Ce conte sied à toutes les cours :
Vous voici racontés sans détour
Lairme le Vengeur et son amour
Pour la belle Offrielle.
Les hommes de grande habileté
Résidaient en Auridir la Belle,
Et le seigneur de cette cité
Soutenait leurs efforts.
L’un d’entre eux tenta ce que personne
Alors n’avait accompli : dans l’or
Il forgea quelque ronde couronne
Admirablement fine
Y grava tout arbre, de sa cime
Aérienne à la moindre racine,
Et leur père avant eux, l’Arbre Prime,
En de beaux entrelacs.
Épuisé par un si grand travail,
Cet homme qui ne fut jamais las
N’acheva ni gravure ni taille :
Il mourut sur l’ouvrage.
Longtemps, Navéliane le pleura ;
Le mit au tombeau selon l’usage.
Elle était sa femme et l’enterra,
Éplorée entre toutes.
On dit qu’elle prit, seule, debout
Dans un bateau qu’elle fit, la route
Au-dessus de l’océan qui bout
Et n’a de répit nul.
Navéliane à jamais fut perdue,
Partie par un calme crépuscule.
Au seigneur toutefois était due
La couronne toujours.
Loin des marées et loin de la houle,
Il attendait, et même sa cours
Priait : « Qu’à son front le bijou roule
Enfin comme on l’attend ! »
Or Navéliane avait un enfant,
Offrielle, et partout l’on entend
Rapporté du couchant au levant
Qu’elle fut la plus belle.
Nul joyaux mieux ne l’embellissait
Que ses yeux ; sa peau semblait un miel,
Ses cheveux un orge que berçait
Le vent sur sa poitrine.
Chez lui, le seigneur Lairme l’invite.
En sa cours serpente une racine ;
Il achoppe tant ce jour l’agite,
Est blessé lorsqu’il tombe.
Vient Amour, sous les traits d’un garçon
D’entre ses servants. Il lui incombe
Avec bonnes et belles façons
D’accepter la couronne.
Amour s’éloigne ; il change de forme,
Imitant l’allure, la personne
Et la voix du guerrier chut sous l’orme,
Enfin trône pour Lairme.
C’est à ce dieu que l’or est offert
Mais dans l’œil d’Offrielle qu’il ferme,
Un amour naît pour Lairme, sincère.
Et pour mieux l’abuser,
Amour dit : « Va user de métier
Selon l’art de ton père et forger
Un poignard nouvel à l’atelier. »
Parti, le dieu reprit
Les traits d’un fils d’homme et se réjouit ;
Il revint vers Lairme et le guérit.
Méditant l’ordre qu’elle avait ouï,
Offrielle obéit.
La fille n’avait point la main vile
Et grava d’un geste si précis
Qu’un oiseau vola le long du fil,
Lui qu’elle façonna.
Bientôt, à Lairme elle révéla
Cette merveille ; il s’en étonna
Et telle beauté ne contempla
Jamais qu’en Offrielle.
Avant leur mariage, ils s’adoraient,
Puis cette dévotion devint telle
A la fin que partout l’admiraient
Les bons et les méchants.
Delfée naquit de leur amour tendre.
Offrielle une fois par les champs
Emmena l’enfant pour lui apprendre
A dire fleurs et baies.
En vérité, aux murs du palais
Lairme inflexible la dérobait :
Pour la première fois il voulait
La savoir loin de lui.
C’est qu’un hôte rempli de mépris
Pour le bien, et de méfaits séduit,
Se rendait alors à Rosarie ;
Argos était son nom.
« Qu’en sa vue ta pureté ne sombre,
Offrielle, quitte ta maison, »
Dit Lairme. Ainsi des soldats en nombre
Autour d’elle grondaient.
Or un serpent vint rampant dans l’herbe,
Et la mère en ses deux bras gardait
Son enfant. D’un coup non moins qu’acerbe,
Elle eut le pied percé.
Offrielle pour rien n’eut lâché
Delfée, dans ses bras comme bercée.
Elle ne put alors plus marcher
Et chut sur l’herbe douce.
Lairme reçut un serf ; de sa bouche
Il apprit pourquoi faisaient la mousse
Et l’herbe d’Offrielle la couche.
Il la ramena seul ;
On vit sur Lairme tombé le deuil ;
On vit Offrielle en un linceul ;
Tous vinrent pour donner sur le seuil
Une offrande, un cadeau.
Or chez Lairme se trouvait cet hôte.
Il vit l’épouse sur le tombeau
Et dans son cœur prépara sa faute :
Il avait eu pour fille
Navéliane et ce seigneur impie
Désira qu’auprès de sa famille
Offrielle fût ensevelie.
Quand il sut son projet,
Terrible fut le courroux de Lairme.
Il déclara : « Devant tes sujets
Je mènerais ta vie à son terme,
Argos de Rosarie ! »
Ils s’affrontèrent, pleins de dépit,
Au nom d’Offrielle la chérie,
Et Lairme tua son hôte impie,
Mit sa pourpre en lambeaux.
Cet Argos avait reçut son lot.
Or, renonçant aux rites tombaux,
Lairme conduisit au bord d’un flot
Le corps de son aimée.
Avec elle, il laissa l’enlever
Le courant loin des peines semées.
Il voulait dans la mort la trouver,
Très loin des choses vives.
Or, le corps, la rivière le pris
Et Lairme fut jeté sur la rive
A regretter pour un trop grand prix
D’être toujours vivant.
De la fourche étroite d’une branche
Il prend un serpent par là buvant,
Lui fait mordre sa chair, que s’épanche
En lui tout son poison.
Le crochet qui sous sa peau s’enfonce
Est vide de mort et pâmoison :
Il avait jusqu’à la dernière once
Épuisé son venin.
Ce serpent avait fait le destin
D’Offrielle ; à quelle affreuse fin
Le feu de ses dents s’était éteint,
Lairme le devina.
De sa dague il le décapita ;
Contre lui-même, l’arme tourna,
Lui perça le cœur, et l’emporta
La rivière cruelle.
Célébrez ceux-là qui ont souffert,
Ce grand Lairme et la belle Offrielle ;
En tous cœurs leur souvenir est cher,
Ainsi je les chante.
© Cédric L. Martin, 2021.
© Sarah Poncet, 2017, pour l’illustration.