoi ils restent là, sans bouger ? »
Mila:
“Parce qu’ils n’ont nulle part où aller à pied. La prochaine sortie est à plus de deux cents kilomètres. Si Loss a raison…”
” J’ai raison.”
“… Et si j’étais à leur place, bloquée… J’appellerais des renforts, et j’attendrais.”
En réaction à nos conclusions, Mila se précipita vers la boite à gants du camion dont elle sortit son 357 Magnum crosse en strass, série Hello-Kitty limited. Bud lui, décrocha de son support caché sous les longs pare-soleils, son fusil Spas 12, série HSBC. Doc, qui n’avait pas suivi les derniers développements, se mit à paniquer. Mila le calma d’un geste sec, Père réfléchissait. Nous attendions. A contre-cœur, il finit par trancher :
” Les enfants, vous allez faire une longue marche arrière pour vous mettre en sécurité. Je demande à Dame de déployer les ralentisseurs devant notre client. J’appelle Shérif pour lui balancer officiellement un code 13. Et vous, vous attendez la fin de cette histoire dans le camion, à bonne distance des problèmes. Vous récupérerez ce qu’il y aura à récupérer à la fin. »
Les ralentisseurs jaillirent devant la Sprinbok, sur cent mètres, dans un grand “Clac”. La subaru était désormais prisonnière de l’autoroute. Assis dans le camion aux premières loges, nous attendîmes le début du spectacle, les équipes d’intervention. Quatre minutes trente-deux secondes plus tard, une cohorte de blindés légers nous dépassait gyrophares allumés, en trombe. Les forces de l’ordre se déployèrent autour du véhicule, l’un des hommes resté à l’abri derrière un camion blindé s’affaira sur un pad pour hacker les systèmes de la Subaru. Dès que les portes de la voiture s’ouvrirent en corolles, de brefs éclats bleutés fusèrent aussitôt de l’habitacle. Nous entendîmes, avec un dixième de seconde de retard, le crépitement des tirs. Un policier fut projeté en arrière. Son corps désarticulé frappa la rambarde puis rebondit, et finit son envol dans le filet de sécurité. Bientôt, les coups de feux ne vinrent plus que d’un seul camp. A la fin de la fusillade, l’une des formes casquées s’approcha de la supercar, et arrosa l’intérieur de son arme, d’un geste nonchalant. Le calme était revenu sur l’autoroute. Père avait donné son feu vert, nous sortîmes du camion pour nous payer.
Les hommes de la brigade d’intervention ne ressemblaient plus à des hommes. Leurs traits masqués sous des casques tech, leurs combinaisons assistées portaient leurs tailles à plus de deux mètres de haut. La Dream Corp était une nouvelle firme de Carthage Del Cristo, c’est elle qui fournissait cet équipement. L’état du Nouveau-Mexique, et le pays entier avait beau être en ruine, nous arrivions toujours à trouver des crédits lorsqu’il s’agissait de sécurité intérieure. Même la voix de ces flics n’avaient plus rien d’humain.
– Vous, n’avancez pas !
Bud :
– Nous sommes les 27-37, nous avons un accord avec Shérif, pour la récup.
Bud tentait des négociations. Derrière, un policier repliait un avant-bras ensanglanté qui dépassait du siège arrière de la Subaru. Celui au pad fit refermer les portes de la voiture sur les cadavres de leurs occupants. Encore derrière, d’autres policiers transportaient leur collègue, qui avait été touché – et qui pouvait être mort, pour ce que j’en jugeais. Ils le portaient en le soulevant par les bras et les jambes, tel un sac. Durant le trajet, la forme inerte arrosait la route de son sang, la Dame Rouge devait apprécier. Lorsqu’ils arrivèrent un peu plus près, je vis les impacts noircis sur son plastron. Les occupants de la Subaru avaient dû utiliser des munitions supersoniques pour réussir à traverser la combinaison technologique. Sûrement des balles blindées à uranium appauvri. Doc proposa son aide, ils ne prirent pas même la peine de lui répondre. C’était dommage. J’aurais aimé pouvoir jeter un œil sur la technologie embarquée à l’intérieur des combinaisons. Du côté de Bud, le flic le braquait de son arme de poing. Comme un criminel, Bud avait levé les deux mains. Il ne s’agissait pas de la configuration optimale à attendre d’une négociation commerciale. Le policier n’avait pas l’intention d’honorer notre accord avec Shérif, non pas qu’il se moquait de son autorité, au contraire. Les équipes d’interventions étaient affectivement les plus proches de Shérif. Ils pouvaient se comporter de la manière qui leur plaisait. Bud recula d’un pas. Il ressemblait à un petit garçon triste. En dernier recours, il proposa aux policiers un intéressement sur tout le matériel que nous pourrions récupérer, aussi bien sur la voiture, que sur leurs occupants.
– Monsieur, serait-ce une tentative de corruption ?
Le flic avait baissé son arme, Bud ne savait plus sur quel pied danser.
Le policier renchérit :
– Disons que nous pourrions peut-être nous arranger… Si la fille qui est dans votre camion montait avec nous, dans le fourgon, pendant que vous vous occupez à désosser ?
– M’sieur l’agent, si c’était ma fiancée je dis pas, l’arrangement serait parfait, mais… Il s’agit de ma sœur, alors…
– Tu veux me faire croire ça, toi qui est blanc, que cette négresse est ta sœur ?!
Le policier braquait de nouveau son arme en direction du visage de Bud, j’intervins. Je lui demandai l’autorisation de déplacer la Subaru sur la voie d’urgence prévue à cet effet.
– Bah ouais, ducon. Tu voudrais peut-être que je te supplie de faire ton boulot? C’est quoi le problème avec vous, les autoroutiers ?! Putains de charognards !
Je m’activais aussitôt, et Bud profita de ma diversion pour s’éclipser. Toute l’équipe réfugiée dans le camion, sauf moi, qui travaillais sous les regards mauvais des forces de l’ordre. Je fis au plus rapide et au plus efficace pour remplir mes obligations. J’utilisais la grue intégrée au camion. Je plantais les crocs d’acier dans le coffre de la Subaru – un traitement d’une violence inouïe pour cette voiture qui avait déjà subi la perte de ses occupants. Je la déplaçais violemment, sur la voie d’urgence, et nous sommes partis.
Notre équipage se trouvait fortement démoralisé suite de cette intervention qui nous avait monopolisée une heure entière, sans rien nous payer.
” Ces putains de flics. Ces putains de flics de merde », Bud aigri répétait ces paroles en boucle, durant tout le trajet. A notre retour à la casse, Père sentit le manque de moral de la troupe. Il nous promit de nous balancer en indisponibilité pour la soirée (sauf si survenait une urgence « bien juteuse », selon ses dires, naturellement).
Il fallait que nous soyons tous au fond pour que Père balance un code 0 aux autres autoroutiers – soit l’autorisation à nos concurrents de travailler sur notre territoire pour une durée déterminée. Je ne m’intéressais pas à l’argent. Je ne prenais pas même mes primes, je n’avais aucun compte en banque. Père me donnait de l’argent lorsque je lui en faisais la demande, cet arrangement nous convenait, alors, je ne pouvais quantifier les pertes financières de la semaine pour l’équipe, mais je comprenais. Pour que Père utilise un code 0, et qu’il se soucie du moral du groupe, la situation devait être difficile.
Le lumière du soleil tirait sur le rouge sang, tous disparurent dans leurs habitations de fortune. Sauf le nouveau Doc. Je le vis suivre Mila, à l’intérieur de sa caravane.
Ce soir-là, pour en avoir le cœur net sur la nature des sentiments qu’elle entretenait à mon propos, je décidai de rencontrer la Dame Rouge. J’attendis que le camp soit endormi. Je sortis au volant de la vieille BMW, un véhicule d’intervention accessoire sur lesquels nous avions monté des gyrophares orange. Je poussais jusqu’à la limite de notre territoire. A trois kilomètres de Las Cruces, la Dame Rouge déployait un tas de panneau holos, et surtout, un support métallique vertical surplombant la route d’une dizaine de mètres, qui supportait une rangée impressionnante de capteurs de surveillance. Je laissais la voiture sur la bande centrale réservée à notre profession, puis je définissais mentalement la séquence qui me permettrait de traverser la circulation des six voies sans incident. Arrivé sous les capteurs, je levai les bras vers elle. Je lui hurlai pour que ma voix lui parvienne, par-delà le bruit des moteurs. Je lui demandai ce qu’elle attendait de moi, je lui demandai un signe, comme un accident de la route qui se produirait là, juste à côté en cet instant, un accident, non, un véritable carnage autoroutier de véhicules haut de gamme, le résultat d’une course clandestine par exemple, qui aurait appelé sans attente les compétences d’un mécanicien d’urgence surqualifié… Mais aucun carnage n’eut lieu. La circulation était fluide, mesurée. Je me laissai tomber à genoux. Les paumes de mes mains en contact avec le bitume, j’essayais longtemps de comprendre à travers les vibrations le langage codé de l’autoroute, sa volonté.
J’entendis un proverbe étrange, un jour, qui incitait à se méfier lorsqu’on demandait à Dieu des réponses, car c’est le Diable qui pouvait s’inviter à venir nous parler. J’attendais la voix de la Dame Rouge, mais ce fut celle d’un idiot qui me répondit.
” Hey mon pote, qu’est-ce que tu fous là ?! “
Bud, stationné derrière la BMW, m’apostrophait à travers les hauts-parleurs du camion. Au ps de course, je traversai les six voies à sa rencontre. Arrivé à hauteur, je levai les yeux vers la cabine.
– Quoi.
– Quoi, quoi ?! Tu disparais de la casse sans rien dire à personne, on se faisait du souci ! Et je te retrouve là, nu comme un vers, sur le bas-côté ? Putain, tu ressembles à l’un de ces vieux déchets complètement frappés qui se font la malle d’on ne sait où pour venir marcher ici et se faire éparpiller !
– Père le sait ?
– Bien sûr ! Quand la porte d’accès à l’autoroute s’est activée, ça l’a réveillé. Allez, monte !
– Attend. Je reviens.
– Que… Non ! Arrête de faire ça bon dieu !
Je traversais de nouveau l’autoroute. Les cris apeurés de Bud me parvenaient via les hauts-parleurs. Comme il me déplaisait de devoir la quitter, je traversais ses six voies en prenant mon temps, au pas. Je présentais mon visage tout près d’une optique de la dame, une optique située à ma hauteur, et avant de partir, lui intimais :
” Je t’en supplie, dis-moi si j’ai fait quelque chose de mal ? Pourquoi tu ne me donnes plus de réparations ? Je t’en supplie, fais disparaitre notre nouveau Doc.”
Bud, au retour au camion :
– Tu sais que j’ai horreur te voir traverser comme ça ! Bon sang, j’en ai mal au ventre. Je crois que je vais avoir la chiasse à cause de toi.
– Ouvre la route, je te suivrais.
– Non, monte dans le camion. La BMW, on la met en pilote automatique.
Dans le camion, Bud, toujours :
– Tu le sais, Loss. Si Père n’aime pas te voir te balader à poil dans notre casse, il aimera encore moins savoir que tu es sorti comme ça en public, sur l’autoroute. Même si, au final, ça m’a aidé… J’veux dire, je t’avais déjà repéré dans la nuit, grâce à ton cul blanc fluorescent. Ouais, je t’avais vu avant même de tomber sur la BMW.
Un coup d’œil dans le rétroviseur, la voiture aux gyrophares orange suivait notre camion, bien tranquillement.
– Phosphorescent.
– Quoi ?
– Ou luminescent. Ce sont les adjectifs que tu voulais employer en parlant de mon cul.
– Si tu veux.
– Père va vouloir s’entretenir avec moi, lorsque nous serons rentrés ?
– Et comment !
– Bud… Tu me laisserais aller dans ma caravane avant, pour que je puisse m’habiller ? Tu ne lui diras pas ? Je n’ai pas fait attention à ma tenue, lorsque je suis parti.
– D’accord. Mais à la condition que tu m’explique qu’est-ce qui déconne avec toi ?
Comme la double voie réservée aux autoroutiers était trop étroite pour que le camion puisse faire demi-tour, Bud conduisit jusqu’à la plateforme dédiée. Le camion s’est élevé, au-dessus de la route. Lentement, le Monde se mit à tourner.
– Je voulais simplement lui parler.
– A qui ?
– A la Dame Rouge.
– Quoi ? Tu crois que… Loss, tu le sais, pourtant ! Les intelligences artificielles sont interdites, elles n’existent plus depuis plus de vingt ans ! Ce n’est qu’une bête d’autoroute, gérée par des algorithmes à la con !
Entrer dans un débat avec Bud sur la nature de la Dame était la dernière chose dont j’avais envie. Bud était incapable de voir au-delà des apparences. La Dame Rouge possédait le pouvoir de nourrir les autoroutiers qui vivaient en son sein, comme celui de tuer les automobilistes dans des orgies d’ultra-violence. Alors, peu importait sa nature technologique réelle. Dans les faits, l’essence de la Dame Rouge était celle d’un Dieu.
– Je te présente mes excuses, Bud.
– Pourquoi ?
– Pour t’avoir dérangé, sur ton temps de repos.
– Oh… T’inquiète mon pote. On connait tous des passages à vide. Moi, je me saoule jusqu’à devenir un sale con. Le vieux lui, depuis la mort de notre ancien doc, il tourne barjo derrière ses moniteurs, obsédé par ses courbes de rendement… Quant à ma sœur, enfin… Tu la connais. Elle est devenue plus agressive qu’une chienne de combat. C’est ce boulot, il nous tape sur la boule. Ça finit par nous bouffer le cerveau et le reste ce putain de job.
Nous sommes restés silencieux un moment. La pluie se mit à tomber. Avoir dérangé Bud m’importait peu. En revanche, je m’en voulais d’avoir interrompu le repos de Père. A son âge, le sommeil était une chose importante.
– Et tu lui disais quoi, alors, à ton amoureuse ?
– A qui ?
– Hé bien, à la Dame Rouge !
A Suivre
Coquilles aperçues : un "pas" qu’est devenu "ps" ; "nous avait monopolisée –> monopolisés". La dimension mystique est bien amenée. Je ne sais pas si tu sais où tu vas, car à part quelques événements qui paraissent survenir surtout pour enrichir ton univers, je ne parviens pas encore à déceler un début d’intrigue durable (ce qui est une bonne chose si tu en as prévu une). En tous cas, on a envie d’en savoir plus, d’en découvrir davantage. J’attends la suite.
merci !