6
Sacré tante Ening, elle avait fait des pieds et des mains pour qu’Abeng et moi soyons mariés avant son retour en côte d’ivoire, ma cousine Aboghé, le médecin et sa frangine « ma jumelle » venaient maintenant régulièrement nous rendre visite, et j’étais aux anges. J’avais retrouvé mes sœurs, c’était un truc de fou. Moi qui n’étais pas habitué à être entouré et qui me sentais isolé je vivais la vie dont je rêvais. Paradoxalement, avec le retour des deux femmes dans ma vie je devins plus distant avec Abeng.
Je me mis à sortir plus le soir avec des amis, des collègues et autres. Et voilà qu’un jour je tombe sur cette fille, pas spécialement canon mais elle avait « du chien ». Cette année-là c’était le départ à la retraite de monsieur Ngane et de plusieurs autres anciens de la confrérie, et on allait fêter ça. On devait se retrouver tous à Libreville, du moins tous ceux qui pouvaient effectuer le déplacement. Cela faisait à peu de chose près trois mois que je fréquentais cette fille, Nsili. Fini les week-ends en famille avec mes princesses, terminé les soirées à deux devant la télé ou au restaurant avec madame.
Abeng s’en plaignait souvent mais je répondais à peine. Je lui disais qu’elle n’avait pas de raison de « m’emmerder » vu que nous étions mariés, et puis j’étais de plus en plus proche de ma mère, je lui avais même présentée Nsili, et chose étrange elle l’adorait. Une chose est sûre, si Abeng ne gérait pas déjà nos finances depuis longtemps, j’aurais fait n’importe quoi. Je dépensais des sommes faramineuses en cadeaux pour Nsili alors qu’elle ne faisait absolument rien pour moi. Avec du recul je me rends compte qu’on n’avait jamais de discussion sérieuse, on ne faisait pas de projet tous les deux. On couchait ensemble et je lui donnais du fric, la couvrais de cadeau et c’était tout. On vivait cette relation plus souvent à l’hôtel que chez elle, on mangeait tout le temps au restaurant, je ne me souviens même pas qu’elle m’ait déjà fait à manger. Il faut dire que ce n’est pas pour ça que j’étais avec elle. Mademoiselle ne bossait pas alors elle était toujours dispos pour tout ce que je voulais, alors qu’Abeng avait mille et une occupations.
Et puis cette histoire d’enfant qui ne venait pas. Ma mère avait fini par me convaincre qu’il y avait des chances pour que j’ai toujours été stérile et que Akeng ne soit pas ma fille. Alors les disputes à la maison commençaient à devenir une habitude, je m’en prenais à ma femme pour un oui ou pour un non. Je ne l’avais jamais vu autant pleurer. Abeng et moi nous en avions traversés des épreuves et elle avait toujours été ma force, et je m’appliquais désormais à la briser. Et pourquoi ? Je n’en savais rien moi-même.
J’avais passé la journée de samedi avec Nsili chez ma mère, elle nous avait reçu en nous faisant à manger, et on avait passé toute la journée à discuter de chose et d’autre, puis vers 18h j’avais déposé Nsili chez elle avant de rentrer. Une fois chez moi, je trouvais Abeng assise à l’une des deux tables que nous avions dans le jardin. Elle avait l’air triste et cela me contrariait, en fait je me disais que je n’avais pas envie de savoir ce qu’elle avait, j’étais crevé. Cependant quelque chose m’interpella, elle m’avait vu arriver mais ne s’adressa pas à moi, elle restait assise là comme absorbée par une pensée ou une nouvelle qu’elle venait d’apprendre. Au final je me résignais à aller m’enquérir de la situation :
– Bonsoir madame ! Lui dis-je
Elle leva les yeux vers moi mais ne répondit rien. Ensuite elle s’isola de nouveau dans sa tête. Elle se tenait la tête entre les mains et pleurait maintenant :
– Merde Abeng, dis-je en m’asseyant en face d’elle, tu ne vas pas te mettre à pleurer à chaque fois que je vais passer la journée chez ma mère non ?
– Tu crois que c’est à cause de toi que je pleure ? Répondit-elle en ricanant, ça fait longtemps que tu n’es plus le centre de mon monde Gora, ma mère est morte, je viens de l’apprendre
Elle dit ça, puis se leva et s’en alla. Quant à moi je restais assis-là comme l’idiot que j’étais devenu. Abeng avait été abandonnée par sa mère lorsque celle-ci avait quitté son père, elle en avait beaucoup souffert et se disait que peut-être un jour elle finirait par accepter de la revoir, mais sa mère avait toujours refusée, prétextant que sa vie avec le père d’Abeng était une erreur et qu’elle ne voulait en garder aucun souvenir. Combien de fois j’avais trouvé Abeng en larme chez elle lorsque nous étions au lycée, juste après une discussion de ce genre. Mais elle gardait espoir. Et voilà qu’elle était morte.
A partir de ce jour-là, elle changea du tout au tout. J’avais eu jusque-là une épouse aimante et attentionnée, et voilà que d’un coup je me trouvais face à un bloc d’indifférence. Je pouvais bien faire ce qui me plaisais elle ne disait plus rien. Elle s’occupait de ce qui était à sa charge pour le reste… c’était devenue comme si je vivais avec une domestique muette. Je rentrais le soir quel que soit l’heure je trouvais mon repas sur la table, si je ne le mangeais pas, le lendemain elle mettait le tout dans la poubelle. Elle faisait ma lessive sans plus se plaindre des tâches éventuelles de rouge ou autre. Et pire elle ne disait rien à mes frangines. Quelques semaines après la mort de sa mère, on reçut la visite de mes frangines, elles passaient lui transmettre leurs condoléances et passer un peu de temps avec elle :
– Salut belle ! dis Aboghé, le médecin
– Bonjour les filles ça fait plaisir de vous voir, répondit Abeng en les embrassant
Je me levais de mon fauteuil pour les embrasser à mon tour :
– Salut frangin :
– Salut,
– Abeng désolée, fit encore Aboghé, on n’a pas pu venir plutôt, surtout parce qu’on se disait que tu serais surement en famille
– Ce n’est pas grave, ma mère ne voulait plus avoir de contact avec moi depuis mon enfance alors c’est juste comme perdre un parent éloigné
– On t’a apporté des fruits, je sais que tu as un verger mais quand-même
Elle avait souri à la remarque de ma sœur, je savais que depuis plusieurs mois elle avait confié le verger à des ouvriers agricoles, ils l’exploitaient et lui versaient une rente mais elle-même n’y mettait plus les pieds. Avec les filles ont avait pris place dans le salon. Abeng nous servit à boire à tous puis alla s’assoir dans le jardin, toute seule. Ma sœur me lança un regard de tueur :
– Qu’est-ce que tu lui as fait encore ?
– Moi ? rien, dis-je en mentant un peu, depuis que sa mère est morte elle est comme ça distante, elle reste seule dans son coin, parle à peine…
– C’est comme ça que tu as voulu que vous viviez non ? Fit Aboghé, tu crois que ton oncle ne m’a pas raconté tes visites chez ta mère avec ta « nouvelle femme » c’est quoi tout ça Gora ?
– Ecoute j’ai le droit d’avoir plusieurs femmes non ?
– Oui, mais pas de torturer Abeng pour ça,
– Je ne la torture pas…
– Ah non ? tu disparais plusieurs jours sans laisser de traces, tu fermes ton téléphone, sans te demander si elle pourrait pour une raison ou une autre, avoir besoin de te joindre, c’est le genre d’homme que tu es devenu dis-moi ? Et aux dernières nouvelles, Akeng ne serait pas ta fille…
Je ne trouvais rien à redire, surtout que je n’avais pas l’intention de changer. La grande réunion de la confrérie c’était la semaine suivante, j’y allais avec Nsili, tout était arrangé. Après le départ de mes sœurs, je constatais que ma femme faisait ses bagages :
– Où est-ce que tu vas ? Me risquais-je
– Chez mon père,
– Pourquoi tu fais tes bagages pour ça ?
– Il se peut que je ne revienne pas Gora, et si c’est le cas, je te laisserais tes cartes de crédit, ton chéquier et tous tes documents administratifs importants dans ton bureau…
– Comment ça il se peut que tu ne reviennes pas ?
– Tu n’as plus besoin de moi dans ta vie, et moi je ne veux pas être là où on ne veut pas de moi,
– Je n’ai jamais dit…
– Ce n’est pas toi qui l’as dit Gora, c’est moi, je ne suis pas en train de t’accuser de quoique ce soit, cette situation entre nous, elle devient… ridicule,
Elle continuait de faire son sac en silence et moi je ne savais plus où j’en étais, j’avais déjà perdu la gamine et là… Akeng nous avait entendu nous disputer avec sa mère un jour et je lui avais balancé à la figure que je n’étais même pas sûr qu’elle était ma fille. J’avais vu le désarroi dans le regard de ma petite princesse lorsqu’elle m’avait entendu dire ça, et puis elle était allé faire ses bagages et était partit vivre avec son grand-père. Maintenant voilà qu’Abeng elle aussi faisait son sac. Au lieu de l’arrêter, les seules pensées qui me traversaient l’esprit c’était que je n’avais pas le temps pour toutes ces bêtises, je devais être à Libreville le week-end suivant et si elle voulait partir hé bien qu’elle parte, on règlerait ça à mon retour.
Dès qu’elle finit de ranger son sac, je la vis s’assoir sur le lit et se prendre la tête entre les mains. Elle pleurait. Sur le moment j’étais à des lieux de ses préoccupations à elle. Je sortis de la chambre et la laissais seule. Aujourd’hui je me mets à sa place et je me dis qu’elle se disait certainement que notre mariage avait été une erreur. Que s’investir autant dans notre relation avait été une erreur, comme le fait de m’avoir attendu toutes ces années. Et peut-être aussi que me dire qu’Akeng était ma fille en avait été une aussi. Elle devait surement revenir sur ce jour maudit où elle avait accepté de revenir avec moi. Je sortis marcher un peu j’espérais surement qu’elle se calmerait et qu’à mon retour on pourrait discuter mais en rentrant je trouvais la maison vide.
Le week-end à Libreville ne fût pas ce que j’en attendais, la fête avait été belle. J’avais fait la connaissance de quelques autres membres de la confrérie et les conseils de monsieur Ngane et ceux d’Abeng étaient bien loin de mon esprit. Après la soirée avec les anciens, je m’aventurais avec d’autres membres dans une boite de nuit ensuite, l’un des anciens nous invita à prendre un verre chez lui, j’acceptais sans me méfier. Une fois-là, j’eus comme l’impression que quelque chose de louche se tramait dans mon dos mais c’était trop tard, nous n’étions là que depuis une demi-heure lorsque je fus plaqué au sol par six des gars qui étaient arrivé avec moi, pendant que l’ancien et les autres abusais de moi. Depuis mon électrocution, la partie inférieure de mon corps n’avait pas encore récupérée toute sa sensibilité, je ne ressentais donc aucune douleur ou presque cette fois-là. Mais ce fut une expérience horrible.
Les salauds qui me maintenaient au sol riaient aux éclats, et se foutaient de moi en faisant des commentaires du genre « avoue que tu aimes ça hein mon grand », ou encore des trucs plus dégueulasse, certains se permettaient de me passer la main dans les cheveux ou me caressaient. Je me sentais… plus qu’humilier, je me sentais souillé, jusqu’au plus profond de mon âme. Cette conversation que j’avais eue avec Abeng avant d’intégrer cette P… de confrérie me revenait en mémoire et je m’en voulais. Ma femme, si j’avais été avec elle, je ne serais certainement pas venu chez ce type. Mais ma chère nouvelle copine elle se payait du bon temps dans la ville. Elle avait d’autres priorités, là où pour Abeng j’étais ce qui comptait le plus. J’avais la nausée.
Je n’avais jamais abusé d’une femme mais, je comprenais désormais ce que pouvait ressentir une personne dans cette situation. Je pense qu’à un moment j’ai dû perdre connaissance. En ouvrant les yeux plusieurs heures plus tard je me retrouvais seul dans la chambre d’hôtel qui avait été mise à ma disposition. J’étais allongé sur le lit mais pas dans les draps. J’avais la gueule de bois et un arrière-goût amer dans la tête. En rentrant sur Port-Gentil je n’avais qu’une envie me retrouver chez moi, prendre une douche et oublier tout ça. Et au lieu de déposer Nsili chez elle je l’entrainais avec moi à la maison, convaincu qu’Abeng ne serait de toutes les façons pas là.
Je voulais dormir, seul, faire le vide, oublier, tout oublier. J’avais installé Nsili dans la chambre d’ami en lui disant que je la raccompagnerais chez elle le lendemain matin. Mal m’en prit. Je me réveillais en sursaut le lendemain matin il devait être 10h, je ne sais plus très bien, entre les hurlements de douleurs de Nsili et les cris d’Abeng, ce qui m’effraya le plus. Le spectacle auquel j’assistais en entrant dans la chambre d’ami était surréaliste, Abeng tenait une de mes ceintures dans la main et frappait Nsili violement avec. J’eus tout juste le temps de m’interposer entre les deux femmes en implorant Abeng d’arrêter de s’en prendre à Nsili.
Elle s’arrêta un moment et me fixait le regard plein de colère, elle leva en l’air le bras avec lequel elle tenait ma ceinture, je crois qu’à ce moment seul son amour pour moi l’empêcha de me frapper avec :
– Que j’arrête de m’en prendre à elle tu dis, c’est bien ça Gora, me dit-elle les larmes aux yeux, alors tu es toujours aussi lâche, tu as attendu que je parte pour ramener ta nouvelle femme chez moi, tu aurais pu demander le divorce, mais non il fallait que tu me pousses à bout n’est-ce pas ? Je devais partir de mon plein gré et te laisser le champ libre c’est ça ?
– Abeng ce n’est pas du tout ça…
– Ah non ? Et de quoi ça a l’air à ton avis ? hurla-t-elle avant de s’effondrer d’un coup
C’est en la voyant s’écrouler, que je compris ce que j’étais en train de lui faire, je la tuais à petit feu. J’appelais ma sœur à l’hôpital pendant que Nsili s’habillait. J’allais installer Abeng dans notre chambre, et jusqu’à l’arrivée de ma sœur, je ne bougeais pas de là. Je me tenais à genoux près d’elle, les mains jointes sur le bord du lit. Toutes ces années avec elle et il ne m’était jamais rien arrivé. Elle veillait sur moi comme un ange gardien avec ses conseils et tout son amour et j’avais été ingrat, et pire je l’avais humilié de la pire des façons. Et je le payais cher, cette agression ce n’était pas à ça que je pensais sur le coup, tout cela me semblais désormais si loin. Non, je regardais ma femme allongée sur ce lit inconsciente et je me surprenais à prier qu’il ne lui arrive rien.
J’avais toujours tenu les promesses que je lui faisais, j’y mettais un point d’honneur à le faire, mais j’avais oublié que le plus important pour elle avait toujours été d’être avec moi. L’argent, la belle vie etc… toutes ces choses qui hantent un homme en prenant de l’âge ça n’avait jamais fait partie de ses préoccupations. Aboghé arriva et en me trouvant assis sans voix devant le corps inanimé d’Abeng elle prit peur et se mit à me hurler dessus. Je comprenais à peine ce qu’elle disait, puis, après avoir pris son pouls et constaté qu’elle était encore en vie elle me regarda d’un air mauvais :
– Qu’est-ce que tu lui as fait ? et c’est qui cette fille dans le salon ?
Je me pris la tête dans les mains je l’avais complètement oublié celle-là, j’allais dans le salon et trouvais Nsili assise là comme si de rien n’était :
– Qu’est-ce que tu fais encore là ? Lui demandais-je
– Tu as dit que tu allais me raccompagner…
– Tu es complétement stupide ou quoi ? Tu ne te rends pas compte dans quelle situation je suis avec ma femme qui est inconsciente depuis presqu’une heure
– Et alors ! Tu as dit que tu ne l’aimais plus…
– Et c’est une raison suffisante pour la laisser mourir toute seule chez moi ? P… de mer…credi, s’il te plait Nsili, sors de chez moi, avant que je ne termine ce qu’elle a commencé là-haut
Elle prit son sac et après m’avoir toisée s’en alla, et moi je retournais auprès de ma sœur. En arrivant devant la porte de la chambre je surpris Aboghé parlant à Abeng comme si elle avait été éveillée, elle lui avait placé une perfusion et pendant qu’elle s’écoulait elle lui parlait doucement en lui tenant la main, et cette conversation unilatérale failli m’achever :
– Hey belle, tu ne vas pas t’en aller avec notre petit n’est-ce pas ? mon frère aura déjà bien du mal à s’en remettre s’il devait te perdre mais si tu lui prends son petit il pourrait ne pas vous survivre tu le sais ça ? Aller belle, accroches-toi, fais ça pour lui, je sais bien qu’il donne souvent l’impression qu’il ne t’aime plus mais on sait toutes les deux que ce n’est pas vrai, cette gamine écervelée que j’ai trouvé en arrivant elle ne pourra jamais rivaliser avec toi…
En entendant ça je me mis à trembler de tout mon corps, et m’affalais sur le sol derrière la porte. Abeng était enceinte. Je me pris la tête entre les jambes et me mis à pleurer en silence. J’en rêvais de cet enfant depuis longtemps, elle n’avait cessé de me dire que nous devions être patients tous les deux, et moi j’avais commencé à l’accusé de m’avoir menti. J’avais commencé à douter de ma paternité concernant Akeng, ma petite princesse. Décidément je ne retenais aucune des leçons que la vie tentait de m’enseigner. J’étais allé jusqu’à présenter une autre femme à ma mère, une autre femme… mais quelle autre femme ? Il n’y avait jamais eu qu’une seule femme dans ma vie, et elle était en train de baisser les bras dans cette chambre par ma faute.
J’étais toujours assis parterre lorsque ma grande sœur sortit de la chambre, elle me fixa un instant sans rien dire puis elle alla chercher un peu d’eau dans la cuisine, Abeng s’était réveillée et lui en avait demandé. Elle revint de la cuisine avec l’eau et passa cette fois devant moi sans me regarder. Je n’avais pas le courage de me lever, de leur parler, j’avais honte. Et cette honte n’avait rien à voir avec ce que j’avais ressenti lorsque j’avais appris qu’Abeng m’avait fait un enfant la première fois, oh non ! Cette fois je me sentais comme une abomination sans nom. J’avais été souillé corps et âme par ces sales types et j’avais failli tuer ma femme et mon enfant, et j’avais perdu l’amour de ma petite princesse.
Ce fut d’ailleurs elle que j’appelais en premier en allant m’installer dans la cours :
– Bonjour princesse !
– Bonjour papa,
– Je suis désolé de te déranger ma chérie, mais papa a besoin de toi tu peux venir me voir, je pleurais en disant cela je n’avais plus la force de retenir mes larmes et je l’entendis me rassurer
– T’en fais pas je viens te voir, où es-tu ?
– Je… à la maison princesse… je suis à la maison, j’ai fait une bêtise, et maman…
– J’arrive papa, tu m’expliqueras quand je serais là,
Je me levais lourdement et allais m’assoir à l’une des tables dans le jardin. Je me tenais la tête en me demandant ce qui se passait dans ma vie qu’est-ce qui m’arrivait ? Pourquoi je m’étais tout à coup retourné contre les deux seules personnes qui avaient toujours été là pour moi ? J’en étais à peu près là de mes pensées lorsque je senti une main sur mon épaule, c’était Akeng, ma petite princesse. Je me tournais vers elle et la serrais dans mes bras, en la sentant me passer les mains dans les cheveux, je me remis à pleurer :
– Papa arrêtes de t’inquiéter, tata a dit que maman allait bien maintenant, dit-elle en me passant de nouveau la main dans les cheveux
– Je sais, dis-je en la laissant s’assoir près de moi, mais j’ai honte de moi si tu savais, je ne sais pas ce qui m’arrive depuis quelques temps je fais n’importe quoi,
– Tu sais grand-père, il dit que tout ne peut pas être tout le temps parfait
– C’est sûr, fis-je en me ressaisissant, tu m’as manqué princesse, dis-je en la serrant à nouveau dans mes bras
Elle était si petite, elle avait déjà 13 ans mais était si frêle. Un pédiatre nous avait dit que tous les enfants n’avaient pas le même rythme de croissance et qu’il fallait juste lui laisser le temps. Je la serrais contre moi en l’embrassant sur le front plusieurs fois :
– Tu me manque tellement princesse, j’étais complètement fou ce jour-là tu sais, j’ai parlé sans réfléchir et j’ai dit n’importe quoi, je ne sais même plus pour quoi j’étais en colère, certainement un truc stupide encore
– T’en fais pas je sais bien que c’est toi mon père, mamie Ening elle m’a montré des photos de toi quand tu étais petit, on dirait moi
– C’est vrai ? Fis-je en la regardant tendrement
– Oui, elle a même dit que toi aussi tu avais eu des problèmes de croissance et que au début elle croyait que c’était elle qui n’avait pas du bon lait
– Ah oui ? alors tu seras certainement aussi grande que moi, fis-je en souriant
– Oui, y a des chances
Je pris ses mains dans les miennes en souriant. Alors je n’avais pas perdu ma petite princesse, elle était juste un peu en colère, mais elle resterait à jamais ma petite princesse. Ma sœur vint nous trouver dehors le regard dur :
– Akeng tu peux aller veiller ta maman un moment je dois discuter avec ton père
– Bien tata, fit la gamine en se levant
– J’espère que tu es content mon petit, fit-elle
– De quoi tu parles ?
– Abeng, elle a perdu son bébé
Je venais de prendre le KO de ma vie, cette douleur je la sentais dans mon ventre comme si on venait de me donner un grand coup dans les côtes :
– Elle… elle était enceinte de combien de mois ?
– Un peu plus de deux mois
– Je… est-ce… elle va bien ? Demandais-je hésitant
– Oui, mais il y a des chances pour qu’elle demande le divorce, pour ton bien j’espère que cette fille t’aime au moins autant que ta femme…
– Je vais… on ne va pas se séparer, je vais tout arranger, je… je vais tout arranger…
– Ah oui ? Tu vas lui effacer la mémoire ? Parce que ce n’est pas que la scène d’aujourd’hui qu’il va falloir effacer, les disputes, les humiliations, les accusations etc… etc…
Je regardais ma sœur dans les yeux et je savais bien qu’elle avait raison. Pendant que nous parlions mon téléphone se mit à vibrer, c’était un numéro inconnu :
– Allo ?
– Salut mon grand, tu as aimé la petite partouze, tu sais on remet ça quand tu veux,
– Oui bien sûr mais fais gaffe à toi, il se pourrait que tes potes et toi je vous mette la main dessus avant, et moi je ne vais pas vous violer je ne suis pas P… de pédé moi, mais je vous tuerais un à un, hurlais-je en raccrochant
Aboghé me fixait inquiète :
– C’est quoi cette histoire frangin ?
– Rien…
– Oh non ce n’est pas rien je ne t’ai jamais entendu menacer qui que ce soit de mort, dis-moi ce qui se passe
Je me remémorais toutes ces fois où on avait parlé de jeunes filles qui s’étaient faite violer et on se demandait pourquoi elles ne dénonçaient pas leurs agresseurs, et là c’était mon tour, ma sœur me fixait toujours attendant une réponse qui tardait à venir :
– Je ne vais pas te lâcher alors tu ferais mieux de tout me raconter
– J’ai été violé pendant le rassemblement de la confrérie, avant-hier,
– Quoi ? et tu sais qui ils sont ?
– Bien sûr que je le sais, nous appartenons à la même confrérie
– Pourquoi tu ne les dénonces pas ? Gora ! hurla-t-elle
– Laisse tomber,
– Comment ça laisse tomber, Gora tu ne vas pas me dire que tu ne comptes rien faire pour ça
Ce n’était pas le pire, Abeng avait demandé à la gamine de l’accompagner dans le jardin elle voulait me parler, je suis persuadé qu’elle voulait en finir avec tout ça. Mais lorsque je voulu m’en aller loin de ma frangine, je me retrouvais face à mon épouse qui avait retenu un cri, elle me regardait maintenant les larmes aux yeux :
– Gora, mon cœur je te demande pardon, dit-elle
– De quoi chérie, dis-je en la prenant dans mes bras, ce n’est pas de ta faute, je me suis mis dedans tout seul, comme l’idiot que je suis… comme l’idiot que je suis à chaque fois que je ne t’écoute pas
Des larmes avaient recommencés à me couler des yeux, mais je tenais ma femme serrée contre moi, et à ce moment je me fichais bien de tout le reste. J’avais manqué de peu de la tuer, et j’avais provoqué la mort de notre bébé, cet enfant que j’avais appelé de mes vœux si longtemps, je l’avais tué. Je m’en voulais mais en même temps le fait de pouvoir tenir ma femme dans mes bras me rassurait. Je sentais des larmes lui couler des yeux et je me demandais comment faire pour les arrêter. J’aurais voulu lui dire, que tout ça ce n’était rien et que le seul fait de pouvoir la serrer dans mes bras après tout le mal que je lui avais fait, me faisait oublier jusqu’à ce séjours maudit. Je ne voulais pas qu’elle pleure pour moi, je ne le méritais pas.
Mais aucun mot ne sortait de ma bouche, j’avais toujours mis un point d’honneur à lui dire ce que je pensais et lui dire ça me semblait si… prétentieux. Car malgré tout ce par quoi elle passait par ma faute, je savais qu’elle m’aimait, et que tout ça ne serait jamais « rien » à ses yeux. Je réalisais que je n’avais jamais mérité aucun de ses sourires, aucune de ses attentions, ni son temps ni son amour, que tout ce qu’elle m’avait donné toutes ces années c’était une grâce. Elle aurait pu se trouver un type avec lequel sa vie aurait été moins compliquée, mais c’est moi qu’elle avait choisi et moi je l’avais trahi, et j’avais tué son enfant.