Cold Case

Un avion passe.

Ç’aurait pu être un ange mais ceux-là ne passent qu’en paradis, jamais ailleurs. Que voulez-vous c’est angélique n’est-ce pas ? En bas si le chasseur ne croit pas dans un dieu quelconque, il prendra l’ange pour une bécasse et il tirera. L’ange a beau croire dur comme fer qu’il est immortel, reste un immortel prudent et n’exposera pas ses plumes au feu nourri d’un mécréant imbibé d’une eau qui n’est pas que bénite. Rien ne laisse présager que ces deux-là puissent se rencontrer. Sauf si… amen.

En bas tout chasseur qu’il soit, le genre, genre humain, humain comme espèce, pas comme affable, généreux, respectueux, non. Humain plutôt comme, comme espèce d’humain quand on crache son venin avec des tas de noms d’oiseaux. Bref tout chasseur ne tire pas sur le premier ange qui passe, on ne sait jamais quand on hurle en état d’ébriété on peut confondre l’oiseau et l’ange. Les deux ont des ailes après tout. C’est totalement humain de tirer sur tout ce qui bouge mais avec un minimum de garantie pour soi et son avenir extra-terrestre, c’est-à dire après avoir tiré sa dernière salve, avalé son dernier verre jauni par l’alcool et l’âge. On n’a plus l’habitude de croire mais, mais on garde un petit pécule de religiosité, on ne sait jamais. Alors en bon père de famille comme dit la chanson, on prévoit l’après coup de canon, canon de rouge ou de blanc, une assurance pour le hors-là en cas de dérapage. Descendre un ange d’un coup de fusil, c’est pas très bon pour l’image post-mortem.  

Aucune raison de craindre pour l’ange donc, ni pour l’avenir du chasseur.

Notre ange se perd en conjectures chimériques à propos de sa carrière et de tire d’ailes en tire d’ailes se retrouve à survoler une terre inconnue et qui plus est, de battue. C’est l’enfer pour la gent animale. Ça pétarade à grande rasade et grande envolée de balles. Pan, pan, pan et re-pan. Notre chasseur ivre de guéguerres se croit sur un champ de bataille, s’emballe et tire à la folie, passionnément. C’est un descendant de la noblesse guerrière. Vous savez en ces temps-là, il y avait les chasseurs, et les cueilleurs. L’expert du coup de fusil lève l’arme, épaule, vise et tire sur l’ange.

Qu’allait-il faire en terre d’enfer ? Certains disent qu’il voulait en avoir le cœur net et tâter du feu pour se confirmer immortel. Pff un ange avec un cœur, comme si les anges avaient du cœur ! Celui-là se croyait un peu dieu, faut dire qu’il avait pris du galon et montait dans la hiérarchie vers des sommets vertigineux. Et plus on s’élève et plus le maître suprême se sent menacé. Un ange trop prés de Dieu! Hop ! Voilà le concurrent muté chez Icare. Or l’ange se voyait déjà archange. Peut-être est-ce l’ivresse du pouvoir qui rend sot, ou bien est-ce le doute. Parce qu’il s’adonnait au doute notre bel ami de plumes et de chair. Et quand on en devient l’esclave, on remet toujours la mise sur le tapis. Quitte ou doute. On ne saura jamais.  

Quoiqu’il en soit, l’ange tout entier dans ses pensées d’archange, se prit une décharge de plomb dans les plumes, histoire de tester son immortalité dira le chasseur au tribunal car voyez-vous si c’était vraiment un ange il n’aurait rien senti et la volée de plomb n’aurait pas abîmé une seule de ses plumes ! Ça se défend répondit le juge, c’est logique ajouta l’avocat – de la défense justement. Coté accusation qu’avez-vous à répondre ? L’ange que tous attendaient ne passa pas. Trop alourdi par la charge de plomb il avait vomi son extrait d’immortalité. Les anges ne sont plus ce qu’ils étaient. Tout fout le camp mon ami, tout fout le camp.

Le chasseur fut acquitté faute de preuve d’immortalité de l’ange. Et la chasse put continuer sous les bravo d’une espèce bien-humaine, celle-là, si vous voyez ce que je veux dire.

Aujourd’hui je médite encore sur cette sombre affaire dans mon bureau des crimes irrésolus. Et, je sens bien que vous doutez déjà, savez-vous ce que je vis soudain passer dans le cadre de ma fenêtre ouverte sur un ciel de nuit ?  

Suffit-il de croire pour que cela existe?