Instant 1er -Aux souvenirs

3 mins

1941. Assis à son bureau, il observait la petite pièce, perdu dans le fond de ses pensées. Cela faisait maintenant presque sept ans qu’il travaillait ici. Sept ans qu’il occupait ce même bureau dont la décoration avait grandi et évolué avec lui.

Il connaissait par cœur le moindre des tours et détours du bâtiment, savait retrouver chaque chose dans leur placard ou étagère attitré.

Alors qu’un petit sourire amusé se dessinait sur les traits fins de ses lèvres, soulevant cette légère moustache les surplombant, ses pensées lui soufflaient doucement un petit “Ça y est, Fred, l’on peut dire que tu es un ancien de l’Ink Pot Company.” tandis qu’il jetait un œil à l’extérieur, par sa fenêtre.

Dehors, le ciel était entre bleu et blanc, coupé net par la couleur enflammée des arbres que l’automne avait rattrapés. Cela lui rappelait ce jour où, tout juste sorti de d’une longue phase de vide intérieur et avant de perdre totalement pieds, il s’était repris en mains pour traîner ses vieilles galoches jusqu’aux locaux de la petite maison d’illustration pas plus vieille que cinq années à l’époque.

Non qu’il ne croyait en son art en cette période mais plutôt que la Vie et le Monde avaient décidé de commun accord de l’enfoncer dans les abysses des idées noires ; il les avait senties tenter de le happer comme un millier de petits serpents tenaces auxquels il avait nombre de fois été tenté de s’abandonner…

Mais ce temps était désormais révolu.

C’est fou comme le temps passe vite, quand on y pense. On commence sans savoir où la vie nous mènera puis l’on y avance sans forcément chercher à se souvenir de là où tout est parti.

Il se revoyait, là, planté devant le bâtiment, à glisser son regard de son petit papier à la façade…

Une fois…

Deux fois…

Trois fois.

Il s’agissait d’être certain d’être au bon endroit. Puis il avait poussé la porte… Et sept ans plus tard, il y était encore, ne regrettant absolument pas son choix.

Il avait participé à l’évolution, à la vie, de la Compagnie. Il avait fait entrer dans son monde ceux étant devenus simultanément des collègues et des amis.

Lui qui n’avait alors rien venait de gagner tout ; il était devenu l’un des rouages principaux du modeste groupe juste en se hasardant à prendre un nouveau départ en un frisquet jour d’automne. Comme quoi, il avait suffit d’un rien pour refaire son monde.

Sa bataille contre lui-même avait pris fin à ce jour et il ne serait jamais assez reconnaissant à chacun de ses compagnons de voyage pour tout ce qu’ils avaient apportés à sa vie.

“Tu rêves encore, Fred.”

Résonna doucement une voix lui étant tant devenue familière. Cette voix grave et caressante dont les accents rappelaient les grandes plaines froides de l’Est, ce petit roucoulement qui appuyait certain “r” avec une douce odeur d’Ailleurs. Ce genre d’accent qu’il était bien rare de trouver dans cette contrée des États-Unis.

Elle tira un sursaut au rêveur qui reporta son regard sur la porte, dans l’encadrement de laquelle se tenait un homme, la main encore sur la poignée.

C’était un grand gaillard d’épaules plutôt larges mais taille fine, physionomie dans laquelle l’on ressentait toute la tranquille robustesse de sa force dormante. Ses yeux empruntant aux teintes des plus grands glaciers s’ajoutaient au châtain clair de ses cheveux dont la plus longue mèche ramenée de côté tenait difficilement en place lorsque le vent se faisait taquin. Loin de toute considération plus avancée, il l’avait toujours trouvé bel homme.

“Il semblerait oui : l’automne s’y prête ! Je peux t’aider, Nikolaï ? Répondit-il finalement en croisant soigneusement les bras sur le meuble devant lui.

– Je voulais savoir où tu en étais mais je peux repasser plus tard.

– Oh, j’ai presque fini, ne t’en fais pas ! Je m’y remet tout de suite.”

Le nouvel arrivant sourit, hochant la tête d’un air entendu avant de refermer soigneusement la porte et le laisser à nouveau seul.

Fixant un instant la porte close, Fred resta un temps face au vide, avant de baisser les yeux sur la planche à dessin devant lui.

Un nouveau petit sourire souleva doucement cette moustache brune comme il attrapait un crayon pour terminer son œuvre en laquelle il mettait tout son cœur.

Définitivement… Il ne regrettait pas d’avoir osé passer ce seuil en ce jour froid de 1934.

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1 Commentaire
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Aera Neptuna
Aera Neptuna
4 années il y a

Tout autant que le prologue, cette première partie est inspirante et poétique. J’apprécie particulièrement le style d’écriture particulièrement à l’aise avec les mots.

Il faut continuer sur cette voie !

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