La chanson de la Couronne

5 mins

Oyez comme l’ancêtre peignait,

Dans la pierre, les livres teignait

La première fois qu’homme régnait

Sur un royaume en maître.

En Albas la Blanche demeuraient

Les dieux hauts que chacun doit connaître.

En ces lieux ils chantaient, discouraient,

Toisaient le monde entier ;

Dans les montagnes, sur un rocher

Duquel un torrent frappait le pied,

Les dieux puissants avaient attaché,

Levé cette Tour blanche.

Seule l’aura perdue la malchance

Et non vœu de gloire ou de revanche ;

A la montagne sans connaissance

Un pont seul la liait.

Un jour vint un chef qu’accompagnait

Une armée – d’ardeur, elle criait

« Pour Prados ! », tandis qu’elle gagnait

Albas ; si glorieux nom

Que le servaient l’hôte et l’échanson

Tant il avait pour lui de renom.

Mais l’on craignait, dit-on en chanson,

D’être son ennemi.

Recevant le vin que l’on destine

A qui franchit le seuil en ami,

Prados se vit par la gent divine

Accueilli, honoré.

Ainsi Tempête dit : « Étranger,

Pourquoi venir ainsi entouré ?

Que cherches-tu d’un pas si léger ?

Un conseil ? Ou la guerre ? »

Prados dit au dieu qu’il vénérait :

« La guerre m’a poussé vers ta terre,

Ô roi, mais des tiens ne la voudrais.

Tempête, entends plutôt :

« Nos enfants ne pouvons garder saufs

Contre qui vole à tous les plateaux,

Si vil que son sang pour tout s’échauffe ;

Accorde-nous ton aide

«  Car Vénoras et son frère Orès

Conquièrent l’univers qui leur cède

Et sous leur règne sans foi s’abaisse

Aux meurtres, aux pillages. »

Tempête répondit à cela :

« Sur vos coeurs habités d’une rage

Etrange, que peuvent les dieux las ?  »

De réponse n’eut point.

Mais Tempête forma le dessein

De recouvrir la Terre au plus loin

Qu’il le pût de la loi des dieux saints,

Le fit ouïr dans les airs.

Il se lève, ce roi, dieu du ciel :

Il part pour la guerre ; ainsi ses pairs.

Humain, dieu, nul n’ignore l’appel

Du souverain d’Albas.

Sur leurs coursiers, tous vont au combat.

Les renégats rattrapés font face

A la lance du roi qui s’abat,

Tonnant et massacrant.

Des dieux, des humains pareillement,

Les faits ailleurs ne sont pas moins grands.

Bientôt s’achève l’affrontement ;

La loi fut victorieuse.

Les vaincus lâchèrent leurs épieux

Devant une foule aussi chanceuse

Et prononcèrent des serments pieux ;

Certains pourtant se turent.

De ceux-là, le roi dit : « Cœurs perdus,

Ces humains ont une âme peu sûre

En conseils ; mais par ses chiens mordu

Un maître les puni.

« Écoutez : la loi chez vous arrive

Et seul un roi contre qui la nie

Saura la maintenir toujours vive,

Un humain roi de l’Homme.

« Prenez conseil, choisissez la mort

Ou un vœu qui par l’exemple somme

A la justice tous les cœurs tors.

Souverain le bon juge. »

On disait : « Que nos lames les tuent ! »

Prados dit : « Que celui-là qui gruge,

Assassine et veut la voir perdue

Quitte la race humaine. »

L’ignorant lui-même il maudissait

Et changea les fous en pure haine :

Ainsi des loups la race naissait,

L’ennemie sans rivale.

L’effroi poussa les loups vers les bois

Et Garant – le ciel faisait sa halle – 

Offrit la coupe à laquelle on boit

En l’honneur du plus fort.

Édole conçoit une couronne

Et fait si bien qu’elle semble d’or ;

En vive lumière il la façonne :

Un roi l’en a chargé.

Il fait aussi la meilleure épée

Que de tout temps l’on aura forgé :

Certes, l’artisan qui l’a trempée

Sur tous est très habile.

A Tempête, Édole les confie.

Lui, prenant à témoins bois et ville

Orne le front de Prados et lie

La lame sur sa taille.

Voilà comme alors on célébra

Ce roi invaincu dans la bataille

Et qui jugea bons et scélérats,

Sous lui, l’Histoire ploie.

Or Prados, avant d’être ce roi,

Aimait Furane, sa seule loi.

Comme le font ceux dont l’amour croît,

Ils s’étaient épousés.

Prados recevait la royauté,

Et pour son lot fut-il jalousé

Car Furane en sachant sa fierté

N’en éprouva que haine.

« Lui veut garder seul son privilège !

Ai-je vraiment subit moins de peine ?

Et mes succès dont elle s’allège,

Aux siens que cèdent-ils ? »

Telles sont les pensées qu’elle tisse

En sont cœur. « A scrupule stérile,

Opposons ce que peut d’injustice

Un cœur qui se malmène. »

Un jour sonne une trompette claire

En Émellas, cité de la reine :

Elle appelle la ville à la guerre

Et Furane l’exhorte.

La flotte bientôt jaillit du port,

Une armée de la plus belle sorte ;

A sa proue va Guerre, par un sort

Sans remède lié.

Aux caresses de Guerre envoûté,

Furane rusée s’était pliée,

Lui laissant pour toute volonté

Moins et moins, un jour rien.

Sur la cité de son souverain

Fut lancé ce terrible soutien.

Or à Marvère attend un dieu craint,

Tempête sur la proue :

Nul du roi ne menaçait les jours

Sans subir aussitôt le courroux

De ce dieu céleste, un grand recours

Qui tomba sur Furane.

Aux côtés des guerriers elle va,

Elle sait que, bonne ou même insane,

Une âme qui l’effort ne brava

Ne reçut que le blâme.

Les vaisseaux s’échouaient au combat,

Poussés par les vents et chaque rame,

Et souvent contre Guerre tomba

La lance de Tempête.

Sous les dieux hauts les marées montaient ;

Les vagues au nues jetaient leur crête.

Au nom de leurs champions s’affrontaient

Tempête et l’infidèle.

Or l’épouse de Guerre est Millène,

Elle, l’amie de la crécerelle

Et du merle et du cygne en la plaine,

Eux alors qui lui dirent :

« Que te promènes-tu sans souci ?

Car ton mari mérite ton ire :

Il partit, sache-le, pour ceci :

Au nom de l’amour seul. »

Elle alla trouver le Créateur,

Des artisans habiles l’aïeul :

Détruire Furane et sa splendeur

Requérait quelque adresse.

Édole la reçoit, la conseille

Et s’allie avec la poétesse,

En son nom fait un monstre et l’éveille,

Un serpent sans mesure,

Si bien fait qu’en sel fait ne fond plus :

Il laisse pure l’eau la plus pure.

Et quand aux deux armées il fallut

Dormir, Millène agit.

De ses charmes et vins elle enivre,

Elle piège Guerre en son répit.

Édole saisit le monstre ; il livre

A la vague un géant.

Le serpent s’élança sans attendre.

Il défit Furane en l’océan

Quand Guerre ne pouvait la défendre

Et Prados triompha.

Or le dieu, quand il l’apprit, gagna

La vague ; ce monstre, il l’étouffa,

Même sans arme il ne l’épargna,

Ivre d’ire et de vins.

Il saisit le corps, en lieu de lin

Moulut le serpent ; Édole vint,

De colère arracha le moulin,

Jeté dans l’océan.

Depuis ce jour, tout être qui rampe

Ou marche ou vole ne boit néant

De l’onde où le goéland se trempe,

Un poison si trompeur.

La reine avait perdu son honneur.

En Émellas, poussée par la peur

D’un châtiment conçu dans l’horreur,

Furane s’enferma.

Elle vit approcher proues et mâts

De lui contre qui elle s’arma

Et dont un héraut lui réclama

Le dernier de ses fils.

Cet enfant, Furane le maudit,

Le priva des vertus et du vice ;

Elle ravit son nom puis s’enfuit

Sous forme d’une louve.

Prados arrivait d’un pas si lourd

Que ne l’arrêtaient homme ni douve.

Il vint mais n’eut qu’horreur sans détour

Pour l’enfant de son sang ;

Privé des jeux, des joies de l’enfance,

Il n’irait courant ni ne dansant,

N’aurait force et n’aurait que malchance :

Il n’était pas enviable.

Au pas d’un cheval, Prados livra

Pour qui le voudrait ce misérable – 

Une Dame, je crois, rencontra

Cet être et le reçut.

Ici se borne en digne mesure,

Ami, ce récit, car on n’eut plus

De bête ou d’homme nouvelle sûre

Ou mot de Furane.

© Cédric L. Martin, 2021.

© Sarah Poncet, 2017, pour l’illustration.

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