C’était une journée semblable aux précédentes. Jony se baladait dans le parc avec son chien Loyo, son fidèle berger australien. Cette promenade était leur rituel quotidien. Peu importe qu’il pleuve ou qu’il neige ils sortaient. Cette petite excursion était la seule qui leur était autorisée. En cette période de confinement, le jeune homme avait dû obtenir une dérogation pour continuer à jouir de ce court moment de bonheur. « Trente minutes au plus » avait été écris en gros caractère sur la feuille. Heureusement pour eux, le petit square se situait à une centaine de mètres de leur maison. Le court trajet leur permettait de profiter un maximum de temps de cet instant de complicité.
Chaque jour, ils étaient admirablement surpris par la splendide modestie de cet endroit. Ils étaient accueillis par le doux chant des rossignols perchés sur le grand chêne central. Ils étaient innombrables au point qu’ils donnaient l’impression de ne faire qu’un avec l’arbre. Une véritable armée accueillant ses généraux par ses chants joyeux. De temps à autre Jony leur lançait quelques miettes de pain. Alors tout le régiment se ruait au sol pour venir chercher sa maigre pitance. Mais à peine avaient-ils atterri qu’ils se voyaient obligés de redécoller, pourchassés par Loyo qui ne souhaitait que s’amuser avec ses amis volatiles. Le gros chien aboyait pour tenter d’entamer une conversation avec ces oiseaux menus. Toutefois ces derniers n’y percevaient qu’un danger et préféraient s’en retourner sur les branches du chêne ou vers des endroits plus hospitaliers. Le canidé s’en remettait donc à son maitre. Il savait qu’il lui resterait fidèle. Ensemble, ils se couraient après, jouaient avec leur ballon de football puis lorsqu’ils se sentaient faiblir, les deux compères venaient s’affaler sur l’unique banc en bois. Il portait les marques du temps, complètement bariolé par des tags et des chewing-gums multicolores solidement accrochés sous les lattes de bouleau à l’écorce effritée. Il portait les signatures des générations précédentes et n’aurait le choix d’accepter celle de leur descendance. Seul le bois de ce lieu singulier pouvait se targuer d’avoir vu grandir des milliers d’enfants. Tous ces garçons et ces filles ont aujourd’hui suivi des tracés bien différents. Mais ils ont tous en leur sein le souvenir impérissable d’une douce après-midi passée auprès du grand chêne ou dans les fleurs plantées sur leurs étroits archipels verdoyants.
Jony se rappelait de ces moments-là. Dès le plus jeune âge, ses balades dans sa poussette l’amenaient en ces terres inconnues qu’il ne tarda pas à apprivoiser. En effet, aussitôt qu’il put se déplacer avec ses deux jambes, il commença à apprendre les joies des après-midis dans le parc à courir, sauter ou rouler dans l’herbe ; au grand dam de sa mère qui apercevait immédiatement aux premières roulades de son fils, les corvées de lessives qui l’attendait. Alors elle le réprimandait et le petit s’en allait cueillir plusieurs boutons de roses et venait ensuite les offrir à sa tendre maman. Ainsi réconcilié, il repartait dans ses courses effrénées, se sentant flotter dans le ciel, ne faisant plus qu’un avec la nature. Malheureusement, une vilaine racine venait parfois lui couper les ailes. Le rire laissait place aux pleurs, son insouciance ayant rencontré un petit muret de brique, le freinant dans son ascension pendant un court instant. C’est à ce moment que sa protectrice accourait pour le prendre dans ses bras et le consoler. Elle l’allongeait sur le banc, sa tête soutenue par les genoux de sa génitrice. En quelques secondes, il retrouvait ses grandes ailes blanches et planait à travers des rêves merveilleux où se côtoyaient sur des plaines touffues portant de multiples arbres fruitiers, des loups, des dinosaures, des elfes et tout ce que la créativité d’un petit garçon pouvait inventer. Seul le coucher du soleil et le tendre réveil de sa maman arrivaient à l’extirper de ce voyage. Il s’en retournait chez lui épuisé mais la tête remplie d’histoire trépidante. Dans quelques heures il les aurait oubliées, mais elles resteront enfouies en lui en attendant le moment propice pour ressurgir.
Loyo, voyant les premiers rayons de lumière s’affaiblir, bondit devant les pieds de son maître. Jony comprit que la demi-heure était quasiment arrivée à son terme et qu’il fallait rentrer. Le jeune homme et son joyeux compagnon prirent la direction de la maison. Une journée de plus venait de s’écouler, un autre coucher de soleil allait les accompagner sur le chemin du retour et pour les jours suivants. Peu importe les péripéties qu’ils vivront, ce petit rituel restera à jamais présent dans leur aventure commune comme un instant de béatitude et de complicité absolu, soudant un peu plus à chaque fois le lien puissant les unissant.
Bravo!!
J’adore!! Tu m’as fait voyager hors de mon bureau. Je les voyais, les deux, profitant de ces quelques minutes de liberté, pouvant enfin respirer.
Tu m’as fait voyager. Belle rétrospection de ses moments de plaisir et de partage avec sa maman. J’avais presque les larmes aux yeux. J’adore!!