Calide dévoila ce dessein
Devant l’entier conseil des divins :
“J’entendis tous les becs de l’essaim
Qui cerne Albas d’oiseaux
Prédire à mon attentif Corbeau
Ce malheur : ‘fanera le repos
Des bons ; déjà s’usent les sabots
Des chevaux à la guerre,
Et tout travail sera désormais
Vain car la mort emplira la terre
Avec les humains que plus jamais
Elle n’épargnera.’
Je veux adoucir l’intolérable,
Inexorable sort qui fera
Le destin d’un monde misérable.
Une puissance occulte
Est de Déane seule connue
Qui pourrait aider dans le tumulte
Et le corps et l’esprit. Car venue
Au monde dans la mort
Déane connaît toute parole
Et geste pour tisser les sorts.
Mais jalouse elle craint qu’on ne vole
Un mot de son savoir.
Pour mener la fille de Volga
A céder aux humains son pouvoir,
Dieux, avez-vous un plan ?” A cela
Seul Amour sut répondre.
Il se leva et prit pour mission
De partir au plus vite et de fondre
Avec la bise sur la maison
De l’enfant d’Amarand.
[Il trouva le jeune Barvas, fils d’Amarand, qui grandissait à la cour de sa mère Léalne et vint à lui sous la forme de quelque voyageur. C’est en des termes élogieux qu’il lui parla de Déane de Rosarie Le même jour, il prit congés et s’en fut à Rosarie où il trouva Déane sous l’apparence d’un rossignol et lui parla en paroles flatteuses de Barvas d’Aceirie. Or Déane qui désirait se consacrer toute entière à l’étude des choses du monde, s’enferma dans une tour d’astronomie dont elle fit condamner la porte. Une volée d’oiseaux était chargée de lui emmener des vivres. Après quelque temps, voyant Barvas soupirer et rêvasser sans cesse, Léalne l’interrogea sur l’origine de son mal. Barvas lui répondit qu’il pensait à Déane et déclara vouloir l’épouser. Léalne s’y opposa et lorsque Barvas insista, elle le fit enfermer dans une tour dont il ne pouvait sortir. Voyant cela, Amour envoya le faucon Amarand à la fenêtre de Barvas. Celui-ci grimpa sur les ailes du crécerelle qui le conduisit jusque sous la tour de Déane. Là, ne pouvant trouver un moyen d’entrer sans pénétrer de force par la fenêtre, Barvas chanta. Entendant cela, Déane vint à l’embrasure pour écouter et fut séduite ; elle déclara qu’il n’y aurait jamais de meilleure voix pour réciter ses charmes ni de plus beau réceptacle pour sa sagesse. Elle chassa le faucon d’un coup de lance et c’est avec celle-ci qu’elle permit à Barvas de grimper jusqu’à sa fenêtre. Là, elle l’accueillit avec le vin que l’on réserve au meilleur des hôtes et, avide d’élever à elle celui qu’elle aimait à présent, lui enseigna sa magie ; rien que sache réciter le chanteur profane aujourd’hui car la plus grande part, c’est un corbeau qui en a la garde sur Terre et le reste demeure l’apanage des guérisseurs, des sage-femme, des magiciens et des sorcières. Leurs ancêtres apprirent leur savoir de Déane et de Barvas eux-mêmes après qu’ils furent redescendus de leur tour, aidés d’un ours qui, sur leur commandement, descella une à une les pierres de la porte condamnée.]
© Cédric L. Martin, 2021.
© Sarah Poncet, 2017, pour l’illustration.