La chanson de Rosarie

3 mins

Hôtes chers, vous ici rassemblés,

Qui m’avez offert le pain de blé,

A mon tour j’ai de quoi vous combler,

Oui, de chants vous enchante !

L’amant d’Amour qu’on nomme Amarand

Gouvernait Rosarie la Charmante.

Or il avait pris en conquérant

Ces lieux et leurs usages.

En armes, par la campagne plane,

Amarand avait fait long voyage :

Il soumit la régnante Léalne

Et fit d’elle sa femme.

Il savait comment Amour se fâche,

Et la nuit où épouser sa dame,

Il trompa ce dieu par un tour lâche,

En cela fit grand tort.

Il le pria de saisir son cor,

Toute la nuit d’en jouer au plus fort

Pour lui prouver qu’il l’aimait encore ;

Ainsi ne viendrait point.

Que son cœur fût tenu pour certain,

Amour fut sur les monts au plus loin,

Y demeura du soir au matin

Pour convaincre Amarand.

Mais Amour sut comment son amant,

Le matin de nouveau l’éclairant,

S’était, pour prononcer son serment,

Joué d’un dieu qui l’aimait.

Sous l’aube il fut saisi de colère ;

Et c’était Léalne qu’il blâmait !

Il vint trouver son épouse austère

Et déclara : « Ecoute,

Gardienne des contrats. Ton concours

M’est très vital ! Loin de toute route

Egare Léalne sans retour.

Soutiendras-tu ce plan ? »

Lyadane ne met qu’un moment

Pour du fou deviner les élans.

Or disant accepter elle ment ;

Elle change aussitôt,

Se fait cigogne, amie des roseaux.

Vers Léalne elle vint sans fardeau,

Avec la hâte des seuls oiseaux,

L’informer du péril.

Volga, fille d’Argos dit l’Impie,

Pour sauver sa mère de l’exil

La déguise en servante ; elle prie

Lyadane en ces termes :

« Emporte-moi, cigogne, en secret.

Ma résolution restera ferme.

En lieu de ma mère, à la forêt

Laisse-moi ; je t’implore ! »

A la supplication qu’elle entonne

Aussitôt la cigogne sonore

Emporte Volga puis l’abandonne

A la forêt sa tombe.

Dans ces bois rôdaient alors en nombre,

Allant par la clairière et la combe,

Affreux, les loups, sous une unique ombre ;

En chasse marchaient-ils.

Ils sentirent, ces loups aux cœurs gris,

Ces monstres, Volga dans son péril.

Mais ceux qui croyaient leur festin pris

Trouvèrent leur destin.

Armé d’un grand arc, un chasseur vint,

Abattit chaque monstre que tint

Le destin sous sa main – c’est en vain

Que l’on fuit son arrêt.

Cet homme avait été puissant chef.

Il fut même un seigneur plein d’apprêt,

Fils d’Argos, mais son règne fut bref

Car ce prince était fou.

Ce Dellarc aimait tant l’or qu’un jour,

Craignant qu’on ne lui volât un sou,

Il fuit vers un sauvage séjour,

Un trésor pour bagage.

Mais Dellarc et sa sœur qu’il sauva

Ne savaient de leur commun lignage

En ce jour rien car elle, Volga,

Naquit après sa fuite.

C’est de pauvres mets qu’il la nourrit

Quand à l’abri Dellarc l’eut conduite.

Une grotte faisait cet abri,

Emplie d’or et d’argent.

Ils eurent bientôt deux forts enfants,

Pour cela coupables ignorants.

Ces fils furent grands et triomphants,

En leurs talents les cumbles.

Ils étaient forts, l’autre comme l’un :

Empé, de tous guerriers le moins humble,

Orace le bon parleur, chacun

Fort en son propre lieu.

Quand leur quinzième année fut sur eux,

Volga voulut revoir de ses yeux

Rosarie aux visages heureux

Et son pays natal.

Dellarc ne voulut suivre sa race ;

Où brillait tout son précieux métal

Il resta ; mais Empé, mais Orace

A la dame se fièrent.

Sur le commandement de leur mère

Ils assemblèrent des hommes fiers,

Les domptèrent, les firent leurs serfs.

Montée sur son cheval,

La dame conquerrait ses espoirs

Car, brandissant sa lame fatale,

Aux travaux des guerriers prit sa part.

Une neuve grossesse

Pourtant la détourne de sa guerre.

Or il reste ses fils qu’elle presse :

Il est temps de marcher sur la terre

Où s’endort l’imposteur.

Tuteur de l’orphelin, de la veuve

Unique époux, leur combat, labeur

Où succombe toute chose neuve,

Atteignit Amarand.

Ils mirent d’art et de force tant

Que l’intrus dût s’enfuir en errant

Vers Aceirie, sa ville d’antan.

Volga rentrait ainsi.

Elle eut repos dans son propre lit,

Etant près d’enfanter ; le récit

Qu’elle fit à sa mère embellit

Son aventure au loin.

En entendant les maux, le destin

Que Volga lui dépeint avec soin,

Léalne, la tenant par la main,

Lui dit la vérité.

« Tu me vois, dit-elle, m’affliger ;

Apprends la cause et son âpreté :

Quoique l’amour avez partagé,

Ce Dellarc est ton frère. »

Volga s’horrifia : ignoble fait !

Elle déclara que de sa chair

Ne naîtrait autre fruit d’un méfait

Et congédia Léalne.

Volga tourna contre elle un poignard,

S’en perça le cœur. Pourtant Déane

Au matin, malgré l’œuvre du dard,

Était née, bien vivante.

Léalne la mit en la confiance

Et l’amour d’une aimable suivante

Et rejoignit dans sa déchéance

Amarand – cœur loyal.

Quand il était fiévreux ou malade,

Elle allait, revêtant l’acier pâle,

Et donnait discours, coup et taillade,

Entre tous courageuse.

Quand Amour apprit quel tour odieux – 

Un affront à son âme ombrageuse – 

Avait été joué sur lui, ce dieu

Fut pris d’un grand courroux :

En grande hâte accourut Amour ;

Vers Amarand vint ce dieu jaloux,

Changea l’homme en faucon qui toujours

Le sert en toute tâche.

C’est ici, hôtes, que cette histoire

Atteint son terme et plus rien ne cache.

Allons, il me faut jusqu’à ce soir

Voyager encore.

© Cédric L. Martin, 2021.

© Sarah Poncet, 2017, pour l’illustration.

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