Oyez comme l’ancêtre peignait,
Dans la pierre, les livres teignait
La première fois qu’homme régnait
Sur un royaume en maître.
En Albas la Blanche demeuraient
Les dieux hauts que chacun doit connaître.
En ces lieux ils chantaient, discouraient,
Toisaient le monde entier ;
Dans les montagnes, sur un rocher
Duquel un torrent frappait le pied,
Les dieux puissants avaient attaché,
Levé cette Tour blanche.
Seule l’aura perdue la malchance
Et non vœu de gloire ou de revanche ;
A la montagne sans connaissance
Un pont seul la liait.
Un jour vint un chef qu’accompagnait
Une armée – d’ardeur, elle criait
« Pour Prados ! », tandis qu’elle gagnait
Albas ; si glorieux nom
Que le servaient l’hôte et l’échanson
Tant il avait pour lui de renom.
Mais l’on craignait, dit-on en chanson,
D’être son ennemi.
Recevant le vin que l’on destine
A qui franchit le seuil en ami,
Prados se vit par la gent divine
Accueilli, honoré.
Ainsi Tempête dit : « Étranger,
Pourquoi venir ainsi entouré ?
Que cherches-tu d’un pas si léger ?
Un conseil ? Ou la guerre ? »
Prados dit au dieu qu’il vénérait :
« La guerre m’a poussé vers ta terre,
Ô roi, mais des tiens ne la voudrais.
Tempête, entends plutôt :
« Nos enfants ne pouvons garder saufs
Contre qui vole à tous les plateaux,
Si vil que son sang pour tout s’échauffe ;
Accorde-nous ton aide
« Car Vénoras et son frère Orès
Conquièrent l’univers qui leur cède
Et sous leur règne sans foi s’abaisse
Aux meurtres, aux pillages. »
Tempête répondit à cela :
« Sur vos coeurs habités d’une rage
Etrange, que peuvent les dieux las ? »
De réponse n’eut point.
Mais Tempête forma le dessein
De recouvrir la Terre au plus loin
Qu’il le pût de la loi des dieux saints,
Le fit ouïr dans les airs.
Il se lève, ce roi, dieu du ciel :
Il part pour la guerre ; ainsi ses pairs.
Humain, dieu, nul n’ignore l’appel
Du souverain d’Albas.
Sur leurs coursiers, tous vont au combat.
Les renégats rattrapés font face
A la lance du roi qui s’abat,
Tonnant et massacrant.
Des dieux, des humains pareillement,
Les faits ailleurs ne sont pas moins grands.
Bientôt s’achève l’affrontement ;
La loi fut victorieuse.
Les vaincus lâchèrent leurs épieux
Devant une foule aussi chanceuse
Et prononcèrent des serments pieux ;
Certains pourtant se turent.
De ceux-là, le roi dit : « Cœurs perdus,
Ces humains ont une âme peu sûre
En conseils ; mais par ses chiens mordu
Un maître les puni.
« Écoutez : la loi chez vous arrive
Et seul un roi contre qui la nie
Saura la maintenir toujours vive,
Un humain roi de l’Homme.
« Prenez conseil, choisissez la mort
Ou un vœu qui par l’exemple somme
A la justice tous les cœurs tors.
Souverain le bon juge. »
On disait : « Que nos lames les tuent ! »
Prados dit : « Que celui-là qui gruge,
Assassine et veut la voir perdue
Quitte la race humaine. »
L’ignorant lui-même il maudissait
Et changea les fous en pure haine :
Ainsi des loups la race naissait,
L’ennemie sans rivale.
L’effroi poussa les loups vers les bois
Et Garant – le ciel faisait sa halle –
Offrit la coupe à laquelle on boit
En l’honneur du plus fort.
Édole conçoit une couronne
Et fait si bien qu’elle semble d’or ;
En vive lumière il la façonne :
Un roi l’en a chargé.
Il fait aussi la meilleure épée
Que de tout temps l’on aura forgé :
Certes, l’artisan qui l’a trempée
Sur tous est très habile.
A Tempête, Édole les confie.
Lui, prenant à témoins bois et ville
Orne le front de Prados et lie
La lame sur sa taille.
Voilà comme alors on célébra
Ce roi invaincu dans la bataille
Et qui jugea bons et scélérats,
Sous lui, l’Histoire ploie.
Or Prados, avant d’être ce roi,
Aimait Furane, sa seule loi.
Comme le font ceux dont l’amour croît,
Ils s’étaient épousés.
Prados recevait la royauté,
Et pour son lot fut-il jalousé
Car Furane en sachant sa fierté
N’en éprouva que haine.
« Lui veut garder seul son privilège !
Ai-je vraiment subit moins de peine ?
Et mes succès dont elle s’allège,
Aux siens que cèdent-ils ? »
Telles sont les pensées qu’elle tisse
En sont cœur. « A scrupule stérile,
Opposons ce que peut d’injustice
Un cœur qui se malmène. »
Un jour sonne une trompette claire
En Émellas, cité de la reine :
Elle appelle la ville à la guerre
Et Furane l’exhorte.
La flotte bientôt jaillit du port,
Une armée de la plus belle sorte ;
A sa proue va Guerre, par un sort
Sans remède lié.
Aux caresses de Guerre envoûté,
Furane rusée s’était pliée,
Lui laissant pour toute volonté
Moins et moins, un jour rien.
Sur la cité de son souverain
Fut lancé ce terrible soutien.
Or à Marvère attend un dieu craint,
Tempête sur la proue :
Nul du roi ne menaçait les jours
Sans subir aussitôt le courroux
De ce dieu céleste, un grand recours
Qui tomba sur Furane.
Aux côtés des guerriers elle va,
Elle sait que, bonne ou même insane,
Une âme qui l’effort ne brava
Ne reçut que le blâme.
Les vaisseaux s’échouaient au combat,
Poussés par les vents et chaque rame,
Et souvent contre Guerre tomba
La lance de Tempête.
Sous les dieux hauts les marées montaient ;
Les vagues au nues jetaient leur crête.
Au nom de leurs champions s’affrontaient
Tempête et l’infidèle.
Or l’épouse de Guerre est Millène,
Elle, l’amie de la crécerelle
Et du merle et du cygne en la plaine,
Eux alors qui lui dirent :
« Que te promènes-tu sans souci ?
Car ton mari mérite ton ire :
Il partit, sache-le, pour ceci :
Au nom de l’amour seul. »
Elle alla trouver le Créateur,
Des artisans habiles l’aïeul :
Détruire Furane et sa splendeur
Requérait quelque adresse.
Édole la reçoit, la conseille
Et s’allie avec la poétesse,
En son nom fait un monstre et l’éveille,
Un serpent sans mesure,
Si bien fait qu’en sel fait ne fond plus :
Il laisse pure l’eau la plus pure.
Et quand aux deux armées il fallut
Dormir, Millène agit.
De ses charmes et vins elle enivre,
Elle piège Guerre en son répit.
Édole saisit le monstre ; il livre
A la vague un géant.
Le serpent s’élança sans attendre.
Il défit Furane en l’océan
Quand Guerre ne pouvait la défendre
Et Prados triompha.
Or le dieu, quand il l’apprit, gagna
La vague ; ce monstre, il l’étouffa,
Même sans arme il ne l’épargna,
Ivre d’ire et de vins.
Il saisit le corps, en lieu de lin
Moulut le serpent ; Édole vint,
De colère arracha le moulin,
Jeté dans l’océan.
Depuis ce jour, tout être qui rampe
Ou marche ou vole ne boit néant
De l’onde où le goéland se trempe,
Un poison si trompeur.
La reine avait perdu son honneur.
En Émellas, poussée par la peur
D’un châtiment conçu dans l’horreur,
Furane s’enferma.
Elle vit approcher proues et mâts
De lui contre qui elle s’arma
Et dont un héraut lui réclama
Le dernier de ses fils.
Cet enfant, Furane le maudit,
Le priva des vertus et du vice ;
Elle ravit son nom puis s’enfuit
Sous forme d’une louve.
Prados arrivait d’un pas si lourd
Que ne l’arrêtaient homme ni douve.
Il vint mais n’eut qu’horreur sans détour
Pour l’enfant de son sang ;
Privé des jeux, des joies de l’enfance,
Il n’irait courant ni ne dansant,
N’aurait force et n’aurait que malchance :
Il n’était pas enviable.
Au pas d’un cheval, Prados livra
Pour qui le voudrait ce misérable –
Une Dame, je crois, rencontra
Cet être et le reçut.
Ici se borne en digne mesure,
Ami, ce récit, car on n’eut plus
De bête ou d’homme nouvelle sûre
Ou mot de Furane.
© Cédric L. Martin, 2021.
© Sarah Poncet, 2017, pour l’illustration.