“Frrrreeeeeeeeeeddddd !”
Avait désespéremment lancé une petite voix du fin fond de la plus grande salle des locaux de l’Ink Pot, appartenant au jeune homme, accroupit devant l’un des grands casiers de bois constituant les rares meubles autre que les tables de la pièce.
“Où sont les calques déjà ?…”
Avait-il finalement doucement comme miaulé plaintivement en relevant la tête vers ledit Fred venu se pencher sur lui après avoir entendu son appel.
Ce dernier avait sous sa coquette moustache brune parfaitement assortie à la couleur de sa belle chevelure, un petit sourire sincèrement amusé par le jeune spécimen se trouvant désemparé face à la grandiloquences des ateliers.
Il était certain qu’à seulement une année de présence auprès d’eux, l’on pouvait encore se perdre dans cette salle dont la disposition changeait en permanence au gré des flâneuses envies de chacun des illustrateurs. Il n’y avait bien que les archives qui ne se promenaient jamais d’un casier à l’autre… Nikolaï y tenait.
Garry avait rejoint l’Ink Pot Company tout juste après avoir claqué la porte de chez lui alors que ses parents tenaient à ce qu’il laisse tomber pour de bon ses carnets et crayons afin de se consacrer pleinement à un métier “qui rapporterait plus que de quoi s’acheter une boîte de conserve périmée”.
Il avait tenu bon quatre années pour leur faire plaisir.
Quatre années dans les rangs les plus illustres des Universités des métiers de finances avant de se rendre à l’évidence que jamais il ne voudrait d’une pareille vie.
Lorsqu’il y pensait, lorsqu’il l’évoquait, c’était toujours avec cette mine renfrognée ou un air dévasté : quatre ans dans une vie n’est sans doute rien mais pour sa jeunesse elles avaient été comme une éternité à tourner en rond tel un lion en cage tant sa créativité se sentait bridée.
N’allons pas dire cependant qu’il y avait laissé sa joie de vivre : ce petit homme enthousiaste en débordait. Il n’avait simplement aucune envie d’un métier de routine qu’il n’aimait pas au seul profit qu’avoir des apports lourds dont il ne saurait quoi faire.
Passer les portes de la petite Compagnie qui avait volontiers accepté de l’aider avait été pour lui telle une renaissance flamboyante.
En un an à leur côté, il s’était plus épanouie que jamais auparavant… À l’instar de Fred -qui, en habitué des lieux et ses habitants, venait de lui dénicher ce qu’il cherchait- il devait beaucoup à cette petite entreprise.
“Merci !… Lança-t-il en récupérant la pochette que lui tendait son aîné. Que ferais-je sans toi !
– Sûrement des bêtises ? S’amusa son interlocuteur en refermant le tiroir d’où il avait extirpé l’objet de leur recherche. Tu as besoin d’autre chose ?
– Non, j’ai tout ce qui me faut, merci.
– Parfait. Ne fais pas de bêtise alors !”
Le plus jeune avait soufflé doucement de rire, laissant le plus ancien retourner à son bureau après un petit clin d’œil. Restant un instant là, il le suivit du regard, la pochette ramenée d’un bras contre lui, près de son cœur.
Il avait toujours eu beaucoup d’admiration pour l’élégant moustachu qui venait de le quitter. Sans doute était-ce à cause de cette subtile coquetterie pour un caractère parfaitement humain et sans once d’arrogance… Fred avait ce petit cachet inattendu pour un grand rêveur : une physionomie svèlte qu’il savait mettre en valeur compensant une taille plutôt modeste que l’on oubliait vite au profit de son indéniable goût pour le panache.
Des quatre dessinateurs de la Compagnie, Fred, avec ses vestes paradoxalement sobres pour des foulards et cravates colorés ainsi que, pour couronner le tout, sa chère moustache à l’italienne, était indéniablement celui qui attirait le plus le regard autant que la sympathie au premier coup d’œil.
Il y avait aussi cette franche complicité que Fred entretenait avec l’ancien soviétique qui devait pencher dans la balance de cette juvénile reconnaissance… Pour Garry, le grand homme qu’était Nikolaï se voyait rangé au grade des légendes inaccessibles de son petit monde intérieur… Dieu sait pourtant combien c’était un homme calme et doux.
Sortant de ses pensées qui l’avaient happé sans prévenir, secouant la tête pour revenir sur terre, c’est avec un petit sourire et l’esprit léger qu’il rejoignit sa table pour avancer ce que sa recherche de calques avait interrompu : de tout ce que la Vie avait pu lui offrir, cette famille de substitution était le plus beau des cadeaux.
C’est dingue comme je suis fan du vocabulaire. La tournure des phrases me fascinent. Encore un excellent chapitre !