Le Diamant Vert, partie 1

8 mins

Partie I: Le challenge vert.

L’atmosphère était sombre. Dans cette chambre mal rangée, seule la lumière de l’écran d’ordinateur éclairait la pièce. Les murs étaient épinglés de posters, de jolies dames victoriennes aux ombrelles blanches. Sur le bureau était à moitié affalée une jeune adolescente à la chevelure châtain emmêlée, encore en grenouillère licorne rose à paillette.

— Sarah ! Tu es encore sur ton ordinateur !?

La jeune fille sursauta, jetant un regard en arrière. Les murs de sa maison étaient si fins qu’elle entendait sa mère crier à plusieurs mètres malgré la porte fermée.

— Il n’est que 21h maman !

— Ne reste pas jusqu’à minuit !

Sarah soupira et replaça une mèche rebelle derrière son oreille. Elle reporta son attention sur son écran. Ses doigts tapaient à toute vitesse sur son clavier, tandis que le regard de l’adolescente semblait se perdre dans quelques rêveries.

Elle était sur un forum de jeu de rôles. Son avatar, une splendide jeune fille aux courbes voluptueuses affichait un sourire béat, le tout dans un dessin tiré d’un manga. Malgré l’air un peu innocent de son personnage, elle s’appliquait à lui donnait une personnalité forte, de combattante luttant face aux obstacles de la vie. En ce moment, elle écrivait un texte romantique, échangeant en même temps sur Messenger avec un ami.

«  À cet instant, Adamanthe sourit, relevant doucement son regard vers cet homme qui captivait son esprit. Son regard d’émeraude la faisait toujours autant chavirer. Avec douceur, elle approcha ses lèvres des siennes, laissant à Garence la possibilité de sentir son doux parfum de jasmin et de rose. Ses mains tremblantes cherchaient les siennes. Elle restait là, suspendue dans le temps, si proche de lui, prête à nouer leur destin. »

Sarah esquissa un sourire, satisfaite. Elle relut son poste avant de l’envoyer. Au même moment, elle répondit à son ami par écrit.

— J’ai répondu Léandre, et par pitié, ne m’invente pas une maladie mortel à Garence qui va les éloigner une énième fois…

— Non j’ai trouvé mieux que la maladie mortelle, la malédiction !

Sarah se mordit les lèvres, fixant l’avatar de Léandre, un bellâtre ténébreux au regard de braise, portant une redingote.

— Tu m’énerves Léandre ! Pourquoi tu fais toujours dans le mélodrame !

— Ce n’est pas du mélodrame, c’est Romantique, comme au XIXe siècle.

— Bon sang…Je ne sais pas pourquoi j’insiste à faire des romances avec tes personnages.

— Le charme magnétique de mes créations ?

— Tss…

Sarah attrapa son thermos de thé détox qu’elle avait acheté un jour en surfant sur Instagram. La publicité affichait une belle demoiselle à la taille fine obtenue soit-disant grâce à ce thé miracle. Toutes ces filles parfaites la faisaient rêver. Elle n’était pas vilaine, mais elle ne rentrait pas dans un 36. Elle n’était pas obèse mais elle avait des formes. Sa mère lui disait toujours de faire attention à ce qu’elle mangeait mais parfois la tentation du sucre était trop grande. Surtout après plusieurs mois à l’hôpital. La jeune fille jeta un regard sur sa cicatrice qui serpentait sur son bras. Elle grimaça en la détaillant. Boursouflée, encore rouge, cette marque, témoignage de son accident, la démangeait encore et toujours.

— Hey, tu réponds?

— Attend je gratte ma cicatrice.

— Gratte pas, c’est pas bon. Tss cette idiote de Mélanie…

Sarah esquissa une moue, fixant la fenêtre de conversation, puis sa cicatrice qui dévorait sa chair. Mélanie, c’était sa grande amie. Une grande perche de vingt ans, aussi fine qu’un mannequin sur les réseaux sociaux, qui passait son temps à animer ses journées de challenges en tous genres. Une fois, elle l’avait suivi un peu trop loin, en faisant un nouveau challenge: le «Fire Challenge».

Rejetant la tête en arrière, l’adolescente se remémora ce douloureux moment, comme elle l’avait souvent fait pendant son séjour à l’hôpital. C’était durant l’été, Mélanie l’avait convaincu de se lancer dans la folle idée de se carboniser près de la piscine, avant de plonger dans l’eau. Elle s’était enduite d’huile de friture. Cela les avait fait rire. Sarah ressemblait à un «Tender» de KFC selon son amie. Mélanie avait toujours le mot pour rire, le mot qui dédramatise tout.

« T’en fais pas Sarah! Je te pousserais à temps, tu vas rien sentir!»

Elle l’avait cru, dans sa grande naïveté. A cet instant, elle s’était imaginée comme étant son héroïne principale dans ses jeux de rôles, Adamanthe, sorcière du feu, pouvant résister à un incendie, capable même en créer un. Sarah savait qu’elle n’était pas vraiment elle, mais penser à cela lui donnait le courage de se lancer. Mélanie avait démarré le mode «caméra» sur son portable et avait commencé à filmer. Dans son jolie maillot acheté chez Zara, enduite d’huile, l’adolescente alluma un briquet, approchant doucement la flamme. Sa main avait tremblé, elle avait hésité.

« Allez, fais pas ta poule mouillée! Ou devrais-je dire, ton Tender KFC! Ahahah!»

Elle se souvient que son orgueil fut piqué au vif. Mais un instinct naturel l’empêchait de faire ça. C’était complètement fou, elle pouvait imaginer sa chair grillée, cuire à l’approche de la flamme, d’une odeur d’olive et de cochon. L’idée la débecta pendant un moment, elle recula à nouveau sa main de son corps.

« Tu sais que tous les followers te regardent?! Tu peux le faire!»

Sarah se tendit, elle regarda à nouveau la flamme, puis son corps. Mélanie continuait de filmer, affichant un grand sourire hilare. Un goût de sang lui revint en tête. Elle s’était mordu les lèvres si fort, au moment où elle approcha à nouveau la flamme. Lentement, très lentement, la chaleur cuisante vint à nouveau l’envahir. Fermant les yeux, d’un geste sec elle la colla à sa peau.

C’est à cet instant que l’horreur s’installa dans sa mémoire. Une douleur lancinante grignotait chaque centimètre de son épiderme. L’odeur pestilentielle la rendait malade. Elle ne s’entendait même pas hurler. Tout allait si vite, elle sentait juste une pression dans son dos, qui l’éjecta dans l’eau et la chaleur s’arrêta. Durant une seconde, l’eau gonflait progressivement ses poumons, sa chair léchée par la brûlure la tiraillait malgré la fraîcheur de la piscine. Dans le flou de l’onde, elle était persuadée de voir la tête d’une femme, portant une escarboucle d’un vert intense, la fixant d’un air complètement fou.

— Sarah? Saraaah!

Le bruit de sa messagerie la sortit de sa rêverie. Elle se pinça les lèvres, faisant courir ses doigts sur son clavier à toute vitesse.

— Soit pas si dur, Mélanie m’a sauvé la vie.

— Tu te fous de moi? C’est elle qui t’a poussé à faire ce challenge débile!

Sarah allait répondre, mais elle reçu au même instant, un message de Mélanie. L’avatar de celle-ci était assez déjanté. Il représentait une jeune femme avec les cheveux en pétard et recouverte de tatouages, en train de s’allumer une cigarette roulée. Cela la faisait rire tout comme cela la rendait mal à l’aise. Mélanie c’était la fille qui se donnait un genre, voulait vivre à cent à l’heure, pour se sentir vivante. C’était pour cela qu’elle faisait tous les challenges connus et qu’elle était toujours avide de nouveauté.

— Sarah! Rameute tout le monde, il y a un nouveau challenge!

Son cœur se serra. Au fond, elle avait peur dès qu’elle annonçait un nouveau challenge. Le dernier aurait pu lui être fatale. L’adolescente se trouvait dans un sentiment contradictoire, entre colère et admiration. Mélanie fut la source de sa chute tout comme elle fut celle qui lui avait évité le pire.

— C’est quoi ton nouveau challenge!

— Le Diamant Vert! Il faut se connecter sur Snapchat et appeler le Diamant Vert, il nous donnera une suite de défis à tenir!

Une drôle de sensation envahit Sarah à cet instant. Elle crut se revoir sous l’eau, sentant le fluide s’engouffrer dans sa bouche et friper ses doigts. Son corps se gonflait instantanément du liquide de la vie qui voulait actuellement sa mort. Un regard vert la fixait, d’un air complètement dément. Se débattant comme elle le pouvait, elle cracha à s’en irriter la gorge. L’eau de la piscine devint sombre et la pression sur ses épaules augmenta terriblement. Un frisson glaçant parcourait son échine. Le liquide noirâtre gagna du terrain sur sa respiration. Sa vision devint trouble, elle se sentait chuter progressivement dans les ténèbres…

— Sarah! Qu’est-ce qui t’arrive!

Sa mère affolée venait d’apparaître à ses côtés. Petit à petit, sa vision redevint normale. Son pouls reprit un rythme convenable. Sa chambre lui apparut à nouveau. Hagarde, elle jeta quelques regards autour d’elle.

— Tu as mal ma chérie? Tu as eu un malaise?

— Non, ça va…

— Tu es trop sur l’ordinateur, tu ne te repose pas alors que tu es sortie d’un grave accident…

— Rien à voir, tu mélange tout, maman…

Sa mère, une femme de quarante-six qui avait déjà des cheveux blancs, la fixait de son regard bleu clair, perplexe. Elle jeta ensuite un regard sur son écran, pour froncer les sourcils.

— Tu parles encore à cette folle? Tu tu rend compte que c’est elle qui t’a entraîné dans ses challenges fous dangereux!

— Oui mais, elle croyait que cela ne me ferait pas aussi mal, et elle m’a poussé dans l’eau!

— Le feu, pas aussi mal? Mais enfin réveille toi Sarah!

Sarah serra des poings, au prise dans un dilemme intérieur. Elle savait qu’elle avait raison, mais elle était attachée à Mélanie, elle ne saurait dire pourquoi. C’était cette fille qu’il fallait suivre. Son aura naturelle en faisait une leader, quelqu’un a qui on faisait naturellement confiance. Pourtant ses paroles étaient parfois du poison, mais elle avait toujours le bon geste, le bon mot pour que ses attaques vipérines ne soient plus qu’un lointain souvenir.

— Laisse-moi s’il te plaît…

L’adolescent se ferma totalement, laissant sa mère impuissante et désespérée. Après quelques minutes à fixer sa fille, elle prit la décision de quitter la pièce. Le regard empli de tristesse de sa mère la rendit mal à l’aise. Cela faisait plusieurs jours que le drame touchait énormément ses parents. Ils s’en voulaient de n’avoir rien vu, de n’avoir rien pu faire. En réaction ils lui interdisaient de voir Mélanie, mais Sarah trouvait toujours le moyen de transgresser cette règle.

— Hey je te parle!

— Désolé j’étais avec ma mère.

— Rolalala cette fifille à maman! Bon allez ma belle, on se lance dans ce challenge?

Cette sensation indescriptible, entre le compliment et l’épine qui s’immisçait doucement sous votre peau lui revint à nouveau à l’esprit. Sarah secoua la tête et répondit.

— Je préviens Léandre. C’est quoi le principe?

Sa gorge se serra doucement. Elle craignait le pire avec ce genre de challenge. Déjà, le Momo Challenge avait poussé au suicide une jeune fille au Chili. Mélanie disait que cette personne avait mal gérer ce challenge, que cela aurait pu mieux finir. Elle avait réponse à tout, cette fille.

-— En fait, il faut appeler le numéro du « Diamant Vert» et suivre les consignes que «la Vouivre Verte» va nous donner. Certains racontent qu’il faut aller dans un coin paumé dans la pampa pour trouver un étrange établissement.

— Pour y faire quoi?

— Boire l’absinthe qui rend fou.

Un goût acide glissa dans sa bouche, infectant sa salive. Décidément, elle se sentait mal ce soir. Peut-être était-ce un début de crise de douleur, comme elle en faisait souvent depuis son accident. Mais son bras ne lui faisait pas trop mal, pour une fois.

— Mouai, c’est du Neknomonicon challenge quoi, répondit-elle finalement.

— C’est mieux que ça, tu verras.

Sarah envoya en même temps un message à Léandre.

— Nouveau challenge, Léandre.

— J’ai cru comprendre, Mélanie m’a spammé avec ses conneries.

— Tu en penses quoi?

— Tu n’as pas assez enduré comme ça avec ses challenges à la con?

Sarah se pinça les lèvres.

— Laisse tomber Sarah, ça sert à rien que tu continues à ruiner ta santé…

Soudain, son écran devint bleu. L’adolescente sursauta, n’ayant pas imaginée un seul instant que son ordinateur puisse la lâcher maintenant.

— Mais il est neuf…Bordel!

Sarah pianota sur toutes les touches pour ramener son écran à la normal, mais cela n’eut pour effet que de lancer un bruit strident de la machine. Ses poils se hérissèrent en entendant ce son insupportable. Alors qu’elle s’activait pour relancer son ordinateur, quelque chose d’étrange se produisit. La lumière vacillante de l’écran devint verte. Une boule d’angoisse se logea dans sa poitrine. Cette fois-ci, la jeune demoiselle s’acharnait littéralement sur son clavier.

«Error process, Go back to the Green Diamond…»

— Heeein?! Mais que…

De la neige envahit son ordinateur. La pauvre Sarah jura avoir aperçu, dans l’amas de masse mouvante, le visage d’une femme, qui la fixait terriblement…Elle allait hurler, mais son ordinateur décida de revenir à la normal à ce moment précis.

Tremblante, hagarde, l’adolescente regardait fixement son fond d’écran de personnages de manga, avec son Messenger ouvert. Léandre était en train de la spammer de messages.

— Hey! Saraaaah?! Je te parles!

Hésitant un instant, elle se mit à écrire.

— Il m’est arrivé un truc de fou, Léandre…

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Voici la première partie d’une grande nouvelle que je partage sur mon patreon juste ici

N’hésitez pas si l’histoire vous plaît à me suivre 🙂

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Eden Paragallo
4 années il y a

Salut! Je suis genre … méga supra fan!!! Et habituellement je fuis le "young adult" et autre histoire de ce genre … pas que je n’ai aucun respect, juste que j’écris depuis mes treize ans, que j’en ai vingt- huit et que je suis passée à autre chose.
Ton histoire est pourtant superbe!!! Vraiment chapeau à toi!! J’irai pas voir sur ton patreon (ne m’en veux pas je suis … bizarre) j’attends juste que tu écrives ta partie deux ici!! 😉
Au plaisir!!
Eden.

Eden Paragallo
4 années il y a

Je pourrai aller sur Patreon, pas d’inquiétude!! 😉
Je peux oser une question? Comment arrivez- vous à être écrivain à plein temps? Je veux dire y a bien des moments où c’est la panne? Dans mon cas, je travaille à côté dans un pressing (pas du tout ma vocation en passant) mais il me faut bien un moyen de payer mes factures. Etre au chômage en étant écrivain c’est toujours voire plus compliqué au temps d’Edgar Allan Poe…
Je rêve d’en faire mon métier que j’ai commencé à écrire pour aller mieux dans ma tête mais je vogue de galère en galère. Deux recueils et toujours rien, je suis en pleine écriture d’un roman dont la nouvelle lancée hier est une annexe…
Bref, je ne suis pas contre quelques conseils et j’irai avec plaisir lire votre travail qui mérite qu’on s’y intéresse!! 🙂

Lire

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