Encore un pen tiré d’un concours où j’ai tenté ma chance. Ma plume n’a pas fait grand écho mais je partage avec vous en espérant intéresser les plus téméraires. Merci à vous !
D’aussi loin que je me souvienne, on me dit fan de vêtements. De vêtements ? Oui, mais pas n’importe lesquels. Je suis une chasseuse de fripes. Je déniche les fringues les plus dingues en un tour de main.
Bien sûr pour ma famille, ça ressemble à une obsession mais ils sont juste jaloux de ma facilité à m’habiller pour pas grand chose.
De la fripe chic à la friperie de quartier, je fouille, je retourne, je bataille les prix. Je suis un requin au milieu des eaux colorées des vieux stylistes. Après, ils diront ce qu’ils veulent mais ils ont poussé le vice en m’appelant Alexa. Ils auraient tout aussi bien pu appeler leur petit bulgare Apexa. Les vêtements sont inscrits jusque dans mon prénom.
L’habillement, c’est mon credo. Un peu comme une religion. J’en ai même fait mon métier. Je déniche pour les gens fortunés un type de vêtements auquel ils puissent s’identifier. Des gens en quête d’identité, voyez !
C’est pourquoi, quand j’ai rencontré Jordie, quelque chose m’a paru étrange. Non pas qu’il ne m’ait paru plus charismatique que les autres, car, pour moi, ce sont tous des gens insipides. Il avait quelque chose de plus qu’eux. Quand ce businessman nanti aux yeux noirs de jais et au sourire endiablé m’avoua chercher un vison, en une sorte de désir inavouable depuis toujours, je sentis que l’affaire paraissait prendre une tournure des plus… prolifiques.
Le plus étonnant dans tout ça, c’est qu’il ne me proposait pas d’argent mais une récompense circonstancielle en échange dudit-manteau. Et surtout qu’il savait celui qu’il voulait comme s’il l’avait déjà vu. La friperie, la rue, le carrefour où elle se trouvait. Il savait tout. Plus étrange encore, je n’avais pas du tout connaissance d’une friperie du nom de Fire Emblem au coin de la rue Richelieu et de la rue Saint Marc. Moi qui faisait de mes tuyaux bien aimés, la marque de fabrique de ma petite PMI, je me trouvais subjugué par cet inconnu qui en savait plus que moi, et qui avait assez de sous pour envoyer quelqu’un récupérer ses courses à sa place.
Le luxe est une chose qui me fait défaut et qui pourtant me fascine au plus haut point. Je suis la perfection même, mais je n’ai que des roupies depuis toute petite alors je me tourne vers les friperies. Ne vous méprenez pas, j’adore ça ! Mais si je pouvais choisir entre du chic de seconde main et du vêtements de qualité supérieur en vente chez le styliste, je donnerais volontiers mon âme au plus offrant pour passer au level suivant.
Je me suis rendue, bien sûr, comme prévu au coin de la rue. Je pensais y trouver un magasin traditionnel sans grande envergure et c’est ce qu’au premier abord, on aurait pu penser. Malgré l’enseigne fade et grossièrement gravée d’un diablotin en flamme, l’effervescence était telle, à l’intérieur, que je me demandais ce qu’il pouvait bien y avoir de si attractif pour que tout le pâté de maison s’y rende.
Mon pied avait à peine touché le parquet élimé de ce magasin antique que mes yeux se posèrent sur le fameux vison exposé sur une estrade à la vue de tous. Il devait faire le même effet à tous les gens du magasin car ils étaient tous des plus silencieux et ils miraient ce manteau velu jusque dans la rue.
Une aura spéciale s’échappait de cette fourrure couleur rose organza. En la voyant, je me disais, qu’à coup sûr, cela devait être du synthétique mais comment pouvait-on détourner ses yeux de cette pure merveille ? Un combat hors du commun s’engagea au fond de moi. Dans un magasin ordinaire, devant ce manteau très commun, je n’aurais pas fait grande parade mais, pour je ne sais quelle raison, celui-ci me torturait l’âme. Je m’avançais dudit-vison, non sans jouer des coudes avec les zombies inexpressifs, pour m’approcher au plus près de cette « beauté immonde ». Une seconde d’émoi et je reprenais mon rôle avec fébrilité. Je me rendis compte alors que la vendeuse, elle-même, était là hypnotisée devant le vêtement et cela, à en juger par sa coiffure, depuis un moment.
– Madame ? Lui fis-je en lui laissant le temps de reprendre ses esprits. A combien est-il ?
– Il n’est pas à vendre. Il est… vendu… il est à moi. Me dit-elle sans me regarder.
– Mais…
Je regardais autour de moi pour m’apercevoir que tous les regards, excepté celui de la vendeuse, étaient tournés vers moi. Une haine innommable envahissait la pièce. Les autres acheteurs ne décoléraient pas de cette question anodine qui allait à l’encontre de leur volonté. La fourrure était aux zombies et les zombies semblaient vouloir la protéger. Je pris mon sang froid légendaire à bras le corps, la fourrure de même et entamais un football américain tout aussi glorieux dans le magasin avec les illuminés, avant de traverser tout Paris talonnée par des gens toujours plus nombreux aux regards furieux.
Après deux heures de cache-cache et de courses effrénées, j’arrivais enfin chez Jordie en sueur. J’avais réussi à semer mes poursuivants. Quand j’arrivais enfin dans le Penthouse de l’homme, il n’y avait ici qu’un vieil homme au regard fuyant assis sur une chaise. Quelque chose en lui fît appel à ma mémoire et je me souvîns d’une image que ma mère m’avait montré quelques jours plus tôt : un vieil homme en guenilles tenant son seul bien.
– Mammon, mon enfant. Le dieu de l’avarice. Un vieil homme perfide, m’avait-elle dit.
Sur le moment, j’avais pensé “ vieille fanatique” mais la vision en face de moi n’avait rien d’une lithographie religieuse insipide. Il était bel et bien le vilain vieillard avec lequel ma mère me comparait.
– Quelle femme avisée ta mère ! Car elle a raison; toi et moi, ne sommes que supercherie ! Je l’ai entendu te nommer de ce nom !
Alors que j’émettais un claquement de dent de déni, je compris ce que voulait dire le vieil homme.
– Jordie ? Mais alors ce n’était qu’une illusion ?
– Illusion ! Voilà le mot qui compte. Tu parles de connaissance et de savoir comme j’en parlais,
moi, il y a des centaines d’années. Mais savoir choisir ta garde-robe ne fait pas de toi un érudit, non ?
– On dirait ma mère, vieillard ! Tu ne vis pas dans mon temps, non ? Tu ne sais pas ?
– Non, je ne sais pas. Je ne sais plus et tu ne sauras plus bientôt non plus. Je suis Mammon,
démon ou dieu peu importe. Qui n’a jamais entendu parler de moi, me connait au fond de lui. Je suis le péché de l’avarice et je suis celui qui te maudit. Tu tiens, dans tes mains, ma toison. Telle celle d’Ino, elle attire ceux qui ont besoin d’elle mais la mienne attire seulement les plus perfides. Je lui donne un petit coup de pousse pour qu’elle choisisse comme je l’entends. Comme je sers le grand maître Satan, je te choisis pour me servir.
J’émis un rire nerveux et quand je me préparais à jeter le vison et à rebrousser chemin, toutes les portes du vestibule se refermèrent, et ma main resta collée à la veste velue. J’eus beau tirer, secouer, injurier, rien n’y fit.
Je relevais un visage blafard vers le vieil homme, un sourire vicieux sur son visage.
Dans les tréfonds de mon âme, la liberté précaire dont je me targuais se fêla tel un miroir pour céder sous le poids de la toison qui prenait possession de moi.
– Le précédent serviteur arborait une toison de rose. Tu la portes rouge vive, il semblerait. Lui n’a vécu que cent ans car la toison consume son possesseur. Elle consume l’avarice et la luxure. Tu vivras bien plus, je te le promets. Bien qu’en voyant ce que je te propose, tu ne regrettes qu’elle te consume immédiatement.
Le raclement de satisfaction que le démon émit avant de se tourner vers la porte nouvellement apparu dans la pièce finit de rompre mon attache au monde humain. Son ouverture se fit silencieuse mais je compris tout de suite où m’emmenait l’ancêtre.
– Ta nouvelle demeure. L’enfer d’Alexa !
Ceci est mon testament pour le néant. Une offre privilège pour les dernières secondes de lucidités qui ont été les miennes. C’est cadeau pour la postérité ! Prenez-le car, franchement, pour ce que ça me rapporte.
Maman, tu avais raison !
Un bon récit fantastique après tout. Horreur pour moi ne signifie pas grand chose.
On pourrait classer à peu près tout ce qui est un peu fantasque dans le fantastique et c’est pourquoi j’aime à appeler horreur ce qu’on aimerait pas qu’il nous arrive !
Je classe moi-même en fantastique mon roman alors que ça n’en est pas… Il est parfois difficile de classer