L’Autoroute du Diable, X

5 mins

Nous avions presque perdu le camion, mais nous avions récupéré Bud, mon plan avait fonctionné parfaitement. Bud revint parmi nous deux jours seulement après l’attaque. Il évitait de rester dans les parages du Doc, bien sûr, mais il se montrait tout aussi distant, à mon égard. Il se contentait de m’aider dans les réparations du camion, en suivant mes instructions, en silence. Cette attitude ne lui ressemblait pas. Il nous fallut quatre jours pour le réparer suffisamment. Quatre jours, durant lesquels notre cellule se mit officiellement en indisponibilité. Parfois, nous voyions le BMW titanesque des 38-48 passer au-dessus de nos têtes. Père avait déserté ses moniteurs, mais contrairement à mes prévisions, la situation n’entama pas sa bonne humeur. Après tout, nous nous en étions bien sorti.

Un soir, nous reçûmes la visite de Shérif. Père n’en avait pas été informé puisqu’il n’avait pas préparé le fut qui leur servait de barbecue, ni acheté les hamburgers. Tous ces éléments d’un repas festif et joyeux étaient devenus des symboles sinistres. Des symboles qui appartenaient désormais à Shérif.

Père :
– Je n’ai aucun argent à te donner…
Shérif :
– Arrête avec ça. On se connaît depuis combien de temps, toi et moi ? Et toi, tout de suite, tu…
– Je dis simplement que la cellule est en indisponibilité ! Y a rien qui rentre ! Et ces enfoirés de 38-48 se gavent sur mon territoire !
 – Tu vois, c’est la raison pour laquelle nous ne sommes jamais devenus amis, malgré les années.
– Quoi ?! Tu dis que nous ne sommes pas amis ?
– Bien sûr que non ! A chaque fois que je viens ici, je dois me farcir tes jérémiades ! A propos de tes affaires qui tournent pas. Toujours la même rengaine. De toute façon, tu m’imagines assez stupide pour te faire une ristourne à me rabâcher les oreilles avec ça ?! Ben, tu vois, ça n’arrivera jamais, la ristourne. Et moi, pauvre con, moi qui… Qui ait sauvé le cul de tes gars !
– Je te remercie pour l’intervention, seulement…
– T’as pas à me remercier, je ne te l’ai pas demandé. J’ai seulement fait mon job. La loi et l’ordre, tu l’aurais oublié ?
– Je dis juste que les affaires sont au point mort, c’est tout ce que je dis…
– J’ai carrément sorti notre AéroT pour sauver ton vieux cul ! Notre Aigle Royal ! Et toi doux jésus, toi, tu me sers ces putains de conneries… Tu me prendrais pas pour un charognard, comme ces scavengers ?:
– Non Shérif, je…
– Bon. Est-ce que je pourrais avoir une bière au moins ? Ou tes affaires sont trop nazes pour m’offrir un coup à boire ?

Bud partit au galop chercher un pack dans la caravane de Père, je pensais disparaître, quand Shérif porta son attention sur moi.
– Je suis venu pour LUI ! Lui là ! Viens-ici bougre de pédé ! Mais avant de régler les comptes en suspend, j’ai une grande nouvelle pour vous, les enfants. J’ai eu le gouverneur, et dès demain, ce sera officiel : l’état du Nouveau Mexique deviendra indépendant.
Père :
– Le gouvernement fédéral laissera faire ?
– Si le gouverneur amène ça sur le tapis, c’est que la situation est bien mûre. Et si elle ne l’est pas, ils vont faire quoi les fédéraux, hein ? Nous avons l’Aigle Royal avec nous.
– Je vois. Ça changera quelque chose dans nos affaires ?
– Que veux-tu dire ?
– Au niveau des réglementations sur l’autoroute ?
– L’autoroute est un organisme à fonds privés et autogéré, elle s’en fout. Mais ça changera pas mal de choses oui, au niveau du maintien de la loi et l’ordre. Parce que je serai habilité à rentrer dans le lard d’absolument qui j’ai envie.

Bud revint avec les bières, Shérif me désigna. Hormis l’indépendance, j’étais la seconde raison de sa présence. Shérif bière à la main, fit un geste vague. Bud s’empressa de lui installer un pliant.

– J’ai demandé à mes mécanos de modifier ma voiture selon tes spécifications, et tu sais quoi ?!

Non, je ne le savais pas. Le visage de Shérif arborait son éternel masque de haine.

– Elle roule ! Et que le Christ m’en soit témoin, elle roule même sacrément bien ! Ces mécanos chez nous… Ces putains de mécanos, faut que tu le comprennes, ils se prennent pour… Je suis descendu à l’atelier tu sais, et je leur ai demandé pourquoi un mécano pédé et semi-mongolien tel que toi était capable de faire leur job. Même un putain de mexicain préparerait mieux nos véhicules que ces gars-là ! C’est ce que je leur ai dit, juste avant de leur balancer leurs saloperies d’outils à la gueule ! J’peux pas… Je peux pas les flinguer ces salauds, enfin… Pas tant que le Nouveau-Mexique sera affilié au gouvernement fédéral – mais comme je vous l’ai appris, tout ça les enfants, c’est sur le point de changer. Un changement du genre imminent. Voici donc ce que je suis venu te proposer. Loss, c’est ça ? Loss, je suis venu te proposer officiellement une place de chef-mécanicien au sein de notre glorieuse Police de la Route ! T’en dis quoi, hein ?

Père :
– Shérif, même si tu estimes que nous ne sommes pas des amis, ne viens pas chez moi me manquer de respect.
– Je te manque de respect ?! Tu oses prétendre que je te manque de respect, vieux singe ?!
– Non, ce que je prétends, c’est que je ne verrais aucune objection à ce que tu viennes ici réclamer ma femme, mais mon mécano, ça non ! Les mécaniciens sont sacrés chez les autoroutiers.
– Aucune femme ne s’est jamais intéressée à toi ! Et le sacré… Laisse-moi rire avec ton “sacré”. Rien n’est jamais sacré pour les personnes telles que toi.

La situation s’envenimait, j’intervins :
– Monsieur ? Monsieur… Je suis honoré de votre proposition, mais je dois vous dire que je n’ai pas établi moi-même le diagnostique. Je me suis fait aidé sur les réseaux. J’ai consulté des experts mécaniciens. Aussi, je crains mes compétences soient insuffisantes par rapport aux spécificités que demandent ce poste.
– Mais pourquoi tu parles comme ça, hein ?
– Comment ?
– Pourquoi tu parles comme un pédé ? Tu répares bien les voitures, seulement dès que tu l’ouvres, c’est une catastrophe. Mais explique-moi ceci, monsieur le petit futé : ils n’auraient pas pu faire comme toi, mes mécanos ? Se faire aider sur les réseaux par des saloperies « d’experts mécaniciens” ? Peu importe. Réfléchis. Les portes de ma demeure te seront toujours ouverte dans le cas où tu aurais envie de quitter ce trou à rats. C’est ce que j’étais venu te dire. Et toi, mon gros !

Shérif désignait maintenant Bud, qui se tenait silencieux, à l’écart.
– Tu peux m’expliquer pourquoi tu n’étais pas avec tes collègues, le jour de la horde des scavengers ? Simple curiosité.

Shérif avait noté l’absence de Bud ce jour-là. Ce simple fait ajouta à l’angoisse. Je me demandai ce que le policier psychotique avait pu remarquer d’autre.
– Oh… J’avais pris quelques jours, à Salk Lake.
– Aller picoler et se farcir des putes pendant que ta famille manque de se faire dépecer vivante, en effet, c’est un beau programme.

Shérif se tourna alors vers Père :
– A la réflexion, la seule personne qui mériterait de rejoindre les rangs de la Police de la Route, c’est votre petite salope. Comment elle s’appelle, déjà ?

Je soupçonnai Shérif de se rappeler parfaitement du prénom de Mila.
 
– Mila ! Oui, Mila… Fallait la voir se démener contre les scavengers, bon sang ! Son spectacle me faisait bander, j’en ai souillé mes vêtements. Elle mériterait un poste de patrouilleur chez moi, c’est dommage… Vous savez, c’est très dommage qu’elle soit née bonne femme. Trop femme pour être flic, et trop revêche pour tenir sa place de femme… Une créature maudite en somme, c’est bien triste. En parlant de ça justement, des créatures maudites… Loss, je me doute que ta “Mila” ne rend pas ton affection comme tu le mériterais. Oui, tu t’en souviens ? Tu m’en avais parlé, la dernière fois. Et sur quoi je peux m’engager, afin d’achever ma proposition d’emploi, c’est que chez nous, au sein de la Glorieuse Police de la Route, tu pourrais avoir toutes les femmes qu’il te plaira. Des Indiennes et des négresses, puisque tu sembles aimer l’exotisme, et des Mexicaines, bien sûr, en pagaille… Chez nous tu vois, c’est un putain de Sodome et Gomorrhe pour les petits gars méritants comme toi.

***

Le lendemain matin, nu face à la colline nord, à intervalles réguliers je poussais des hurlements. Mila hurlait sur la même tonalité, juste après moi. Bud pilotait la grue Marilyne, et enfournait nos épaves dans le broyeur gigantesque. Bud détruisait, compressait, à mesure je hurlais mon désespoir. Je hurlais nu, pour marquer ses crimes, cruels et gratuits. Mila debout face à moi, son visage impénétrable, imitait chacun de mes hurlements dans le seul but de se montrer désagréable.
J’entendis la voix inquiète de Doc, questionner Père. J’entendis la voix de Père lui répondre :
” T’inquiètes pas Tommy, c’est rien. Rien qu’un lundi matin habituel chez les barjots.”

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