La chasse : j’avais toujours considéré cette activité comme solitaire. Elle nécessite le silence le plus total et un bon sens de la synchronisation. Deux choses qui étaient impossibles à présent que la forêt où j’avais élu domicile se trouvait surpeuplée. Généralement, les gens de mon espèce lorsqu’ils sont sédentarisés, savent respecter l’espace d’autrui. Et il était de notoriété publique que je résidais dans la plus vaste des cavernes, près de la côte. Mais ces jours-ci, tout le monde semblait faire fi des convenances. J’avais tout d’abord vu apparaître une femelle humaine, un spécimen tout à fait singulier à la chevelure couleur de feu. Les humains pensaient qu’ils étaient chez eux partout sur ces terres, je ne m’étais donc pas offusqué du chaos, dû à son manque de discrétion, qu’elle entraînait sur son passage. Cependant la suivaient deux individus de mon espèce : une femelle adulte et sa progéniture. La petite troupe était visiblement rassemblée pour enseigner au nouveau-né les techniques de chasse, mais comment pourrait aboutir une pareille équipée ? J’assistai à la scène depuis mon antre où je pu voir sans être vu, car j’étais masqué par la pénombre. Quand la femelle, suivant son petit, passa devant mon abri, elle ralentit et tourna la tête, scrutant les ténèbres. Je ne sus ce qu’elle y vit et si elle put m’y deviner, pourtant, après un instant d’hésitation, elle fit un léger signe de tête dans ma direction, une salutation, et poursuivit son chemin.
Il fallait aussi que je me nourrisse. Cependant moi je respectais les règles de savoir-vivre et n’empiétais pas sur le territoire de chasse des autres. J’attendis donc un laps de temps suffisamment long avant de sortir à mon tour. Les oiseaux avaient repris leur complainte, ce qui est le meilleur indice du degré de confiance des proies d’une forêt. Les alentours étaient à nouveau paisibles et il me suffisait, comme toujours, de me laisser guider par mon ouïe pour repérer une proie à ma convenance. Mes congénères et moi avons toujours eu une préférence pour les herbivores, question de goût. Leur saveur est plus fine que celle des carnassiers. Mais les mets les plus savoureux de tous sont ceux élevés par les humains. Ils nourrissent leur bétail avec un soin qui rend la chair savoureuse et grasse à souhait. Cela fait tant d’années que je vis loin des hommes, j’en aie presque oublié le goût de leurs produits. Depuis bien longtemps je me contentais de ce que je trouvais dans les bois. Cependant, le goût du gibier est plus… rustique. Il me semblait avoir vu un jour paître un troupeau de moutons sur les terres du clan, à l’époque où je ne vivais pas encore ma vie d’ermite…
Toutes ces considérations sur des moutons savoureux m’avaient quelque peu distrait de mon objectif, et le couple de cervidés qui devait constituer mon repas avait pris la fuite. Mais en comparaison du bétail, ils constituaient une maigre pitance. Peut-être pouvais-je faire une entorse à ma règle de conduite et m’autoriser un petit vol vers les pâturages alentours… Ces moutons étaient ceux du clan, je le savais, et au vu des quelques dragons que j’avais pu croiser, ils faisaient bonne chère des élevages de la région, j’en étais persuadé ! Moi aussi aujourd’hui, je faisais partie de ce clan ! J’avais un chevalier-dragon, tout comme eux ! Plus j’y pensais et plus ma raison me poussait à y aller. En fait, ce n’était pas ma raison : chaque fibre de mon corps voulait me voir quitter ce sous-bois pour retrouver l’herbe de la lande. Tandis que je me laissais guider par cet appel, mon esprit ne put s’empêcher de se poser des questions : pourquoi voulais-je me mettre à découvert en me rendant dans cette lande ? Était-ce vraiment les moutons que je recherchais ? Étais-je guidé par la faim ? Non, certainement pas. Une autre sensation m’habitait, qui avait remplacé la faim ou qui était plus impérieuse qu’elle. Je me trouvais à présent à l’endroit où s’était déroulée notre première leçon de vol et aperçus l’humain. Il marchait vers moi d’un pas décidé et je remarquai que ses mouvements ne semblaient pas le faire souffrir. C’est alors que je compris : j’étais là pour lui. Je m’étais rendu ici parce qu’il souhaitait s’entretenir avec moi. J’avais répondu à l’appel de notre Lien.
***
Au dernier jour des vacances, conformément aux prescriptions de Nestor, je pus abandonner définitivement la bande qui me comprimait la cheville. Le vieux majordome déclara qu’il était très content de ses soins et que j’étais parfaitement remis. Il me restait une chose à faire avant de retourner à Saint Georges, quelqu’un à voir. Mon père l’avait compris avant même que je lui en parle et il me proposa lui-même de m’emmener au clan. Je rejoignis seul la lande où il m’attendait déjà. Je me souvins de la règle de politesse et m’inclinai avant de dire quoi que se soit. Le Bougon en fit de même sans rechigner. C’était un signe encourageant, le signe que la politesse serait mutuelle entre nous.
« Cette fois, c’est moi qui ai répondu à ton appel » me dit-il sans le moindre signe
d’hostilité.
– Je ne vois pas de quoi vous parlez, répondis-je perplexe.
« Tu voulais me voir, n’est-ce pas ? »
– Oui, en effet. Et ça suffit pour… que vous le ressentiez ?
« Il semblerait. Si tu m’expliquais la raison de ma présence ici ? »
– Je voulais m’excuser de ne pas avoir donné signe de vie depuis notre dernière rencontre.
« J’ai été mis au courant par ton père de ta blessure. Es-tu complètement remis ? »
Étais-je en train de rêver ou étais-ce de la sollicitude que je percevais chez le Bougon ?
– Oui, je vous remercie de vous en préoccuper… répondis-je, pris de court. Je venais vous
dire que mes vacances se terminent aujourd’hui, les prochaines n’auront pas lieu avant…
« Le solstice d’hiver. C’est un fait dont je suis également informé. »
Je ne connaissais pas la date du solstice d’hiver, mais inutile de prouver une fois de plus mon manque de culture…
– Ce qui signifie qu’entre temps, il sera difficile pour moi de me rendre ici pour vous voir.
« J’ai conscience que nos leçons devront-être suspendues… »
– Ce sera plus compliqué, en effet, mais pas impossible ! Jess faisait le mur toutes les nuits
avant que je découvre son secret… mais je ne pense pas pouvoir en faire autant. Par contre je
pourrai vous réserver les week-ends.
« Nous pourrions poursuivre nos rencontres ? » demanda-t-il sur un ton qui me sembla être
de l’espoir.
– Si cela vous convient …
Il fit quelques pas, ce qui l’éloigna de moi de plusieurs mètres en raison de la longueur de
ses enjambées. Il me tournait le dos lorsqu’il reprit :
« Bien entendu, ton éducation humaine fait également partie des priorités. Mais si tu en as le temps, je pense que nous pourrions poursuivre ce que nous avons commencé. »
J’étais heureux qu’il approuve. J’en avait douté car je craignais qu’il n’accepte pas de se plier à mon emploi du temps, lui qui était si hautain.
« A quelle date le chef de clan a-t-il fixé la date de la cérémonie d’allégeance? »
– Je n’en sais rien, il ne m’en a pas parlé… Je lui demanderai aujourd’hui, et je lui dirai de
vous tenir au courant.
« Bien. »
Il fit demi-tour et revint vers moi avant de m’annoncer :
« J’ai trouvé une solution pour que tu puisses te mettre en selle avec plus de facilité. Je sais
que tu viens à peine de te rétablir mais j’aurais aimé que tu essaies… si cela te convient. »
– Oui, bien sûr. Ma cheville va bien, il n’y a pas de problème.
Il me sembla le voir prendre une inspiration, puis il s’inclina face à moi. Je fus pris de court
par ce nouveau salut : fallait-il recommencer les politesses avant de grimper sur son dos ? J’allais m’incliner à mon tour quand il me dit :
« Sers-toi de mon coude. »
Durant une seconde, je l’observai, incrédule, puis fis quelques pas pour le rejoindre. Je ne
comprenais pas ce qu’il avait voulu dire et je savais encore moins ce que j’allais faire, mais rester planté face à lui n’était pas l’attitude à avoir. Je m’approchai de sa patte avant gauche. L’articulation du coude était saillante mais se situait pratiquement à hauteur de mon visage. Faudrait-il que je me hisse pour y grimper ? J’allais avoir besoin d’un peu de temps et d’entraînement, car je n’avais pas affaire à un mur d’escalade mais à une créature vivante. Je posai mes mains sur la peau rugueuse, semblable à celle d’un crocodile, mais dont les aspérités étaient bien plus larges. En jugeant de la hauteur que j’avais à gravir, je remarquai
une excroissance à l’arrière de la patte, comme j’en avais déjà vu chez les chiens. Revêtue d’un cuir plus souple et légèrement plus claire, cette partie semblait plus sensible. Pourtant, elle était idéalement située pour que je prenne appui dessus et puisse atteindre l’articulation.
– Dites-moi si je vous fais mal, dis-je avant de me lancer.
En prenant suffisamment d’élan sur mon pied au sol, je parvins à franchir le coude. La suite était plutôt simple, je n’avais plus qu’à remonter l’épaule à l’aide des cornes qui hérissaient son dos et me mettre en place à cheval derrière sa tête, comme on le fait sur les éléphants.
– Voilà, j’y suis, dis-je un peu essoufflé.
« Bien. Ce cheminement semble convenir. Il n’est trop pénible ni pour toi, ni pour moi. »
Ce n’était pas lui qui devait gravir trois mètres de cuir et d’écailles !
« Il nous reste encore à régler la question de la communication en vol. Il va falloir t’entraîner à repousser tes barrières mentales pour me faire parvenir tes pensés. »
Rien de plus simple, repousser quelque chose d’invisible ! Mais comme lors de mes tentatives précédentes, aucune des pensées en provenance de mon cerveau ne parvinrent au Bougon.
« Ce mutisme m’est incompréhensible » lâcha-t-il avec agacement. « T’es-tu renseigné
auprès de ton père à ce sujet ? »
Si je l’avais fait, je n’avais pu tirer aucun solution pratique de son conseil.
– Oui, je lui en ai parlé. Il m’a dit que le phénomène de télépathie est naturel, on ne peut pas le forcer. Il est directement lié à la confiance qui existe entre les deux êtres.
« Très utile, vraiment ! » bougonna-t-il.
J’aurais pu parier sur ces sarcasmes.
« Il y aurait un problème de confiance entre nous … » reprit-il.
Il réfléchissait tout haut et avait recommencé à avancer, faisant les cent pas. Apparemment, chez lui, la réflexion s’associait au déplacement.
« Oui… Visiblement, Lien et confiance ne vont pas de paire. Le Lien est indépendant de
toute volonté tandis que la confiance est le fruit du travail et du temps… »
Sa voix, qui résonnait dans ma tête, me parvenait moins clairement, comme si je n’étais pas le destinataire de ces réflexions mais qu’il avait oublié que je pouvais l’entendre. En fait, j’aurais aussi bien pu ne pas être présent, alors que je me faisais ballotter dans un sens puis dans l’autre à travers la lande.
« Chevalier-dragon, où te trouves-tu ? » me demanda-t-il soudainement, comme s’il m’avait perdu.
– Comment ça, où je me trouve ? Je suis toujours là haut, sur votre dos !
« Ah, oui! Bien! As-tu peur dans la position dans laquelle tu te trouves ? »
– Heu … non, ça va. Tant que vous restez sur la terre ferme, tout se passe bien.
« Donc tu as peur lorsque nous sommes dans les airs ? »
– Disons… qu’il faut que je m’y habitue.
Qu’est-ce que c’était que cet interrogatoire ?
« Ton père pense qu’un défaut de confiance est à l’origine de tes problèmes de communication. Tu vas donc devoir apprendre à me faire confiance. J’ai conscience que, pour un être humain, le ciel n’est pas l’élément où tu te sens le plus à l’aise. Cependant, il va falloir t’y habituer. Nous allons donc pratiquer pour que tu puisses dominer ta peur. Ainsi, nous parviendrons peut-être à une confiance réciproque. »
– Vous, vous avez confiance en moi ?
« Cher petit humain, je ne remets pas ma vie entre tes mains à chaque fois que je m’élance
vers le ciel ! Les domaines pour lesquels je t’accorde ma confiance sont donc très limités.
Cependant, il commence à pleuvoir et il me semble que vous, les humains, êtes particulièrement sensibles à l’humidité et au froid. Tu ferais mieux de rentrer te mettre à l’abri pour rester en bonne santé. »
De la sollicitude? Comment avais-je pu imaginer que cette créature fasse preuve de
sollicitude envers moi ? Ce n’étais qu’une manière de plus de pointer mes faiblesses. « Tu ferais mieux de rentrer te mettre à l’abri pour rester en bonne santé “! Si j’étais sur le chemin qui menait au clan, c’était plutôt pour m’éloigner de son insupportable suffisance !
J’avais à peine rejoint le chemin pavé, quand j’aperçus mon père qui feignait d’être occupé à arranger une clôture en parfait état. Visiblement, il était anxieux de mon entretien avec le Bougon.
– Ça s’est bien passé ? me demanda-t-il sans préambule.
– Si on veut, grognai-je en me dirigeant vers la voiture sans prendre le temps de m’arrêter à sa hauteur.
– J’ai parlé à Rosemary, nous allons ramener Jess au pensionnat.
Durant le trajet qui nous ramena à Saint Georges, je ne desserrai pas la mâchoire. Ni mon
père, ni Jess ne me questionnèrent, pourtant je sentis leurs regards interrogatifs se poser régulièrement sur moi. La nuit tombait vite maintenant et il faisait déjà sombre lorsque la jeep emprunta le chemin chaotique qui menait à l’école. Une fois la voiture stationnée devant l’énorme bâtiment, Jess sortit le premier. Je fis mine de m’attarder dans l’habitacle tandis qu’il prenait son sac dans le coffre. Comme il revenait à hauteur de la portière, attendant que je sorte, je lui fis signe de partir devant :
– J’arrive dans une minute.
– OK, je t’attends au dortoir.
Il s’éloigna et, alors que je me retournais vers mon père, c’est lui qui me questionna le
premier :
– Tu vas me dire ce qui ne va pas ?
Si j’avais l’intention de lui en parler, le fait qu’il me pose la question me prit de court et
aucun mot ne sortit.
– Tu as des difficultés à t’entendre avec ton dragon ? me demanda-t-il alors.
– Un peu, oui, avouai-je.
– Ne t’inquiète pas, ça viendra forcément. Le Lien signifie l’osmose, c’est donc que vous êtes faits pour vous entendre.
– Il y a quelque chose qu’il a dit aujourd’hui… au sujet de la confiance dont tu m’avais
parlé…
– Oui ? m’encouragea-t-il.
– Et bien, pour lui, le problème vient de moi, parce qu’en vol ma vie dépend de lui et donc
tant que j’aurais peur, tant que je ne lui ferais pas confiance, la télépathie ne pourra pas fonctionner.
– Selon lui, le problème ne vient que de toi ? demanda-t-il avec perplexité.
– D’après lui, oui. Il m’a débité un laïus sur la différence entre nos espèces, il m’a dit que sa
vie ne dépendait pas de moi et que pour cette raison, il n’avait pas à m’accorder sa confiance … enfin quelque chose dans ce genre-là.
Je ne saurais expliquer pourquoi, mais rapporter ces paroles me mettait dans le même état
qu’au moment où je les avais entendues. Trop de condescendance sûrement.
– Il a tort, trancha mon père.
– Vraiment ?
– Il a tort, mais ne t’avise pas de le lui dire ! Si les choses se mettent en place comme elles le doivent, il s’en rendra compte par lui-même, tandis que si tu lui dis, il risque de se braquer et de ne jamais entendre raison.
– Par « les choses qui doivent se mettre en place » , qu’est-ce que tu entends ?
– Eh bien, vous devez évoluer l’un et l’autre avant la cérémonie d’allégeance. Le lien qui s’est établi entre vous n’est pas tout ! Vous allez devoir apprendre à vous supporter, dans un premier temps. Puis une amitié unique naîtra entre vous. Vous devrez travailler ensemble pour parvenir à cette osmose dont je te parlais. Il n’y a que comme ça que tu deviendras un véritable dragoniste.
– Pour l’instant, ça me semble… impossible.
Ma remarque le fit sourire.
– Ça a été aussi compliqué pour toi et Ella ? le questionnai-je.
– C’est comme entre les gens, chaque relation est différente, mais ça n’a pas toujours été
simple, en effet.
– Et combien de temps reste-t-il pour accomplir ce miracle ? Quand aura lieu la cérémonie
d’allégeance?
– Elle aura lieu à la fin de l’année scolaire.
Après avoir remercié mon père d’avoir pris la peine de nous accompagner, je descendis de la voiture et regagnai l’école. Je traversai rapidement la cour d’honneur, mais mon empressement était uniquement lié à mon souci de me mettre à l’abri de la pluie. Je n’avais aucune envie de retrouver ma vie de pensionnaire après de si bonnes vacances. Face à l’escalier principal qui menait aux dortoirs, je songeais qu’il y avait deux semaines de cela, en descendant ces mêmes marches pour rejoindre la berline qui devait me reconduire au manoir, je n’aurais jamais imaginé que les choses se seraient passées ainsi. Jamais je n’aurais cru possible que la situation entre mon père et moi prendrait un tel tournant, en seulement quelques jours.
En me rendant aux dortoirs, je coupai court aux questionnements de deux élèves de ma
classe qui me demandaient comment s’étaient passées mes vacances. Je ne mentis pourtant pas en assurant qu’elles avaient été bonnes mais leur intérêt pour mes activités semblait n’être qu’un prétexte pour me raconter les leurs. Je bafouillai une excuse pour m’épargner les détails de leurs vies passionnantes et rejoignis ma chambre en regardant mes pieds pour éviter de croiser le regard avenant d’un autre élève, prêt à engager la conversation. Pour le rôle du garçon amical, je repasserais ! Mais mon esprit était déjà suffisamment préoccupé car aux paroles du Bougon qui avaient tourné dans ma tête toute la journée, s’ajoutaient celles de mon père concernant la date de la cérémonie d’engagement.
Jess était en train de vider le contenu de son sac dans un tiroir quand j’entrai dans la pièce. A mon arrivée il prit l’air de quelqu’un de très concentré par sa tâche, alors que ses gestes et l’état de ses affaires révélaient le contraire. Après avoir suspendu ma veste mouchetée de pluie, je me mis également à ranger le contenu de mes bagages. Bien que mon esprit soit toujours encombré des mêmes questions, je notai que j’étais bien plus efficace que mon camarade de chambre qui paraissait s’escrimer à prolonger une action terminée depuis un bout de temps. Finalement, n’y tenant plus, il entama la conversation sur un ton qui se voulait anodin:
– Ces vacances ont été sympa …
– Oui, c’est vrai.
Comme il voyait que je ne poursuivais pas, il reprit :
– C’est bien que tu aies pu te rapprocher de ton père… et tout ça…
Il marqua une pause. Voyant que je ne relevais pas il fut contraint de continuer :
– Et… comment ça se passe avec ton dragon ?
Bien qu’il ait glissé la question de manière innocente, je comprenais bien que c’était là le
sujet qu’il souhaitait aborder depuis que j’étais entré. Je le soupçonnais même d’avoir voulu me bombarder de questions bien avant, mais la présence de mon père l’en avait empêché.
Je ne souhaitais pas lui confier les propos du Bougon et les problèmes que mon manque de confiance nous posaient. Cependant, une question me brûlait les lèvres :
– Dis, tu penses qu’il faut longtemps à un dragon et son dragoniste pour être prêts pour
l’engagement ?
– Ça dépend.
– Et ça dépend de quoi, grognai-je en tentant de retenir mon agacement après cette réponse inutile.
Visiblement content que je lui demande des conseils, ou simplement parce que la
conversation tournait autour de son sujet préféré, il s’étendit sur son lit, les bras croisés derrière la tête.
– Ça dépend du gars, et ça dépend du dragon, de comment ils vont parvenir à s’entendre. Chacun est différent, on ne peut pas faire de généralités.
– Mon père a fixé ma cérémonie d’engagement à la fin de l’année scolaire.
– C’est une bonne chose, approuva-t-il.
– Comment ça ?
– Parce qu’il fera plus chaud à ce moment-là ! Ces cérémonies sont en plein air et crois-moi, un feu de camp ça ne réchauffe pas grand-chose au mois de février, quand il pleut à verse !
– Donc ce ne sont que des considérations météorologiques ?
– Non, ce ne sont que mes préférences personnelles. Mais je comprends le choix du chef. Vu que tu as été élevé dans un environnement …
– Normal ? proposai-je.
– Normal, si tu veux. Il te faudra plus de temps pour t’habituer. Et puis, tu te marierais avec
quelqu’un que tu viens de rencontrer, toi ?
– Je ne vois pas le rapport, mais non.
– Et bien c’est la même chose. Cet engagement, c’est aussi définitif que le mariage, c’est
jusqu’à la mort. Enfin, si tu mets de côté le divorce… Entre un dragon et son dragoniste, impossible de faire marche arrière, pas de séparation possible.
Et pourtant, Ella, la dragonne de mon père l’avait quitté… alors y avait-il des exceptions ?