Conte 7 : Le Retour de la Reine – 12ème partie

8 mins

Plusieurs heures plus tard, comme à chaque fois, tous étaient réunis chez Damian et Amanda, attendant. Attendant et attendant encore. Peut-être de voir débarquer les gendarmes ou simplement qu’on vienne leur poser des questions. Peut-être même les arrêter, s’ils s’étaient plantés quelque part ou juste si quelqu’un les avait vus. Et si cela devait se finir comme ça, alors qu’il en soit ainsi. Au moins, ils seraient tous ensemble jusqu’à la fin.

Ils attendaient sans se dire un mot. Ils n’en avaient pas besoin. Ils se connaissaient suffisamment, aujourd’hui, pour entendre les pensées les uns des autres et celles de Damian, à cet instant-là, étaient tournées presque exclusivement vers Belinda.

Il faisait les cent pas jetant parfois un coup d’œil à l’extérieur. Amanda était assisse sur les genoux de Katy qui l’enserrait dans ses bras, Nadya, à côté d’elles, buvait un café en fumant clope sur clope, ce qui donna envie à Baz d’en prendre une autre, encore une. Moustik, lui, avait déjà englouti un sandwich et un paquet de chips, un paquet de biscuit, une plaque de chocolat et s’apprêtait à en engloutir une seconde en la faisant descendre à grands coups de soda. Milo était affalé dans l’un des fauteuils du salon et jouait sur son portable. Gunz, lui, était assis sur le bord de la table basse, une bière à la main et observait Damian.

Ils se connaissaient aujourd’hui comme deux frères. Même mieux que ça. Même s’ils avaient failli s’entretuer à leur première rencontre dans cette cuisine, il y avait déjà si longtemps. Damian avait eu ses paroles qui résonnaient encore en lui aujourd’hui ; « Réfléchis bien à ce que tu vas faire maintenant. Soit tu lâches ce couteau et tu vis pour tenter de devenir quelqu’un de bien ou de pas trop mal dans ton cas soit tu finis comme lui. Ici et maintenant. A toi de choisir ! ». Il avait choisi. Il avait choisi un ami plutôt qu’un ennemi, un frère plutôt qu’un adversaire. Damian avait une force incroyable en lui et cette façon qu’il avait eu de le regarder ce jour-là…

Il était tellement déterminé et tellement froid, glacial. On ne l’avait alors jamais regardé comme ça. Ni jamais depuis. Comme quelqu’un qui pourrait être détruit, comme quelqu’un qui pouvait être sauvé. Comme quelqu’un de réel, qui existait. Et ce regard, il ne l’oubliera jamais. Il en avait posé son couteau. S’il ne l’avait pas fait, Damian l’aurait certainement tué sans hésiter pour ce qu’il leur avait fait, à lui mais surtout à Amanda. Même après toutes ces années, il s’en voulait encore. Parfois.

Ce jour-là, Gunz avait eu la plus grosse trouille et la plus grande chance de toute sa vie : Damian. Grâce à lui, ils étaient tous sortis de la rue. Grâce à lui, ils avaient utilisé l’argent que Milclock planquait dans sa cuisine pour se bâtir une vie. Eux l’auraient sans doute dilapidé en tout un tas de connerie en quelques mois, peut-être seulement quelques semaines. Et aujourd’hui, ils seraient, sans doute, encore, toujours dans la rue à obéir à un petit chef comme des esclaves, en taule ou en train de pourrir dans une vieille baraque à servir de buffet froid aux asticots et aux rats. Damian les avait libérés et fait d’eux une famille.

Toutes ces années, Gunz l’avait vu être en colère, en rage parfois. Il l’avait vu péter un câble ou cogiter pour trouver une solution aux conneries que l’un ou l’autre avait pu faire. Il l’avait vu heureux puis dévasté. Il l’avait vu se jeter dans des histoires perdues d’avance puis se reprendre pour redevenir celui qu’ils avaient toujours connu. Mais il ne l’avait jamais vu comme aujourd’hui. Durant toutes ces années, il n’avait jamais vu avoir peur. Pas une seule fois.

Il se leva et alla le rejoindre. Damian le regarda, se pinça les lèvres

– « Tu ne veux pas t’asseoir ? Tu me donnes le tournis.

Je peux pas… lui répondit Damian, je peux pas.

Je sais…mais…t’inquiètes pas je suis sûr qu’elle va bien.

Y a pas que ça…si on a fait une connerie, si on a oublié quelque chose, si on nous a vus…on ne va pas s’en sortir cette fois.

Je sais. On le sait tous. Et pourtant on est tous là et on ne partira pas…tu t’inquiètes trop si tu veux mon avis parce que les mecs en face ce ne sont pas des lumières, ils ne sont pas comme toi. Ils ne sont pas comme nous. Eux ils font juste un boulot, ils font ça pour un peu de fric à la fin du mois ou peut-être même pour espérer un jour avoir leur quart d’heure de gloire et les trois quarts parce qu’ils ne savaient pas quoi foutre d’autre. Toi, nous, on est différents. C’est pour nous tous qu’on fait tout ce qu’on fait, c‘est pour notre famille et ça, ça fait toute la différence…ça le fera toujours et ça le fera encore cette fois-ci.

Et si c’est pas le cas ? T’es prêt à perdre tout ce qu’on a construit ?

C’est la règle du jeu, mon pote. Tu savais pas ? A un moment ou un autre, de toute façon, on va tout perdre…et on le fera tous ensemble parce qu’on est une famille…un peu comme les Avengers…et si le Mous i’ continue à bouffer comme ça nous aussi on aura bientôt un Hulk…[Damian laissa un sourire se dessiner sur son visage]…Allez, viens boire un verre et manger un truc avec nous. Nous laisses pas seuls ».

Plus de deux heures s’étaient écoulées, l’atmosphère lourde qui régnait dans cette maison plus tôt dans la nuit, s’était dissipée. Tous avaient mangé et bu. Ils discutaient maintenant les uns avec les autres, souriant, rigolant parfois, attendant toujours tandis que Milo s’était assoupi. Jusqu’à ce que le téléphone portable de Damian sonne. Tous alors se turent. Milo se réveilla tout aussitôt. Damian soupira, prit son portable.

– « Numéro masqué…allô ? ».

Il écouta, et écouta encore. Tous étaient suspendus à ce qu’il allait leur dire en raccrochant.

– « Il y a eu un incendie au village d’à côté et ils ont retrouvé une femme méchamment blessée…les gendarmes demandent qu’on la stabilise avant qu’ils ne la transportent à l’hôpital, ils sont en route pour nous l’amener au cabinet .

Oh, putain, les cons de chez cons !  soupira Milo

C’est pas encore gagné » le calma Gunz.

Damian se leva. Amanda en fit autant, comme Nadya.

– « Non. Toi tu restes ici  lui dit-il

– C’est Belinda Papa ! Je viens avec ! 

Si ça avait été quelqu’un d’autre, tu serais venue aussi ?… ». Elle le regarda, bien sûr que non elle ne serait pas venue, elle n’en aurait rien à faire, pas vraiment en tout cas. « Donc tu restes ici et cette fois tu obéis ». Elle se rassit alors.

– « Nadya va venir avec toi…pour veiller sur toi lui dit alors Gunz

C’était pas dans mes intentions de le laisser y aller tout seul ».

Une bonne dizaine de minutes plus tard, ils étaient devant leur cabinet et attendaient l’arrivée des gendarmes et des pompiers. Nadya fumait sa clope. Damian avait les yeux rivés sur la route qui menait jusqu’à eux. Et cette putain de boule à l’estomac qui ne le lâchait pas. Tout à coup, les gyrophares bleu et orange se dessinèrent dans la nuit au loin sans qu’aucune sirène n’en vienne déchirer le lourd silence.

– « Que le spectacle commence ! lui dit Damian

J’espère que les trois coups on ne va pas se les prendre dans la gueule…mais tu sais quoi, si ça doit arriver je regrette rien, je suis contente d’être là.

Et je suis content que tu sois là. Sans toi ça n’aurait pas été pareil.

Enfin si, j’aurai un regret.

Lequel ?

On aurait dû baiser ensemble ». Elle sourit. Lui aussi.

Quelques secondes plus tard, un fourgon de pompiers et une jeep de la Gendarmerie arrivèrent et stoppèrent sur le parking à l’asphalte encore neuf de leur cabinet. Aussitôt, les pompiers descendirent une civière de leur fourgon, Nadya se précipita vers eux et les accompagna à l’intérieur du bâtiment de briques rouges.

En retrait, quant à lui, Damian observa les gendarmes. Ils étaient trois, un petit rondouillard grisonnant et les deux qui étaient venus quelques mois plus tôt chez lui lorsque la présence d’une vache en campagne avait posé problème aux voisins venus de la grande ville. Le plus jeune avait l’air d’être aussi excité qu’un labrador sous ecstasy, prêt à aller lever la patte si besoin était. L’autre avait plutôt l’air emmerdé alors qu’il écoutait le petit gros aux cheveux gris qui n’avait pas l’air d’être à la fête, lui non plus. Celui-là fit alors signe à Damian de venir les rejoindre.

– « Messieurs bonsoir ou plutôt bonjour vu l’heure…  leur dit-il une fois à leur hauteur.

Vous allez pouvoir la stabiliser ? L’hélicoptère de la sécurité civile ne devrait pas tarder pour l’emmener vers l’hôpital .

On va faire en sorte que ça se passe pour le mieux.

Il faut qu’elle tienne pour qu’on puisse lui parler insista-t-il avant d’adresser un signe à l’autre de son âge qui emmena alors Damian un peu plus loin pour lui dire :

Ce que je vais vous raconter, ça doit rester entre nous. Je sais que je peux vous faire confiance avec tout ce que vous avez fait pour le village et surtout pour ses habitants…je…on vient d’être confrontés à quelque chose que…je n’aurai jamais cru voir arriver dans un patelin aussi paumé…ça dépasse tout ce que…et…franchement, je crois qu’on n’en a pas fini…bref…on a découvert cette femme suite à l’incendie de sa maison. Son mari est mort…mais…pas dans l’incendie…d’après les premières constatations, il aurait été torturé et on lui aurait défoncé le crâne et…elle, elle aurait été battue, probablement torturée aussi et on lui a tiré dessus…bref…c’est le truc inimaginable…donc…il faut vraiment qu’elle tienne pour qu’on puisse l’interroger sur ce qui s’est passé là-bas cette nuit…en plus de tout ça on a découvert un véritable arsenal dissimulé dans une sorte de pièce secrète de la cave…c’est le genre de truc qui est censé n’exister qu’au cinéma…donc je vais pas trop me…mais…personnellement je dirai qu’on a affaire à un règlement de compte…il faut qu’on sache ce qu’elle sait…parce que…on ne pourra pas traiter ça ici…c’est trop lourd pour une petite brigade comme la nôtre…donc si vous pouvez faire en sorte qu’elle tienne…surtout ça…parce qu’on aura des comptes à rendre…et franchement si je pouvais être ailleurs…enfin bref…faites tout ce que vous pouvez pour qu’elle ne nous claque pas entre les pattes…parce que… 

On fera tout ce qu’on peut pour ça, je vous le promets…pour le moment je dois rejoindre ma collègue.

Euh…ouais. Ouais. Bien sûr allez-y… acquiesça le gendarme qui avait l’air aussi dépassé que paumé « et merci »

On est là pour ça ».

Quelques minutes plus tard, l’hélicoptère rouge et jaune de la sécurité civile se posa dans le champ face au cabinet de Nadya et Damian. Une équipe médicale en sortit et se dirigea à l’intérieur.

Lorsqu’ils arrivèrent dans la salle où ils médicalisaient Belinda, la Doctoresse se dirigea vers Nadya pendant que l’anesthésiste et le pilote-brancardier préparaient leur civière, le monitoring et une perfusion.

– « Salut toi !  lui lança la Doctoresse

Ça va, Stella ?  lui répliqua Nadya

Toi, tu dois être Damian salut ! Alors qu’est-ce qu’on a ici ? 

Patiente consciente, trente, trente-cinq ans blessure à l’épaule, une blessure par balle, et plusieurs autres, des coups probablement, peut-être même une hémorragie interne, elle taticarde et tension à quinze-sept.

Et ben efficace le copain !

Qu’est-ce que tu crois ! On est des bons ici ! 

Ouais, le pouls est très rapide…mais régulier, il n’y a pas l’air d’avoir de…[ses yeux se posèrent sur la main que Belinda serrait dans celle de Damian]…lésions crâniennes, les pupilles réagissent bien…t’as dû en chier hein, ma grande !…[se dit-elle en lui auscultant le visage]…tu la connais ?

On est sorti ensemble il y a quelques années.

C’est bizarre hein ! Quand on est forcé de s’occuper de quelqu’un qu’on connait, c’est pas la même chose, hein ?…c’est ta première fois ? 

Non, on l’a déjà fait pour l’une de nos amies et c’est pas mon meilleur souvenir .

Alors tu sais ce que ça fait et c’est pas le moment de te laisser attendrir t’auras tout le temps pour ça plus tard, on va lui faire un petit shoot et on l’embarque…votre amie elle s’est en sortie ?… 

Ouais, tu la connais… acquiesça Nadya, c’était Katy.

Elle aussi, elle s’en sortira…normalement…vous avez fait du bon boulot tous les deux ! Maintenant on prend la relève, vous allez pouvoir souffler !…si tu veux tu pourras venir la voir demain dans la matinée, je crois que cela lui fera plaisir…si elle tient jusque-là ! ».

Aussi vite qu’ils étaient arrivés cette Doctoresse, l’anesthésiste et le brancardier-pilote s’en allèrent. L’hélicoptère décolla et les véhicules rouge et bleu désertèrent les lieux laissant Damian et Nadya seuls.

– « Eh ben ! Ce fut court mais intense ! Si on avait baisé ensemble, je suis pas sûre que ça aurait été plus long ! Hein ?! ».

Damian ne répondit pas son regard était fixé sur cet hélicoptère qui s’éloignait dans ce ciel étoilé. Nadya lui prit alors la main et la serra fort dans la sienne.

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