J’aime cette heure du petit matin où la brume ne s’est pas encore dissipée mais où la clarté d’un soleil qui s’enhardit illumine les fines particules d’eau en suspension dans l’air. C’est alors que les rayons lumineux dansent avec majesté sur ce support moléculaire. Dans ces moments où l’infini rejoint l’éphémère, je suis bien en peine de rendre compte du temps qui passe. Ces instants sont rares, précieux, même lorsque qu’on a eu, comme moi, plus d’une centaine d’années pour en profiter. Il existe de par le monde des spectacles que nous offre la nature, des conjonctures des éléments et des planètes qui éblouissent l’œil, quel que soit celui qui les regarde. J’aime aussi ces moments de grâce fugace pour le pouvoir qu’ils ont d’accaparer tout mon esprit dans un état de contemplation sereine. Ils m’apaisent après la tourmente, ils mettent un baume sur les plaies de mes tracas. Mon esprit alors en paix peut prendre une décision ou mieux supporter une situation difficile.
Grâce à cela, j’ai su patienter ces dernières années. J’ai pu réaliser que la beauté du monde
était un argument suffisant pour s’accrocher à la vie, particulièrement lorsque, comme moi, le
monde est à portée d’ailes. Et ces petits matins où le temps se suspend, je ne les ai connus qu’ici, au large de ces côtes. Cela fut ma motivation pour demeurer au sein de ce clan, une communauté qui m’indifférait et dont le seul être qui m’y liait avait tranquillement reprit le cours de sa vie, comme si jamais nous ne nous étions rencontrés. Oui, j’ai ressassé bien des fois les mêmes incertitudes sur la conduite à tenir, sur les choix qui s’offraient à moi. Le Lien était-il véritablement une entrave à la façon dont je voulais conduire ma vie ? Le garçon ne semblait pas s’en soucier, lui. Il ne semblait se soucier de rien. Toutes ces années, j’ai entretenu cette rancune personnelle fourmillante de questions : pourquoi n’était-il jamais revenu me voir ? Ce lien ne signifiait-il rien pour lui ? Ne se sentait-il pas engagé envers moi ? Et, devant cette absence totale de considération, devais-je me sentir engagé envers lui ? Depuis notre rencontre, ces interrogations m’ont tenu fidèlement compagnie, m’enchaînant insidieusement à cette lande, à cette grotte.
Mais maintenant était venu le temps des réponses, et j’aurais dû m’en réjouir, si ce n’est qu’à présent, j’allais devoir répondre à cette question qui ne pouvait trouver sa résolution qu’en moi, mais que je gardais toujours à distance, de peur de m’y confronter : quelle vie allai-je choisir ?
***
– Je vais devoir te donner du travail supplémentaire durant tes vacances, m’avait annoncé
mon père à la suite de mon étrange entrevue avec le Bougon. Mais je pense que tu souhaites en savoir d’avantage sur les dragons et sur le clan.
C’était précisément ce à quoi je destinais mes vacances et je fus très heureux de cette
proposition. Cependant, je le fus beaucoup moins quand je découvris qui serait mon professeur.
– Personne ne pourrait t’enseigner mieux que Nestor, m’expliqua-t-il. C’est un vrai puits de
connaissances sur les traditions du clan et le code d’honneur des chevaliers-dragons.
À quoi m’étais-je attendu ? De longues journées à écouter mon père m’expliquer ce qu’est un dragoniste et comment apprivoiser la chauve-souris prétentieuse qui me servait de dragon ? Non, au lieu de cela je passerais mes journées enfermé dans cette vieille bâtisse ! Ça ne me changerait pas trop de mes vacances précédentes chez mon père. Il avait clairement compris mon humeur car il ajouta :
– Je suis désolé de ne pas me charger de la partie théorique moi-même, cependant je sais
qu’avec Nestor tu es entre de bonnes mains. C’est lui qui m’a tout appris. Je lui ai demandé de te préparer un programme… varié. Et on passera aussi du temps ensemble, ne t’en fais pas : pendant que tu étudieras je m’occuperai des affaires du clan et comme cela j’aurai du temps libre pour toi.
Ces explications m’avaient un peu rassuré, même si la perspective de suivre des cours avec le majordome ne m’enchantait toujours guère. J’avais bien conscience qu’un adolescent de mon âge ne recherchait que peu la compagnie de ses parents durant son temps libre, mais moi j’avais l’impression de rattraper les années d’une relation insuffisante.
Le lendemain matin commença donc mon initiation, d’après le planning établi par Nestor.
Mes journées débutaient à 9 heures – mon maître d’étude ayant tenu compte du fait que j’étais en vacances et souhaitais en profiter pour dormir le matin. Après un nourrissant petit déjeuner, j’eus la surprise de participer à un entraînement d’escrime dispensé par le vieil homme lui-même.
– Un esprit saint dans un corps saint ! avait répondu Nestor lorsque je lui avais demandé
pourquoi je devais pratiquer pendant les vacances une discipline qu’on m’enseignait déjà au lycée. De plus, l’escrime est un sport noble issu du maniement de l’épée en chevalerie. C’est une activité tout à fait adéquate pour qui souhaite perpétuer les nobles traditions des chevaliers-dragons.
Le majordome de mon père avait un certain âge – indéfinissable selon moi – et je ne trouvais guère prudent qu’il s’adonne à ce genre de pratiques, même face à un novice. Cependant, je me rendis compte qu’il n’avait rien perdu de son ardeur, avec une maîtrise digne de celle du maître d’armes Stephano. Vêtu de la tenu blanche de rigueur, il n’avait plus rien du majordome lisse et guindé que j’avais connu toute mon enfance.
La matinée se poursuivit ensuite avec un cours sur l’histoire du clan et de la chevalerie au
service des dragons. Si je m’étais attendu à ce que cette partie de mon enseignement soit
rébarbative, il n’en fut rien : Nestor m’expliqua les croisades avec tant de détails, que l’histoire ne me parut jamais aussi vivante.
– Voyez-vous, les dragons du sud ont eu une influence considérable sur le déroulement des
guerres saintes. De nombreux croisés étaient des chevaliers-dragons qui s’étaient engagés à défendre les pèlerins se rendant en Terre Sainte. Il ont trouvé le soutien des lépidoptères dans cette quête.
– Pardon, vous avez dit « lépidoptère » ? demandai-je, croyant que mes oreilles m’avaient
trahi.
– Oui, en effet. Il s’agit de la dénomination scientifique qui qualifie l’espèce des dragons.
– Une classification ? Mais comment est-ce possible ? Ont-il été étudiés par des
scientifiques ?
– Ce terme est très ancien et vient du grec « épidos » qui signifie « écailles », associé au
suffixe « ptère » qui désigne les ailes.
– Ça semble logique…
– Cependant la science profane désigne une toute autre espèce sous ce nom.
– Laquelle ?
– Les papillons !
Si je voyais le rapprochement entre le terme « lépidoptère » traduit du grec et un dragon –
une créature ailée pourvue d’écailles – je ne voyais pas le rapport avec les papillons.
– Au fil des siècles, les érudits ayant un lien avec des clans dragonistes ont étudié cette
fascinante espèce – je parle bien sûr des dragons et non des papillons. Ils employèrent ces termes grecs pour classifier cette espèce animale d’après ses caractéristiques. Ce n’est que bien plus tard que ce même nom fut attribué, sans connaissance de cause, aux papillons. Je ne vous conseille cependant pas d’aborder ce sujet avec un dragon, car certains s’offusquent encore de cette dénomination commune. Mais reprenons la leçon …
Le premier jour, après un rapide déjeuner, je pus rejoindre le clan. J’avais insisté pour m’y
rendre seul à vélo, mais, en raison de la pluie, Nestor insista pour m’y conduire lui-même. Il stoppa la voiture près de celle de mon père et m’obligea à accepter un parapluie pour le chemin qui me restait à parcourir.
Je remontai ainsi la rue, ne sachant trop où aller. Je ne connaissais pas grand monde ici, mais j’espérais tomber sur quelqu’un qui pourrait me renseigner sur l’endroit où trouver Georges Calligan. Seulement, en raison du temps, le village, habituellement si actif, était désert.
– Tu as peur de fondre ? lança-t-on soudain sur ma gauche.
Jess se tenait bien au sec dans une grange. Une fois de plus, il ne manquait pas une occasion de se payer ma tête. Seulement maintenant, je prenais ça pour un signe d’amitié. Je m’empressai de fermer mon parapluie et de le rejoindre.
– Alors ? me demanda-t-il de but en blanc comme si une question avait déjà été posée.
– Alors quoi ?
– Je ne sais pas, tu as des choses à raconter ? Tu as fais des trucs intéressants hier, avec ton père ?
– Non, pas vraiment. Il voulait que je retourne parler au dragon de la grotte…
– Et tu trouves que ce n’est pas intéressant ! s’exclama-t-il en me donnant un léger coup de point dans l’épaule. Raconte-moi, qu’est-ce que vous vous êtes dits ?
– Et bien, c’est surtout lui qui a parlé, répondis-je embarrassé par le peu d’éléments
passionnants que j’avais à lui rapporter.
Je récapitulai brièvement notre conversation de la veille et conclus ainsi :
– Voilà, j’en suis toujours au même point.
– Toujours au même point ! Tu plaisantes ! Tu commences ton initiation, moi je n’en suis
même pas là.
– Oh tu sais, pour l’instant je suis des cours d’histoire, des choses que tu connais sûrement
depuis longtemps. Tu es en avance sur moi sur ce point.
– Oui, mais toi tu as eu le chance de communiquer avec un dragon, d’entendre ce qu’il avait à te dire. Ce doit être génial !
– C’est sûrement génial avec un autre dragon que le Bougon : il me rappelle sans cesse que je suis insignifiant et il m’appelle « l’humain » !
– Je suis certain que ça ira mieux par la suite, me rassura-t-il. Comme je te l’ai dit, ce sont
des créatures fières… et si j’étais toi j’éviterais de lui donner ce surnom en sa présence.
– Merci, je ne suis pas totalement inconscient !
Nous nous assîmes sur des ballots de paille et je m’étonnai de ne pas trouver Jess en
présence de Mabelle et du jeune dragon.
– Ils sont avec ma mère. C’est le premier jour d’apprentissage de la chasse pour Petit Feu.
– Petit Feu ? Tu l’as nommé ainsi ? demandai-je, hilare.
Il s’empourpra et se frotta l’arrière de la tête dans un geste d’embarras.
– C’est juste un surnom… Tu sais bien que seul son dragoniste pourra le nommer.
Ne voulant pas le mettre plus mal à l’aise en épiloguant sur l’adorable surnom qu’il avait
donné à cette créature, je changeai de sujet :
– Comment ça se passe, la chasse ?
– Comme ce sera ses premières proies vivantes, il va d’abord se faire la main sur des
moutons. Le clan possède un cheptel qui sert principalement à nourrir les dragons.
– Alors même les adultes ne chassent pas leur propre nourriture ?
– Si, ils le peuvent, mais nous avons une telle concentration de dragons sur les terres du clan que parfois, la chasse est insuffisante. Et puis ils adorent le bétail. Les herbivores qui paissent dans les prés sont bien plus savoureux pour eux que le gibier. C’est comme une friandise. C’est aussi pourquoi ils peuvent être tentés de se rapprocher des milieux ruraux, ce qui serait très dangereux pour eux.
– Je vois… et la prochaine étape après le mouton, c’est quoi ?
– Quand il se débrouillera suffisamment bien avec le bétail, il passera à la chasse en forêt. Il apprendra à devenir un vrai prédateur, suivre les traces pour ensuite…
Depuis quelques instants je ne l’écoutais plus. J’avais une drôle de sensation, que j’avais
d’abord prise pour des problèmes de digestion. Pourtant, quelques minutes plus tôt, je me sentais parfaitement bien dans cette grange où j’appréciais d’être au sec, entouré par les effluves de paille. Mais maintenant j’aurais préféré être dehors, loin d’ici. Intérieurement, je me sermonnai : je n’allais pas rejouer la même scène devant Jess et partir en courant, en le laissant là ! Pourtant, cette sensation persistait.
– Alex, tu m’écoutes ou je parle dans le vide?
Le sens de ses paroles me revint soudain et je le regardai.
– Tu te sens bien ? me demanda-t-il alors. Tu as l’air absent.
– Je… je ne me sens pas très bien, dis-je en me relevant. Je pense que ce que j’ai mangé à
midi ne passe pas.
– Tu es pâle, en effet.
– Je vais aller prendre l’air.
En me retenant de détaller à toutes jambes, je sortis de la grange et redescendis la rue. Je ne jetai aucun regard en arrière mais entendis la voix de Jess qui tentait de couvrir le bruit de la pluie sur les pavés :
– Alex, ton parapluie !
Mais déjà la rue tournait et il ne pouvait plus me voir depuis son abri. Je continuai sans
m’arrêter et dépassai vite l’emplacement où était toujours garée la jeep. J’avançai sans me
préoccuper de la direction, essayant d’analyser cette sensation qui semblait étrangère à mon propre corps. Je ne sus au bout de combien de temps je réalisai où je me trouvais : j’étais à nouveau sur cette lande et fixai du regard la lisière de la forêt. Alors je compris la force qui m’animait et me poussait jusqu’ici : c’était ce magnétisme entre lui et moi, comme la veille. Ce fut en pleine conscience de mes actes que je parcourus le chemin qui me restait.
Il se tenait là, dans cette clairière. Il semblait m’attendre. Comme à chaque fois que je le
voyais, je ressentis un mélange d’admiration et de crainte. Mais, chose nouvelle depuis notre
dernière rencontre, je ressentis aussi de la frustration. Il se tenait immobile comme s’il était l’un des rochers qui composaient cette forêt. Seule sa cage thoracique, recouverte d’une sorte d’armure d’écailles d’un beige aux reflets de jade, bougeait au gré de sa respiration. Le cou et la tête bien droits, il me toisait fixement tandis que je me rapprochai, tout en restant à une distance raisonnable.
– Tu es venu, dit-il.
Comme chaque fois que nous communiquions, il n’avait pas besoin d’émettre de sons ou de bouger un muscle pour que ses paroles me parviennent. Par un phénomène que je ne m’expliquais pas, je les entendais très clairement, comme si il avait parlé d’une voix forte et sentencieuse.
– Oui, je suis ici, mais sans bien savoir pourquoi.
– Je pense en être la cause.
– Que voulez-vous dire ?
– Ce phénomène est nouveau pour moi aussi mais j’ai… je dirais que j’ai « ressenti » ta présence, faute d’un terme plus approprié. Il m’a semblé que tu étais tout près.
– Je suis arrivé au clan il y a moins d’une heure.
– Je ne me suis donc pas trompé. En réalité, j’ai souhaité que tu viennes ici pour que nous
puissions converser. Nous avons encore plusieurs points à éclaircir.
– Alors vous m’avez lancé une sorte d’appel ? C’est pour ça que je me suis senti attiré
jusqu’ici ?
– Non, je ne t’ai pas appelé, répondit-il perturbé. J’espérais seulement que tu viendrais.
J’attendais…
– Vous saviez que j’allais venir !
– Comment aurais-je pu le savoir ! s’emporta-t-il.
– Mais, puisque vous attendiez ici …
– Je… je ne sais pas très bien moi-même, bredouilla-t-il. Mais la question qui m’intéresse
n’est pas celle-ci. Je tenais à savoir si ton initiation avait débuté.
– Oui, j’ai commencé ce matin.
– Très bien. Tu as de graves lacunes, qu’il te faut combler au plus vite.
Voilà ce qui m’énervait le plus chez cette créature : sa suffisance. Était-il sans cesse obligé
de me rabaisser ?
– Je prendrais moi-même en charge la partie pratique de ton éducation, continua-t-il.
– En quoi ça consiste ?
– Eh bien cela revêt plusieurs aspects : la répétition du code d’honneur de la chevalerie que
tu devras prononcer lors de la cérémonie d’allégeance, mais aussi la pratique du vol …
– Vol… dans le sens de voler, dis-je en battant des bras de manière totalement ridicule.
– Bien sûr, dans ce sens ! s’énerva-t-il à nouveau. De quoi pourrais-je parler d’autre ?
– Attendez, cela signifie que je vais voler avec vous ?
– Sur moi, pour être précis. À ce que je sache, les êtres humains n’ont pas encore la capacité de voler « de leurs propres ailes ».
En disant cela il agita les longues membranes qu’il gardait jusqu’alors repliées, lui donnant un peu l’allure d’un vieil instituteur se tenant les mains croisées dans le dos pour faire la morale à son élève le plus cancre. Elles étaient d’un vert très sombre et pourvues de doigts à leurs extrémités, à la manière des chauves-souris.
– Ça signifie que vous allez me laisser monter sur votre dos ? demandais-je avec prudence.
– Certainement pas avec ces manières, jeune homme ! Tu dois savoir que le chevalier est le
reflet de son dragon, et je ne permettrai pas que tu donnes une si piètre image de ma personne ! Je me vois donc obligé de t’inculquer les règles de bienséance.
Je restai sans voix. N’avais-je pas toujours fait preuve de politesse à son égard ? Plus que lui envers moi, ça c’était certain !
– Pour commencer, tu ne sembles pas savoir qu’il est de rigueur de s’incliner face à un
dragon.
J’y avais pourtant bien pensé, pour m’excuser. Sans ajouter un mot je penchai le buste vers
l’avant.
– Comme ceci ? dis-je.
– Plus profondément, et tu dois aussi placer une jambe en retrait.
Je reculais le pied droit et m’inclinai à 45 degrés.
– Voilà qui est bien.
– Et vous ?
– Comment cela, moi ?
– Si je m’incline pour vous saluer, ne devez-vous pas me saluer à votre tour ?
– Moi ? Mais… ce n’est pas comme cela qu’on procède, s’esclaffa-t-il.
– Alors à l’avenir je ne le ferais pas non plus !
Je croisais les bras sur ma poitrine en signe de détermination.
– Quel effronté !
– Nous sommes deux espèces différentes mais je ne vous suis pas inférieur ! Chacun dépend de l’autre et nous nous devons un respect mutuel. Et si je suis votre reflet, en tant que dragoniste ou chevalier-dragon, peut importe, ça signifie que nous sommes sur un pied d’égalité : le reflet est identique à la réalité. Donc si je dois vous saluer, vous aussi, en signe de respect, vous devez me saluer à votre tour.
Choqué par mes mots, il recula, ses yeux s’arrondirent. Je ne voulais pas qu’il ait par la suite une dent contre moi, mais je n’avais pas non plus l’intention de me laisser traiter comme un inférieur. Espérant qu’il accepterait ma demande, j’exécutai à nouveau ma salutation. Quelques secondes s’écoulèrent durant lesquelles je tins la position, guettant du coin de l’œil un geste de sa part. Finalement, je le vis étendre une patte vers l’avant tout en basculant le poids de son corps sur ses membres postérieurs. Enfin, il courba l’échine dans un geste respectueux. J’avais déjà vu cette sorte de révérence sur le tableau de mon lycée représentant Saint Georges et son dragon. Cet échange gêné dura à peine quelques secondes avant que nous retrouvions nos positions d’origine. Aucun de nous deux n’osait croiser le regard de l’autre. Je bredouillai un vague « merci » tout en fourrant mes mains dans les poches de mon jean. Le Bougon émit un son guttural proche du raclement de gorge, plia et déplia ses ailes, puis se tint tranquille.
– Bon, et maintenant ? demandai-je alors qu’un silence s’était abattu entre nous.
– Maintenant, tu vas découvrir la joie immense de voler.