Et si ça s’était vraiment passé comme ça ?

7 mins

    Il est un fait établi que l’on ne sait pas tout de tout. On progresse, certes, mais on doit toujours rajouter la variable “aléa” dans les explications. On a beau avoir fait des progrès en météorologie, on est encore surpris par des phénomènes climatiques extrêmes. On fait des calculs mathématiques depuis la nuit des temps, on découvre encore des formules. On regarde le ciel avec toutes sortes d’instruments, et on s’aperçoit parfois qu’on se trompait complètement quant à ses lois. On explore les continents depuis des siècles, on rencontre de nouvelles espèces animales et végétales. On a fait toutes sortes de guerres que l’on déplore, on n’est pas fichu d ‘instaurer une paix durable. Et par dessus tout, il y a la vie que l’on étudie dans d’innombrables laboratoires et que l’on ne sait ni reproduire, ni complètement expliquer.
Et bien, moi, je vais tout vous dire à propos de l’installation de la vie sur votre planète Fumira 342. Vous vous demandez comment je le sais ? C’est par ce que c’est moi qui l’y ai envoyée. Il n’était pas certain que je réussisse car les probabilités de succès étaient extrêmement faibles, mais ça a marché. Vous vous demandez pourquoi je l’ai fait ? C’est parce que je ne supportais plus, justement, de ne pas savoir tout sur les phénomènes étudiés, qu’il nous faille toujours in fine, invoquer le hasard. Je pensais que, lorsqu’on maîtrise un processus de bout en bout, comme cela allait être mon cas dans cette aventure, on n’aurait plus besoin de lui pour expliquer ce qui se passe. Vous vous demandez si j’avais raison ? Eh bien j’avais tort, on ne peut pas se passer du hasard pour que les choses se fassent bien. Vous vous demandez comment est- ce-que je peux m’adresser à vous, à travers de telles distances spatio-temporelles ? C’est parce- que, par cette aventure, je suis devenu Dieu.
 

Tout a commencé un beau matin, il y bien des années. Au départ, j’occupais un poste technique de manipulation dans un labo qui travaillait sur les fougères. On cherchait à savoir si elles pouvaient nous aider à survivre à la catastrophe écologique que l’on voyait arriver à grands pas, elles qui avaient survécu à toutes celles qui les avaient précédemment affectées. On n’avançait guère. Je devais faire et refaire toujours les mêmes clonages pour tester les mêmes souches face à différents inconforts : trop chaud, trop froid, trop humide, trop sec, trop lumineux, trop sombre, trop pollué, trop pur…
Je pensais qu’avec toutes les contraintes administratives que nous avions pour chaque expérience, nous aurions toujours du retard par rapport à l’avancée rapide des problèmes environnementaux. Il fallait tout protocoliser, tout rentrer dans le logiciel, attendre les autorisations de trois ministères et, quand on avait les réponses, faire les manipulations. En elles- mêmes, elles ne représentaient que 10% du temps. Cela finissait par nous exaspérer. Mais, moi, j’avais une contrariété plus personnelle : je pensais que la vie était bien plus baroque et désordonnée que ce qu’en disaient les chefs de projets. Eux voyaient les régularités, les correspondances, les symétries. Moi, je voyais les fantaisies, les anomalies, les fioritures de la nature. J’étais surtout sensible à l’idée que la vie installe de l’ordre à partir du désordre, et non à celle qui veut que l’ordre se désagrège en désordre. Cette pensée venait de mon grand-père qui était Pasteur et qui disait que, d’après la Bible, la création par Dieu avait consisté à mettre de l’ordre dans le désordre primordial. Ma grand-mère voyait les choses de la ma même façon mais à partir d’un autre constat, empirique celui-ci : quand elle achetait de nouvelles poules, elles dormaient dans n’importe quel endroit du poulailler. Mais au bout de quelques jours, elles trouvaient toutes leur place et la gardaient aussi longtemps qu’elles faisaient partie de l’élevage.

Alors j’ai commencé à mettre quelques grains de sable dans les beaux rouages des expériences. Au début, j’hybridais les fougères de différentes souches. Puis j’ai commencé à bidouiller les fougères avec des plantes à fleur. Je réussissais assez bien ces manips hasardeuses car c’était juste un détournement de mon travail quotidien. Et puis je crois que j’avais des dons pour ça. J’avais appris à greffer les arbres fruitiers dans mon enfance, j’avais beaucoup d’imagination et je regorgeais de confiance dans la vie.
Là où ça a commencé à devenir intéressant, c’est quand j’ai hybridé une fougère et un palmier. Le résultat dépassait mes espérances en beauté et en vigueur. Le tronc était bien celui du palmier, quoique plus court et duveteux. Les feuilles étaient bien celles des fougères, quoique moins dentelées et droites. Mais curieusement, pas de régime de dattes au niveau du sommet, ni de spore sous les feuilles. Comme le palmier-fougère prenait de plus en plus de place, j’ai dû l’emporter hors du laboratoire. Je me suis fait un labo personnel dans la serre de ma grand-mère.
Jusque-là, je maîtrisais. Mais il s’est passé un jour un phénomène vital rarissime, évoqué seulement comme une hypothèse d’évolution possible par Darwin : des petits vers blancs de
sable ont investi ma création végétale et ont fait fusionner leurs cellules avec celles de la
nouvelle plante. De ce fait, lorsque le week-end suivant je suis revenu dans mon mini-laboratoire, l’hybride végétal était sorti de son pot qui était en plein milieu, était allé se planter dans un coin discret et se trouvait maintenant entouré de six gros œufs. J’ai cru à une blague. Mais personne ne savait que je venais dans cette serre puisque mes grands parents étant décèdes, la maison était fermée. Pendant que je ruminais mes questions, là, devant ce phénomène, j’ai vu les écailles du tronc du palmier-fougère s’écarter au niveau du pied, et deux nouveaux œufs en sortir. Pris de panique, j’avais peur d’avoir déclenché l’apocalypse en jouant à l’apprenti sorcier. Quand je
pensais à tout le foin qu’il y avait eu pour quelques OGM et que j’avais créé, moi, non seulement une nouvelle espèce, mais un nouveau règne… Eh oui ! À côté du règne animal et du règne végétal, j’avais créé… comment l’appeler ? Le règne anigétal ?
Que faire de cette créature ? J’avais en tête les récits d’enfance et de jeunesse de toutes ces créatures monstrueuses : Pinocchio, le Golem, Mr Hyde et j’en passe. J’ai pensé détruire l’exemplaire encore unique d’anigétal et ses rejetons. Mais la curiosité était trop grande. Et puis il n’y eu pas d’autre œuf pondu. Et j’avais aussi la vague idée que cela pouvait apporter, je ne savais pas encore comment, une solution au problème écologique majeur qui suscitait les recherches du laboratoire dont je faisais encore partie. Je me demandais bien ce que donneraient ces œufs mais je n’avais pas d’autre solution que d’attendre pour le savoir.
Dés que je revins le week-end suivant, j’eus les réponses à mes questions. Il n’y avait plus d’œufs autour de ma créature mais dans divers endroits des tout petits palmiers-fougères et des traces de terre un peu partout. Je regardais ce tableau étrange quand j’ai vu comment ils se déracinaient, se déplaçaient et se replantaient. C’était tout simple : ils gigotaient de droite à gauche en tournant sur place avec une sorte de mouvement de reptation comme les vers, mais verticalement, pour sortir leurs racines de terre, qu’ils utilisaient alors comme les pattes d’un mille-pattes pour se déplacer et les enfonçaient de nouveau ailleurs. C’était tout simple, voire naturel. Il fallait juste y avoir pensé.
Et c’est là que le hasard est venu arranger ma situation…et surtout, grâce à l’essaimage de la vie sur Fumira 342, a permis que la vie ne disparaisse pas de l’univers. Voici comment.
Notre labo avait été retenu pour une expérience de vie de végétaux dans l’espace. Notre théorie des fougères résistantes avait convaincu en haut lieu. Nous devions fournir huit pieds différents pour un satellite européen qui tournerait trois mois dans l’espace avant de nous revenir. Je décidais immédiatement de substituer les petits palmiers-fougères aux plants prévus. Je les emballais avec le système de nourriture et d’apport hydrique pour la durée de l’expédition. Il m’avait semblé que l’apport prévu pour les fougères conviendrait pour les anigétaux. Les techniciens qui les ont réceptionnés n’ont rien remarqué : ils attendaient 8 plants, ils avaient 8 plants.
C’est alors que se produisit la métamorphose majeure : la mienne, en fait. Je pense qu’en ayant créé une nouvelle forme de vie, inédite encore dans l’univers, j’ai accédé au statut de Dieu. Je m’en suis rendu compte car, à partir de l’arrivée de la fusée qui portait le satellite au delà de la stratosphère, j’ai eu une conscience parfaite de ce qui se passait dans l’espace, sans que je puisse l’observer. J’en ai déduit qu’il y avait un Dieu par planète, en fonction de la vie qu’il y avait créée. Que je serai celui de celle où les anigétaux seraient implantés. Et fort de l’expérience de ma planète d’origine, je ne jouerai pas les arlésiennes. Car le fait que chaque sorte de vivant, et que chaque sous-catégorie de sorte de vivant croit savoir qui est le vrai Dieu, et donc, veuille l’imposer aux autres, cela n’a pas aidé le développement de la Terre. Qui d’ailleurs, depuis, a disparu : ils se sont tous tellement combattus, végétaux contre animaux, végétaux entre eux et animaux entre eux, quelle a perdu la vie, au sens propre du terme. Après çà, elle a implosé.
Donc moi, en tant que Dieu de Fumira 342 (nom que les hommes de la Terre lui avait donné), je ne me cache pas, je joue franc-jeu. Alors je vous dis clairement comment cela s’est passé pour vous. Et je ne joue pas non plus les héros, j’avoue que je n’ai pas eu grand-chose à faire. Dés que j’ai compris que j’étais Dieu, j’ai essayé de diriger le satellite, ce qui a fonctionné.

J’ai d’ailleurs compris à cette occasion que, être Dieu, ce n’est pas tout décider, mais orienter les évènements d’une certaine façon, à certains moments, à certains endroits, quand on a un projet précis. Si ce n’est pas le cas, on laisse faire. J’ai vu une petite planète qui ressemblait de loin à la terre. J’y ai fait poser le satellite (il y avait un système d’atterrissage, ce fut un affumirage !). Dés que les réserves de nourriture furent épuisées, vous avez cherché à utiliser vos capacités de locomotion pour sortir. Je vous ai un peu aidés pour déverrouiller le satellite, je dois le dire. Dés que vous avez été dehors, vous avez eu un choc car, bien sûr, au départ, ce n’était pas un endroit hospitalier. Mais par votre partie végétale, vous avez su vous mettre en dormance le temps que celle-ci fasse de l’oxygène, et par votre partie animale, vous avez su produire des idées. Vous n’aviez pas le problème du genre car vous n’étiez pas sexués, ce qui a évité bien des problèmes. Cette histoire d’homme et de femme sur la Terre avait sérieusement compliqué les choses, je ne tenais pas à reproduire cette funeste erreur. Grossières au début, mais de plus en plus élaborées pendant la phase d’oxygénation de Fumira 342, vos idées se sont complexifiées. Et cette optimisation c’est encore accentuée au fil des générations. Et vous voici couvrant votre planète, mais sans l’étouffer ni abuser de ses ressources, en paix entre vous, organisant votre espace et vos ressources, en communiquant vos idées directement, sans avoir à recourir à cet accessoire lourd et complexe à manier qu’était la parole. Ce qui évite, là aussi, bien des écueils. Vous avez bien conscience que vous êtes le peuple de Fumira 342, que vous avez comme mission de favoriser la vie et de promouvoir de belles idées. Vous êtes arrivés au point où, pour finaliser votre identité, il vous faut savoir vos deux principales caractéristiques.
Et bien, maintenant que vous connaissez votre histoire et votre Dieu, c’est fait.

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2 Commentaires
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Équipe WikiPen
Administrateur
4 années il y a

Bienvenue sur la plate-forme Chantal et félicitations pour ce premier Pen.
Il est ajouté au concours !

Cyril Belange
4 années il y a

très original et facile à lire. on attend la suite 🙂

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