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D’ordinaire, je bois mon thé comme un Vietnamien. Assidûment. Et brûlant. Un thé en souvenir de mes Vietnam. De Sarajevo à Srebrenica. En passant par Bisesero au Rwanda. Sous mandat de l’O.N.U. Casque bleu. Le cul entre deux chaises. Après le déluge. Donner le change. S’arranger avec une réalité. Huit cent mille morts en trois mois. Ça fait un peu cher pour conjurer le sort. Je me tiens torse nu face à l’océan, des cicatrices dans le dos. Elles ne me font plus mal. Et je ne les vois pas, je les oublie. Ce qui est très bien. Pourtant, là, le thé est froid, j’ai trop attendu, à songer aux petites choses à faire avant d’entamer la journée de boulot. Pas rasé. La barbe naissante me tient trop chaud en cette saison. Il faudra que je m’en occupe ce soir ou demain. Me levant, je porte le bol de thé au micro-onde, regarde dans l’entrebâillement de la porte ma fille dormir. Un visage auréolé de cheveux blonds, embrouillé au réveil, s’illuminant d’un large sourire quand émergeant des draps. Pour l’instant, Eleanor, immobile, se repose la tête à côté de l’oreiller, enroulée dans la couette, ses mains étendues devant elle pour attraper le temps. L’appareil de ventilation à côté. Enlevé. Elle a dû penser qu’il n’y avait aucun risque, que la respiration prendrait son rythme. J’ai accepté. Fini par accepter. Eleanor dit ce qu’elle ressent. Je me suis mis sur la touche. Car je ne sais pas. Ou si peu. Elle, si.
L’heure presse. L’aube est en route. Et je n’ai pas démarré. Pour éviter les grosses chaleurs du désert, c’est râpé. Ayant salué Idja, tout juste arrivée, restée sur le ponton à fumer une cigarette, je disparais dans la cabine pour préparer mes affaires. Partir, aller-retour Albuquerque. Deux jours. Si tout va bien. Je réfléchis à ne rien oublier lorsque, dans l’encadrement de la porte, je vois la tête d’Eleanor se faufiler. Encore somnolente. S’avançant en titubant pour m’embrasser. Dans mes bras, on se serre. Puis elle va s’assoir à la table de la cuisine, pour le petit déjeuner que je lui ai préparé alors qu’il faisait encore nuit. Avec une tartine, du beurre et tout le nécessaire pour un chocolat. Elle commence à dévorer tout ça. Tremper son pain beurré dans la crème. Noter, au travers du vitrage, en haussant les sourcils, un mouvement perçu d’elle seule. Ses yeux se plissent, laissant un large sourire l’envahir. Lui passant la main dans les cheveux, je suis son regard au travers du hublot latéral. Elle vient d’apercevoir Idja, celle-ci lui disant bonjour à travers la vitre. Je bois le restant de mon thé avec elle et file prendre une bonne douche, m’habiller. Un quart d’heure. Je remonte sur le pont. Prêt à y aller. Idja et Eleanor reviennent de se promener au milieu des bateaux, s’asseyant sur le bois, je les vois repérer les poissons se coulant sous l’embarcadère. Un rapide coup d’œil dans la cabine, pour voir si tout est bien en place, et je les rejoins. Enjambant le bastingage, je vais me caler en bordure du ponton, les jambes ballantes, effleurer la surface de l’eau, le temps d’en griller une, en compagnie d’Idja qui a fini la sienne depuis belle lurette. Eleanor se serre contre moi, me prenant le bras, sa tête contre mon épaule. L’océan est calme, juste le clapotis. Le sloop de course de 43 pieds se laisse bercer. Il ne parait pas son âge. Construit en 1964, j’ai repris dernièrement le lattage en teck d’Asie. Du quinze millimètres d’épaisseur. Bordé d’un pavois en acajou d’une seule longueur de la proue à la poupe. Surplombé du mât alu, double étage. Avec la bôme, ils ont été fabriqués dans le sud de la France. À l’intérieur, on y dort bien. Eleanor s’y plaît. Depuis toujours. Ça pourrait durer. Parce qu’agréable. Mais il est temps de partir.
— Tu sais ce que je t’ai dit, en lui caressant la joue, à demain soir ma fille, me penchant vers elle afin de l’embrasser.
Eleanor m’enserre très fort avant de relâcher son étreinte. Elle a toujours fait ça. Je me plais à croire en une affection éternelle. Et ça me va. Sa main effleure la mienne avant de s’écarter.
— Tu vas à Albuquerque et tu reviens dans deux jours, me lance ma beauté d’un ton affirmé. Et pourquoi ?
— Pour le boulot Eleanor, je te l’ai dit hier soir ?
— Oui papa.
— OK ma belle, et tu sais quoi ?
— Je t’aime, me dit Eleanor en riant.
— C’est ça, Eleanor, je t’aime… En riant, la basculant sur moi dans un joli charivari. On se dit à tout à l’heure, ma fille.
— Dans deux jours…
— Oui c’est bien ce que je dis, à tout à l’heure, souriant à Eleanor.
Me relevant, je remercie Idja de sa présence. Ce à quoi elle répond d’un hochement de tête avec ses grands yeux noirs remplis de douceur. Des étoffes soyeuses, grandes et envoûtantes. À s’y blottir. Détournant le regard, je m’engage sur le quai, non sans m’être retourné plusieurs fois afin de dire au revoir à ma fille d’un geste de la main, jusqu’à ce qu’elle et Idja disparaissent dans la cabine. Au bout du ponton, une Porsche 356 B super 90 de 1961, héritée de mon grand-père, dans laquelle je m’engouffre. J’adore cette putain de voiture, le bruit du moteur, ses courbes, l’exclusivité qu’elle réserve derrière le volant. Posant ma veste sur le cuir patiné du siège passager, je cherche une lettre reçue hier, dans le rangement de la portière. Je la récupère finalement le long du siège où elle a glissé. C’est une lettre du pénitencier, où mon père a fini ses jours. Je n’en ai rien dit à Eleanor. D’ailleurs elle ne sait pas du tout que son grand père a purgé une peine au pénitencier. Simplement qu’il est mort. Ça remonte à un paquet d’années. Je la relie en sautant l’en-tête. J’ai besoin de me mettre en condition, préciser ce que je vais y faire. Pas y aller à blanc. Il me faut revenir avec tout ce qu’il faut. Chargé de tout ce que je dois y prendre afin de ne plus y mettre les pieds.
Dossier : Jonas Manzaneck
N° 2541JKL06D
Monsieur,
Nous vous adressons ce pli afin de porter à votre connaissance les faits suivants.
Vous n’êtes pas sans savoir que des objets ayant appartenu au défunt, votre père, M. Manzaneck J., vous ont été envoyés par voie postale à notre délégation de la Côte Ouest. Nous tenons par notre bureau que vous souhaitez vous y rendre afin de réceptionner ce qui de droit vous revient. Mais nous avons à vous informer d’autres éléments.
Ont été trouvé, le mois dernier, lors des réfections de l’aile Sud du Pénitencier des objets que M. Manzaneck J. aurait pu posséder, cela, en référence à l’emplacement de sa cellule détruite à ce jour.
Malheureusement nous ne pouvons, à la différence de ceux cités précédemment, ni vous garantir avec certitude, pour chacun d’entre eux, leur lien à votre père, ni les entreposer plus d’une semaine. Il s’agit de :
– Un foulard couleur rouge
– Une bague en argent ornée d’une turquoise
– Un couteau dont le manche serait en os.
– Une lettre dans une enveloppe intitulée – pour mon fils – avec une photographie d’un véhicule, une Porsche 356, semblerait-il. Mais sans adresse postale.
Pour essayer de reconnaître la destination de cette lettre, nous avons ouvert cette enveloppe. Il en ressort quelques éléments de la vie courante de M. Manzaneck J., ainsi qu’un nom revenant par deux fois : Ishem Mondija. Il semblerait que le défunt l’ait approché ou du moins ait eu connaissance de son existence.
Nous tenons à vous faire part de sa très partielle lisibilité due à son exposition aux intempéries malgré le fait qu’elle fut contenue dans un sachet en plastique souple.
Pour les raisons invoquées nous vous invitons à nous joindre le plus rapidement ou vous rendre sur place afin d’apporter la preuve que l’ensemble de ces objets vous revient de droit. Nous vous les remettrons alors, si tel est le cas. Pour les mêmes raisons, vous avez sept jours à compter de la réception de ce courrier avant que ces derniers soient détruits ou vendus aux enchères. Les bénéfices dans ce cas seront reversés à l’association des détenus du pénitencier.
Veuillez recevoir, Monsieur, l’expression de mes salutations distinguées.
Suit le nom du directeur avec sa signature et le cachet du Pénitencier d’Albuquerque.
Le courrier reçu du pénitencier m’oblige à me plonger en ce temps-là. Non que la mémoire n’ait de place, mais les souvenirs ce matin ressurgissent massivement et se bousculent. Je n’ai jamais eu à faire avec ses geôliers. Je me noie un court instant dans une sorte de trop plein, tenant à récupérer ce qui a appartenu à mon père. C’est important d’y aller. Et pourtant, mettre les pieds dans ce pénitencier m’est insupportable.