Banshee

5 mins

Allongée sur mon lit, je feuillette l’album photo que ma laissé ma Grand-Mère. 

C’est étrange de se dire que cette femme que j’ai tant admiré, qui m’a tant apprit, avec qui j’ai tant de souvenir, se trouve aujourd’hui enterrée dans un cimetière à l’autre bout du pays. 

A travers le photos, les petites notes et tout ce qu’elle m’a légué,j’essaie de retracer sa vie, qui me semble soudain bien loin de ces petites images noires et blanches. Sa vie avait l’air si colorée ! Si riche en émotions !

Mon regard tombe alors sur un photo ressemblant fortement à celle d’un mariage sur laquelle ma grand mère… embrasse mon petit-ami. 

Je fronce les sourcils. 

Ce n’est peut-être pas lui, mais un membre de sa famille, même si ce serait déroutant… 

Par réflexe, je cherchait une photo de nous deux dans mon téléphone pour finir par trouver une semblable… 

Troublée, je lâche mon portable et m’étale sur mon lit, passant une main tremblante sur mon front. 

Bon sang, mais qu’est-ce qui se passe exactement ?

A cet instant, le principal objet de ma préoccupation entre dans la pièce, le visage sombre. 

– Qu’est-ce que tu fais allongée ? Tu es malade ? 

– Nion…

Il s’assoit à côté de moi et me caresse les cheveux. 

Je sens qu’il veut parler, mais qu’il n’ose pas. 

Est-ce qu’il va me parler de la photo ? 

Non, bien sûr, il ne l’a pas encore vue…

Mais alors quoi ? 

Peut-être qu’il ne m’aime plus ?

C’est pour ça qu’il avait l’air aussi sérieux…

– Si tu n’est pas malade, qu’est-ce qui ne va pas ? 

– Rien, je soupire.

Rien ne va bien, je pense. 

Sa main cesse ses caresse et se crispe un peu sur mes cheveux. 

– Je ne te crois pas. 

Je ferme les yeux, sans savoir quoi répondre. Si je mens, il le devinera, mais si je lui explique il pensera à une blague, ou pire… il m’enverra voire une psychologue. 

Alors, sans un mot, le visage toujours enfoui sous la couette, je lui tends la photo. 

Il la prends sans rien dire. 

Je n’essaie même pas d’imaginer à quoi il pense, s’il me regarde ou s’il observe la photo…

– Pourquoi tu me donnes ça ? 

Bon sang… comment lui expliquer… ?

– Tu ressemble au monsieur à côté de ma grand-mère, je marmonne.

– Ah bon, tu trouves ? C’est ça qui te perturbe autant ? 

Dans sa voix, je sens qu’il ne se moque pas de moi, mais, au contraire, qu’il essaie de me comprendre. 

Je suis à la fois soulagée, et perturbée de l’avoir aussi mal jugé. 

Sa main reprends se caresses dans mes cheveux. 

– Oui… Tu lui ressemble beaucoup… Je trouve… 

Je ne le vois pas, mais je sais qu’il sourit. 

– Mais, enfin, si j’était la même personne que sur la photo, j’aurais actuellement… hum… quatre-vingt-ans ?

– Je sais… je marmonne, mais vous pourriez être de la même famille ! Ou… je m’arrête. Je vais éviter les théories fumeuses et fantastiques. 

– Ou ? Vas-y, dis-moi ce que ton esprit d’écrivaine te souffle. 

– Ou… Tu serais une sorte de vampire-fantôme ou je ne sais quoi. 

Étrangement, il ne rit pas, mais se blottit contre moi.

– Je ne suis pas un vampire. Sinon, je n’apparaîtrais pas sur la photo. Je ne suis pas un fantôme non plus, sinon, je n’éprouverait pas de sentiments pour toi. 

Je fronce les sourcils et me tourne vers lui. Il a le regard vague, perdu dans le plafond. Ses cheveux bruns sombres contrastent avec sa peau pâle. Il a les yeux a demi fermés et je devine ses mains tremblantes. 

– Je suis… Je suis… Une banshee. 

Je cligne bêtement des yeux. 

Premièrement, il pourrait se moquer de moi en inventant n’importe quoi, puisque les créatures fantastiques n’existent pas. 

D’autre part, sa réponse ne tient pas debout, car dans le folklore, les banshee sont des créatures féminines.

Mais, d’un côté… j’ai presque besoin d’y croire, pour avoir une explication à tout ce bazar. 

Mais ce serait si effrayant ! 

Sortir avec un membre de sa famille… Ou même juste avec l’ex de sa grand-mère… Non, franchement, ça ne fait pas rêver ! 

Mais ça expliquerait ces photos si ressemblantes ! Si… Semblables… 

– Je ne voulais pas te le dire. Je pensait que ce serait inutile. Mais… ajoute-t-il en ouvrant les yeux et en les levant vers moi, il semblerait que tu ai l’esprit plus romancé, plus fantastique, que ta grand mère… 

Plus romancé et plus fantastique que ma grand mère ? 

Qu’est-ce que ça veut dire ?  

J’espère mal comprendre… 

Sa main se lève pour me caresser les cheveux. 

– Je suis une banshee. Je peux communiquer avec les morts, tuer sans bouger, prédire l’avenir funeste… Je peux vivre aussi longtemps que je le souhaite. Ma vie ne s’arrête que si j’en ai envie. 

Si le début de sa phrase correspond bien au peu que je connaisse des banshee, Dames Blanches et autres créatures du folklore irlandais… La suite m’étonne un peu. Mourir que s’il en a envie ? Cela veut dire qu’il est immortel sauf s’il se suicide ? Je n’ai pas envie de creuser la question. 

– Nous, les banshee, avons une particularité. Nous pouvons avoir le visage de l’âge que nous souhaitons, nous cessons de ‘vieillir’ a vingt ans…

Génial, et moi, bientôt, j’en serait aux anti-rides…

Il me tire un peu plus contre lui et enfoui son visage dans mes cheveux. J’ai l’impression qu’il a peur que je m’en ailles, et qu’il tente de me retenir comme il peut. 

– Lorsque nous atteignons mille ans de vie, il est vital pour nous de choir une compagne ou un compagnon… Dans le cas contraire, nous mourrons, tout simplement. Dès lors, nous sommes lié à cette personne à vie. C’est-à-dire que lorsque je me suis séparé de l’une de tes ancêtres, j’étais lié à sa famille. C’est ainsi que j’ai rencontré ta grand-mère, puis toi… 

Je relevait alors brusquement la tête, le poussant comme je pouvais. 

– Mais c’est de l’inceste ! je proteste. 

Il secoue la tête, le visage triste. 

– Non. Je n’ai jamais eu d’enfant avec ta grand-mère. De plus, si nous sommes la première relation de notre compagne, nous savons que c’est voué à l’echec. Nous le vivons qu’avec les descendants dont nous ne partageons pas le même patrimoine génétique. De toute façon, je n’ai eu qu’un seul enfant, depuis mes mille ans, et cela fait bien des siècles qu’il est mort, sans descendance. 

– Alors… 

– Alors comme tu as déjà deux enfants, notre relation a toutes ses chances. Et non, je n’ai aucun lien de parenté avec toi. Je suis juste… Très vieux.

Malgré tout, je sens une hésitation dans sa voix. Du regard, je tente de l’encourager à parler. 

– Je veux que tu me croies, me murmure-t-il finalement, je ne veux pas que tu me détestes maintenant que tu as compris la réalité. Ces photos, car j’ai bien vu celle sur ton téléphone, j’en fais des similaires à chaque fois… Un peu comme un rituel. Prends-moi pour un fou si tu veux… Mais ce sont des souvenirs comme d’autres… 

Je hoche doucement la tête et ferme les yeux. 

Bip. Bip. Biiiiiiiiiiiip.

Je me réveille en sursaut. 

D’un regard, je devine qu’il est au moins midi. D’un autre, je repère le réveil maudit et l’éteint avec lassitude. 

Dehors, le soleil est autre et j’entends les jumeaux jouer dehors. 

J’en connais un qui a dû se les coltiner toute la matinée. 

La porte s’ouvre et mon petit ami entre. 

En le voyant, lui et sa peau laiteuse, ses doux cheveux sombres et ses yeux chaleureux, un flot de souvenirs me revient en mémoire. 

Hier… 

Il se penche vers moi et m’embrasse sur le front. 

… J’ai revu les photos de grand-mère…

– Comment tu vas ?

… Et il était sur l’une d’elles…

– Je vais bien…

… S’en était suivit une discussion des plus insolites…

– Tant mieux, les enfants ont prévu de nous faire passer une soirée d’enfer !

… Et il m’avait avoué être une banshee…

– Hein ?

– On est le 31 octobre…

Je ferme doucement et me laisse tomber dans mes oreiller. 

Evidemment, ce n’est qu’un rêve… Si les enfants ne m’avaient pas parlé de Halloween toute la semaine… 

Une main froide se pose sur mon front. 

– Tu dois encore être épuisée. Tu n’aurais pas dû rester autant de temps à l’enterrement, tu as dû attraper le grippe. 

– Je vais bien. 

Il roule des yeux. 

– Je vais quand même de donner des vitamines, comme pour les petits. 

Il se lève, et, comme mue par un réflexe, je me rue vers l’album phot et mon téléphone. 

Les photos sont là… 

Sauf que sur celle de ma grand-mère… Elle y figure seule. 

Je souffle. 

Qu’est-ce qui s’est vraiment passé ? 

Bah, dans tous les cas, c’est mon compagnon. 

Et je suis sa compagne.

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