Elle était penchée sur sa feuille, dessinant les contours soigneux d’un splendide paysage de printemps.
Son aquarelle était sa meilleure arme contre le Monde qui s’agitait autour et malgré les couleurs flamboyantes de l’automne dehors, c’était le printemps qu’elle appréciait particulièrement représenter.
C’était ce moment de l’année où la Nature renaissait, se réveillait de son long sommeil hivernal, plus forte et resplendissante que jamais, prise d’une nouvelle jeunesse revenant à chaque nouvel An.
Un peu de vert chatoyant, un peu de bleu apaisant, chaque couleur teintant le papier blanc ramenait autant de chaleur dans les cœurs que de soleil dans l’atelier. C’était ça sa plus grande force sur laquelle elle savait parfaitement jouer.
Elle avait ce style léger, rayonnant, à l’image de ce que renvoyait son chaleureux sourire lorsqu’elle vous l’offrait malgré un caractère de lionne.
Elle avait ce trait fin et coup de pinceau aisé donnant cette subtile impression de facilité aérienne, une tendresse sincère quoique maîtrisée…
Parfois, elle s’amusait de se dire qu’elle faisait parti des fondateurs de l’Ink Pot Company. Issue d’une famille de quatre garçons, elle avait toujours eu plus de hargne que ces dociles demoiselles de bonnes maisons tout en sachant affirmer sa féminité sans tomber dans la caricature. On l’appellait l’Indomptable et cela lui plaisait. Elle avait toujours su imposer ses choix et ses envies tout en menant sa vie de jeune femme épanouie.
Sa route avait croisé celle de Nikolaï une bonne dizaine d’années auparavant maintenant, complètement par hasard, au détour d’un salon d’illustrateurs amateurs.
Il rêvait d’un grand Idéal, elle cherchait quelqu’un qui croirait en ses projets… De leur ambition passionnée, après une année à se côtoyer, naquit l’idée d’ouvrir une petite maison d’illustration, quelque chose de modeste et accessible, permettant à tout auteur, même le plus humble ou méconnu, de voir son œuvre mise en couleur. De leur cœur tenace, naquit Ink Pot Company.
Elle était si belle, concentrée là, sur son univers de douces lignes avec ce petit sourire qui venait de se dessiner sur le rouge velours de ses lèvres et ces belles boucles enflammées retombant doucement devant l’émeraude de ses yeux…
Il en restait planté là, une fois encore, la main un peu levée, prête à frapper à la porte pour signaler sa modeste présence. Violet était une femme fascinante. En tout cas, elle le fascinait, lui, Garry, le jeunot à la corpulence de crevette, à la chemise un peu trop grande et au pantalon dont la couleur était depuis un temps passée. Elle était unique il était plat en banalité passant du noir de sa tignasse au brun de ses yeux distraits.
“Je peux t’aider, Garry ? Finit-elle par demander tranquillement en relevant les yeux vers lui.”
Le jeune homme sursauta doucement, tiré de sa passionnée contemplation avant de bredouiller un instant quelques mots inintelligibles tout en rougissant de honte face à cette misérable prise de parole tant la douce présence de Violet savait faire effet sur son esprit encore adolescent.
Cela ne manqua pas de tirer un sourire amusé à cette dernière qui attendit patiemment qu’il retrouve le fil de ses pensées.
“C’était pour te donner les supports !… Était-il enfin parvenu à babiller tandis qu’elle hochait la tête.
– Parfait. Dépose-les avec les autres juste ici, merci, Garry.
– Sans problème ! Lança-t-il avant de vite sortir d’ici sentant ses joues chauffer plus que sous le plus grand soleil du désert du Colorado.”
Refermant la porte, il s’y adossa avec un soupir résigné et une moue contrariée. Il était encore passé pour un bel imbécile.
De l’autre côté de la porte, elle avait sourit, aussi amusée qu’attendrie par cette familière intervention… Reprenant son travail sans perdre ce petit sourire, c’est rêveuse qu’elle ajouta un peu de doux vermeil au paysage de son printemps…
Je pense que je suis tout autant passionnée que Garry par ce portrait de femme. Superbe description !