La confrérie (Suite)

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Il était 17h je crois, mes souvenirs ne sont pas très clairs. J’étais tellement mal en rentrant chez ma mère ce jour-là que j’en perdis la notion du temps. Durant tout le trajet du retour, je n’avais pas desserré les dents. Abeng avait eu un enfant de moi et c’est un autre qu’elle allait appeler « papa ». C’était qui ce Ndoum d’abord, me demandais-je, d’où il sortait ? Pourquoi il était partit avec Akeng dans les bras comme si c’était sa fille à lui ? J’étais tourmenté par toutes ces pensées le long du trajet de retour. Une fois à la maison, j’étais allé directement dans ma chambre. Et m’étais enfermé. J’ai dû pleurer des heures, j’avais beau me demander comment faire pour réparer ne fut-ce qu’un peu, aucune idée ne me venait.

Je n’avais toujours pas de boulot stable et j’avais eu un accident entre temps et même si j’allais un peu mieux, j’avais passé plusieurs mois presque huit sans activités, l’année précédente. Ce qui voulait dire pas de revenu, et les quelques sous que j’avais pu mettre de côté étaient partis en fumée, je n’avais plus rien ou pas grand-chose, je recommençais à peine à me refaire une santé financière. Je m’étais promis qu’elle ne remettrait jamais les pieds dans cette maison et je devais m’y tenir. Grâce à des amis j’avais de plus en plus de marché et même si ce n’était pas encore le top je faisais au mieux avec ce que j’avais. Les gars trouvaient que je faisais du bon boulot pour un jeune alors, ils me confiaient toujours les trucs les plus intéressants.

Après avoir vidé mon corps de toute l’eau qu’il contenait je dû me résoudre à sortir de ma chambre. J’allais m’assoir sur la terrasse que j’avais faite faire pour Abeng, je m’assis-là sur les marches et tentais de réfléchir. Il me fallait reprendre ce qui était à moi et je n’aurais pas de repos tant que cela ne serait pas le cas. Je devais quitter la maison c’était la première étape, mais pour ça il me fallait trouver de meilleurs contrats, quelque chose sur la durée. Je connaissais un entrepreneur ouest africain, un monsieur très bien avec lequel il m’était arrivé de bosser au lycée, mais depuis cette époque je ne l’avais pas revu. Je devais me démener pour retrouver sa trace et le plus tôt serait le mieux.

La nuit à bac aviation, il fait un froid de canard, mais cette nuit-là le froid ne me dérangea pas, bien au contraire, il me maintenait éveillé et m’aidait à réfléchir. Je restais assis dehors jusqu’à deux heures du matin, je me repassais en boucle le visage de ma fille dans ma tête, ce qu’elle était belle. Elle ne devait pas avoir plus de deux ans, deux ans et demi, mais je trouvais cela incroyable, elle était quand même trop petite pour son âge. J’espérais qu’elle n’était pas malade. Je me remémorais tous ces coups de fil d’Abeng auxquels j’avais refusé de répondre, encore plus pendant la période pendant laquelle j’avais été malade. Mince quel idiot je faisais ! je ne voulais pas qu’elle soit inquiète et qu’en plus elle soit obligée de supporter ma mère.

Et voilà que j’avais raté sa grossesse, la naissance de mon bébé, ses premiers pas, ses premiers mots, et tout ça pour quel résultat ? Aucun, j’en étais toujours au même point, pas fichu de m’assumer ni de les prendre avec moi. De nouveau je sentais les larmes me monter aux yeux et mon cœur se serrer, j’étais maudit, en tout cas c’est ce que je pensais à ce moment. Je n’avais pas de chantier pour le lendemain alors je décidais de passer la journée enfermé dans ma chambre, durant toute la matinée j’avais appelé des amis, d’anciens camarades de classe, des professeurs même pour retrouver l’entrepreneur auquel j’avais pensé la veille. Mais avant de me donner l’info dont j’avais besoin l’ancien du lycée que j’avais contacté en dernier me raconta une histoire qui me rendit encore plus triste :

– Hey salut Gora, mon pote, comment tu vas ? et ta petite princesse, elle doit être grande maintenant non ?

– De quoi tu parles ?

– D’Akeng ta fille, de qui tu pensais que je te parlais ? non ne me dis pas que tu n’es pas au courant qu’Abeng t’a fait un gosse frangin ! S’exclama-t-il

– Jusqu’à hier non, répondis-je tristement

– Quoi ?

– Je te jure, j’ai fait le con Mori,

– Oh merde ! Désolé, en fait il y a deux ans à peu près je l’ai vu avec la gamine, elle avait à peine quelques mois, elle m’a dit qu’elle cherchait du boulot alors je lui ai présenté une cousine, elles ont fini par ouvrir un magasin ensemble

– Au marché de la balise ?

– Oui pas très loin de chez elle, je te montrerais quand tu voudras y aller, encore désolé frangin, mais je t’envoie par messagerie le numéro du patron, et appelles-le maintenant j’ai entendu dire qu’il avait besoin d’un bon électricien pour un gros contrat, et c’est un truc qui va durer un peu plus de deux ans alors prépares ta doc ok ?

– Ok frangin, encore merci, je te rappelle dès que je suis prêt pour Abeng

– J’attends, aller bonne chance

Après avoir raccroché j’appelais l’entrepreneur et c’était comme s’il attendait mon appel. En entendant ma voix au téléphone il me reconnut d’entrée de jeu :

– Monsieur mon grand garçon, comment tu vas ? Me demanda-t-il

– Bien patron, et vous ?

– Maintenant que je t’ai retrouvé je vais aller mieux, et mes affaires aussi, tu étais passé où ?

– Oh monsieur j’avais perdu votre numéro et je vous jure ce n’est pas la joie pour moi en ce moment,

– Ecoute tu te souviens de mon bureau ?

– Oui monsieur, en face de la mosquée après le carrefour printemps

– C’est là exactement, tu viens avec ton cv, un acte de naissance et si tu as des photos tu les apportes si tu n’en n’a pas on fera ça chez mon voisin photographe, ce sont mes ancêtres qui sont allés à ta recherche, je t’attends ici je ne bouge pas,

– Bien monsieur j’arrive

Je me douchais en un éclair, et m’habillais encore plus vite, ce monsieur je ne devais pas le rater. Si j’avais pu prendre soin d’Abeng pendant son année de terminal c’était grâce aux marchés qu’il me confiait. Jusque-là j’étais confiant et je priais pour que les choses aillent en s’améliorant. Au moment où je quittais la maison, ma mère sortit me rejoindre sur le trottoir, elle voulait savoir où j’allais et elle voulait s’assurer que je ne courrais pas retrouver Abeng, en disant qu’on n’était même pas sûr que la petite était ma fille etc…

J’étais à deux doigts de lui dire un truc bien méchant, mais je préférais me taire, en me disant que si j’obtenais ce boulot, je serais bientôt partit de chez elle, et qu’il valait mieux se quitter pas trop fâchés. Pendant qu’elle parlait j’arrêtais un taxi et sautais dedans. Le rendez-vous avec l’entrepreneur se déroula sans problème. Le boulot était dans mes cordes et le salaire qu’il m’offrait était trois fois supérieur à ceux auxquels j’étais habitué. Ce n’était pas la richesse, mais avec ça, je pourrais m’occuper de ma gamine, et aussi de sa mère si elle voulait bien me redonner ma chance. Et puis après avoir signé mon contrat, je me sentis las d’un coup, le patron le remarqua :

– Mon garçon, tu étais tout content tout à l’heure qu’est-ce qui ne va pas maintenant ? Fit-il inquiet

Je le regardais et entrepris de lui dépeindre ma situation depuis près de trois ans. Il m’écouta attentivement et de temps à autre il secouait la tête :

– Tu sais fils, grandir c’est faire des choix pour soi, et pas pour ou à cause des autres, alors la première chose c’est de savoir toi, qu’est-ce que tu veux ?

– Je veux les deux femmes de ma vie avec moi patron, j’ai honte à la seule pensée que cet homme avec lequel je les ai croisées puisse être son amant,

– Je te comprends, et de quoi tu as besoin pour pouvoir aller la voir ?

– Je dois trouver un endroit à moi où elles puissent venir me voir sans croiser ma mère

– Tu te rends compte que tu auras deux vies bien séparées l’une de l’autre ? parce que ta mère elle reste ta mère, tu n’es pas obligé de l’écouter ni de faire les choix qu’elle veut mais tu te dois de continuer de prendre soin d’elle tu le sais ?

– Bien sûr patron, je ne suis pas fou, elle n’a que moi,

– Bien, mais tu dois aussi te préparer à ne jamais lui amener ta fille, vu la haine qu’elle a pour la mère cela ne sert à rien de lui donner une occasion de faire du mal à l’enfant pour atteindre sa mère tu me comprends ?

– Oui je sais ça aussi patron,

– Ok, (l’homme souffla) écoute, j’ai peut-être une solution pour toi, j’ai construit sur mon terrain des appartements de deux et trois chambres derrière la maison dans laquelle je vis, et pour le moment sur les cinq, deux sont inoccupés, mais il te faudra faire quelque chose pour moi si tu acceptes de vivre là,

– Je devrais faire quoi ?

– Tu sais que je me déplace beaucoup à cause des chantiers que j’ai à travers le pays et à l’extérieur, et franchement c’est pénible d’avoir tout le temps des soucis avec les locataires à chaque fois que je reviens de voyage, tu devras récupérer les loyers tous les mois et payer les charges avec et mettre le reste sur mon compte, tu ferais ça pour moi ?

– Sans problème patron, mais je pense que c’est Abeng qui s’en chargera, elle est plus douée que moi pour gérer ce genre de chose, elle a des locataires elle-même, et a un bon contact avec les gens

– D’accord alors considère que tu à un appartement pour loger ta petite famille,

– On n’a pas parlé du loyer patron

– Ne t’en fais pas, tu me paieras un loyer lorsque tu cesseras de travailler pour moi, dans environ trois ans c’est ça le contrat non ?

Je n’en revenais pas, j’eu même droit à une avance pour mon déménagement. Mais avant de me présenter devant Abeng, il me fallait aller voir son père et je savais qu’il était sur site. Je commençais donc le boulot en me concentrant sur les diverses tâches que j’avais à accomplir. Le patron avait construit toute une cité d’environ une centaine de maison pour le compte d’un gros client, et j’étais chargé avec deux autres de l’installation électrique, et de raccorder chaque maison avec son compteur de la société d’énergie et d’eau. Pour moi c’était des travaux pratiques, rien de bien compliqué. Maison par maison je faisais une liste du matériel dont j’avais besoin et je m’y mettais. Chacun de nous avait une zone bien définie sur laquelle il devait bosser c’était plus pratique.

Je partais le matin avec mon programme de la journée, j’allais au bureau du patron et récupérais le matériel dont j’aurais besoin pour la journée, jamais plus, les maisons avaient beau être fermées à clé je préférais ne prendre aucun risque ce qui n’était pas le cas des deux autres. Ils devaient se prendre pour des supers ouvriers, les maisons dans lesquelles ils travaillaient tous les deux, étaient toujours pleines de matériel. Je me demandais souvent s’ils arrivaient à trouver de la place pour se déplacer au milieu de tout ça. Mais bon comme disait mon boss, « chacun sa merde », et ça me convenais très bien. Nous avions trois ans pour faire le tour de toutes les maisons qui nous avaient été confiées alors le patron m’avait conseillé de prendre le temps de bien faire. Ce que je faisais avec beaucoup de plaisir. En rentrant le soir je ne gardais jamais les clés avec moi, je passais les déposer au bureau du boss. Au moins si je sortais avec des amis, et que je devais rentrer bourrer, je n’avais aucune chance de les perdre.

Mis à part mes deux collègues électriciens, tous au bureau connaissaient ma routine et le patron trouvait que c’était mieux ainsi. Cela faisait presque deux mois que je bossais avec mon entrepreneur, lorsque je pris mon courage pour aller rencontrer le père d’Abeng. Je savais déjà qu’elle passait la journée au magasin avec la gamine, alors je ne craignais pas qu’elle arrive avant que je n’ai fini de parler avec lui. J’avais la trouille comme jamais encore auparavant. On était samedi et je le trouvais assis à une table de jardin devant la maison. En levant la tête je pense qu’il ne me reconnut pas immédiatement, il faut dire que j’avais perdu beaucoup de poids depuis l’accident.

Mais dès que je fus plus près de lui, il me sourit, je n’en revenais pas. Cet homme, il avait toutes les raisons du monde de m’en vouloir, et au lieu de tirer sur moi, il me recevait avec un sourire comme celui du père du fils prodige de la bible :

– Comment tu vas mon grand ? fit-il en me prenant dans ses bras

– Pas encore bien, fis-je les larmes aux yeux

– Hey ne pleures pas mon grand, viens t’assoir avec moi, et dis-moi ce qui te mets dans cet état !

– Je suis tellement désolé monsieur,

– Je le sais bien, et puis contrairement à ma fille, moi j’ai appris ce qui t’es arrivé, et je suis déjà heureux que tu t’en sois sorti et que tu puisses travailler à nouveau, alors racontes c’était quoi cet accident que tu as eu ?

– Oh père ! Une histoire incompréhensible, j’ai été électrocuté par un câble à haute tension, alors que j’avais des bottes de caoutchouc et un casque, ce truc ma touché aux pieds mais le médecin a dit que je ne pourrais peut-être plus avoir d’enfant à cause de ça, et pendant huit mois environ j’ai été incapable de travailler, j’avais des douleurs sur tout le bas du corps quasiment tout le temps, mais depuis quelques mois je vais mieux,

– C’est une grâce ! alors dis-moi ce qui t’amènes

– Il fallait que je vous vois, j’ai croisé Abeng avec une petite fille, je suis désolé monsieur, je ne savais pas qu’elle était enceinte lorsqu’elle est revenu ici

– Je le sais bien,

– Je… en fait, je voudrais les prendre avec moi, j’ai un bon travail maintenant, c’est mon deuxième mois sur un contrat de trois ans, et je suis partit de la maison, on sera chez nous, je sais que ce n’est pas vous que je dois convaincre mais, si elle me dit « oui » vous serez d’accord pour qu’elles viennent toutes les deux vivre avec moi ?

– Si Abeng est d’accord je ne m’y opposerais pas, ne t’en fais pas pour ça, mais tu sais, lorsqu’elle est revenu du supermarché l’autre jour elle était légèrement contrariée, alors j’ai discuté avec elle et je lui raconté la discussion que nous avions eu quand tu la ramenée ici et ensuite je lui ai parlé de ton accident, elle sait ce qui t’a gardé loin plus longtemps que tu ne le pensais

– Je suis soulagé, même si je sais que cela ne changera pas le fait que j’ai quand même refusé de prendre ses appels, c’était dure pour moi, mais je me disais que si je recommençais à lui parler en vivant encore chez ma mère, je n’aurais pas résisté à l’envie de la voir et de la faire venir à la maison et je ne voulais pas la forcer à subir ce qu’elle avait subi durant son premier séjours chez nous

– Moi je te comprends, et personne ne peux imaginer ce que tu as traversé toi aussi comme épreuves, explique lui simplement et ensuite tu verras bien ce qu’elle en dira,

– D’accord, encore merci pour l’accueil, je vais y aller, je ne veux pas qu’Abeng me trouve ici

– Pourquoi ? S’enquit l’homme

– Elle va se fâcher, elle dit toujours que ce n’est pas normal que je parle plus facilement avec vous, et qu’avec elle se soit si compliqué,

L’homme sourit. Je pris donc congé et ce n’est qu’une fois sur la route que je vis où se trouvait son magasin, elle était debout à l’intérieur toute seule, et ce gars, Ndoum était debout devant avec la gamine dans les bras. Je choisis de traverser et d’aller les saluer :

– Salut Ndoum !

– Oh Gora quelle bonne surprise, dit-il en me tendant la gamine, Akeng tu dis bonjour

Elle me sourit. Je la pris dans mes bras un peu maladroitement. Mais je sentis comme un pincement au cœur. Akeng, elle me touchait le visage et ça me chatouillait, elle se moquait de la tête que je faisais, c’est si simple avec les tous petits, on les faisait rire et tout est effacé. En voyant Abeng arriver Ndoum me reprit la gamine des mains et rentra dans le magasin avec elle alors que sa mère sortait me retrouver dehors :

– Tu t’es décidé à passer nous voir, enfin, dit-elle en me fixant d’une étrange de façon

– On peut discuter un moment tous les deux, s’il te plait ?

– Ce n’est pas déjà ce qu’on est en train de faire ? dit-elle encore

– Oui… si on veut, je tenais à m’excuser pour tout ça, (je soufflais) j’ai été très égoïste je m’en rends compte aujourd’hui, tu aurais pu avoir un problème grave et…

– Et rien du tout, de toutes les façons papa m’a dit que tu avais eu un accident, tu sais on a tous les deux fait n’importe quoi, j’aurais dû me pointer chez toi ou demander de l’aide à tes amis pour te voir mais je ne sais pas… je ne sais pas trop,

– On fait la paire tous les deux hein, dis-je en lui souriant

– Oui, sacré duo de comiques

– Ndoum c’est ton petit ami ?

– Non, c’est juste un ami, il vient surtout à cause d’Akeng,

– Elle très attaché à lui c’est ça ?

– C’est plutôt lui,

– Wow, dis… si je te le demandais tu accepterais de te remettre avec moi ?

– Tu le demande ou c’est juste une question comme ça ?

Je me tenais devant elle, et peut-être pour me donner du courage je pris ses mains dans les miennes :

– Je te le demande,

– Je ne sais pas Gora, ça dépends de pas mal de chose…

– Hey ma belle, je t’en prie j’ai besoin que tu me répondes, je disais ça en l’attirant vers moi mais voyant qu’elle souriait sans répondre je me risquais à déposer un baiser sur ses lèvres

Je sentis la demoiselle tenter de se défaire de mon étreinte, mais je la tenais, j’avais arrêté de l’embrasser mais je la tenais toujours contre moi :

– Gora laisses-moi, c’est gênant tout le monde nous regarde,

– Alors réponds Abeng, tu me manques tu sais

– Gora ! cria-t-elle

– Ok je te lâche, fis-je en retirant mes bras de sur elle, j’ai compris tu n’es pas prête à me répondre aujourd’hui, je vais te laisser, mais appelles moi, et promis, quel que soit l’heure cette fois je répondrais

Je fis un signe de la main à Ndoum qui nous regardait assis dans le magasin la gamine dans les bras. Il paraissait déçu du déroulement de mon entrevue avec Abeng. Il me répondit en me faisant signe de l’attendre, il se leva, sortit du magasin et vint me proposer de faire un bout de chemin avec lui, après avoir rendu la gamine à Abeng, apparemment nous allions dans la même direction :

– Je suis désolé que cela ne se passe pas encore bien avec Abeng,

– Comment ça ? fis-je étonné

– Je sais qu’elle t’aime énormément, j’ai seulement le sentiment qu’il y a quelque chose qu’elle voudrait te dire avant de faire la paix

– Quoi ?

– Je ne le sais malheureusement pas, sinon je te l’aurais dit je t’assure

– Ah oui ? et pourquoi tu m’aiderais ?

– Parce que je pense qu’elle t’as attendu suffisamment longtemps, c’est tout, tu sais au départ je l’ai abordée pour lui faire la cour et elle m’a envoyé sur les roses,

– C’est dur, fis-je en souriant

– Tu n’imagines même pas, répondit-il en souriant à son tour, et puis j’ai joué les têtus, au final on est devenus proches sans vraiment être des amis, et puis Akeng elle me fait me sentir bien

– Je te comprends

– Oh non tu ne comprends pas, fit Ndoum en mettant ses mains dans ses poches

Il resta silencieux un moment et je le sentis ému :

– Il y a quelques années j’étais avec une fille, depuis deux ou trois ans, on était bien, il avait les yeux qui brillait en parlant de cette fille, un jour elle vient me voir et m’annonce qu’elle est enceinte et moi je suis là comme une bille et je lui dis « et alors tu veux que je fasse quoi ? » imagine la boulette

– Je l’imagine bien oui,

– Là elle se fâche, et je suis forcé de lui expliquer que je ne suis pas en train de rompre, je veux juste savoir ce qu’elle veut que je fasse, elle se calme et me fait « épouse moi », je dois te dire que je suis le dernier de ma famille et j’ai trois grandes sœurs, dont une qui est un vrai pitbull, j’avais 21 ans je venais d’avoir mon bac et mes sœurs elles ne me refusent jamais rien mais le mariage j’étais sûr qu’elles diraient « non »

– Et qu’est-ce que tu as fait ?

– Rien, je lui ai dit « mes frangines elles te donneront tout ce dont tu as besoin, mais leur parler de mariage alors que je n’ai pas de quoi m’occuper de toi, ni boulot, ni rien, ce n’est même pas la peine de demander », il dit ça et se tut un instant encore, elle n’a rien voulu savoir, elle est rentré chez elle en colère, alors moi j’appelles ma grande sœur, l’ainée c’est la plus folle des trois mais paradoxalement, c’est la plus sympas, je lui explique ce qui se passe et là elle me sors « cette fille se fout de toi petit frère » je reste un moment silencieux et je lui demande pourquoi elle dit ça, et la ma grande me dit « tu te souviens les tests de fertilité que les parents t’avaient obligé à faire avant que tu passes ton examen » et comment que je m’en souvenais, « ils ont refusé de me donner les résultats » je lui dit ça direct, et là elle me dit « tu as des problèmes de fertilité, il se peut que tu ne puisse pas avoir d’enfants, avec les autres on avait prévu de te faire subir une opération que les médecins avait recommandée aux parents quand tu aurais 25 ans le temps d’avoir assez de sous »

– Ho non !

– Si mon gars cette fille je l’aimais comme un dingue mais elle s’était bien foutue de moi

– Et ???

– Je lui ai expliqué l’histoire mais au lieu de s’excuser elle s’est entêtée en disant que ma sœur était une menteuse, voulait m’obliger à m’occuper de cette grossesse, je lui ai dit que je n’allais pas le faire mais qu’à la naissance du petit je lui rembourserais deux fois tout ce qu’elle aurait dépensé si les tests prouvait que c’était bien mon enfant, d’un coup elle se tait et me regarde, j’attends de longues minutes et là elle m’avoue qu’en réalité elle ne sait pas qui de nous est le père, je me dit qu’elle m’a peut-être trompé mais bon c’est rien ça, mais non, en réalité elle avait trois autres mecs en dehors de moi

En écoutant Ndoum me raconter son histoire je me sentais d’un coup le type le plus chanceux du monde. Mince je ne m’imaginais pas à sa place, je serais devenu fou. Rien que d’imaginer qu’Abeng puisse être avec un autre m’avait perturbé mais ça… il s’était de nouveau tût, il marchait près de moi en silence, la tête baissée, le regard lointain :

– Et, question stupide, vous deux ? C’est devenu quoi ?

– Après ça j’ai pris mes distances, j’ai demandé à mes frangines de m’offrir une virée dans un autre pays, quelque temps, je suis allé au Sénégal j’y ai passé un peu moins de deux ans et puis en rentrant j’ai ouvert une papeterie, enfin j’y vends plein d’autres choses aussi, je l’ai revu avant de faire la connaissance d’Abeng, elle était venu en vacances, elle est à la fac maintenant, elle fait du droit et les choses semblent aller bien pour elle… elle a avorté de son gamin

– C’était complètement stupide,

– Je le lui ai dit, mais elle a rétorquée qu’elle n’allait pas élever un enfant toute seule etc… enfin vu la tournure que prenait la conversation, j’ai préféré m’arrêter là, alors lorsque j’ai rencontré Abeng et la petite princesse j’ai craqué sur le duo, je le vis sourire en disant ça, je suis persuadé que si elle avait eu son bébé, et qu’on s’était revu à mon retour et qu’elle s’en occupait seule je serais retourné avec elle, même si ce n’était pas mon gamin je l’aurait aimé de tout mon cœur, au moins autant que j’aime sa mère

– Tu l’aimes encore ?

– Oui, tu vois c’est un sentiment dont on ne se débarrasse pas si facilement

– Hum ! dis-je résigné

Il avait raison. Et j’aurais certainement réagi de la même façon, j’aurais été en colère quelques temps et puis je serais revenu. Rien que de revoir Abeng avait fait tomber toutes mes bonnes résolutions, et heureusement que mère nature avait un truc sous le coude pour moi dans la foulée. Finalement au lieu de rentrer chacun chez nous, on avait fini par passer le reste de la journée ensemble dans un restaurant à manger, boire et à se raconter nos vies. Ndoum se dit qu’il s’était fait un ami de plus, et c’était bien pour lui. Nous n’avions pas énormément de choses en commun mais on semblait très bien se comprendre, et je crois pour ma part que c’est l’essentiel.

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