Encore un de ces matins compliqués où je ne me souviens plus ce que j’ai fait la veille. Étrangement je me sens en pleine forme, et le fait qu’il fasse encore noir me fait penser qu’il doit encore être très tôt.
Voyons, voir, mes souvenirs remontent à… J’étais dans mon jardin, j’arrosais les légumes de mon potager je crois. Je me souviens de Basile, mon chien, un magnifique labrador au poil noir luisant, qui gambadait un peu plus loin. En me voyant sortir dans le jardin et prendre le tuyaux d’arrosage, il était venu en courant vers moi et voulait me montrer son affection ! De justesse j’avais réussi à esquiver sa langue pleine de bave qui tentait de lécher mon visage.
“Hey calmos mon gros, moi aussi je t’aime, mais tu sais que j’ai horreur de la bave partout !”
Puis j’étais partie en direction du potager, et… Oui, j’avais arrosé Basile, il aime beaucoup jouer avec l’eau, un doux moment !
Mais… ensuite, c’est flou. Quelque chose me trouble. Comme si tout s’était arrêté ensuite.
Au loin j’entends une porte s’ouvrir, suivi du claquement retentissant de chaussures à talons sur un carrelage, qui semblent se rapprocher. Une nouvelle porte grinçante s’ouvre, celle-ci avec un son plus métallique.
La voix d’une femme au ton clair et sec me parvient, semi-étouffée: “Numéro 349, on l’a retrouvée hier chez elle vers 13h12, c’est sa femme qui l’a trouvée.”
Bruit d’une page qui se tourne.
– “Mathilde Pruston, 43 ans, à priori c’est une crise cardiaque”, continue la voix.
– “Ohlala, c’est si jeune… Bon, je te l’embarque pour l’examen légiste”, réponds une autre voix, un ton plus grave, mais semblant également féminin.
Sur ces mots, ma vision passa d’un noir total à une luminosité aveuglante, accompagné d’un nouveau grincement de porte.
Je commence à comprendre… Je ne suis pas morte, j’ai fait un malaise cardiaque et je suis là parce que Peï m’a amenée a l’hôpital. Tout va bien du coup ! Attends… pourquoi elle a dit examen légiste ?!
Je me mets à crier “Hey mais je ne suis pas morte !”, je gigote dans tous les sens pour bouger, faire bouger ce draps qui couvre mon visage, et… je passe au travers..?
Une scène lunaire s’offre alors à moi. Je fais face à une rangée de petits placards en métal. Sous mes pieds, un brancard, avec un drap par dessus ce qui semble être un corps. Près de ce brancard, deux femmes, l’une plutôt jeune aux cheveux blonds attachés en chignon portant des petites lunettes rectangulaires et un exquis rouge à lèvres, l’autre un peu plus âgée, en cheveux long détachés tenant dans ses mains un calepin en bois. Les deux portant de longues blouses blanches. Mon regard fais le tour de la pièce. Dans un blanc immaculé, d’une propreté sans égal, se dessinent plusieurs tables en métal, sur le côté divers brancards et appareils médicaux. La lumière blanche, d’une teinte bleutée rends l’ambiance de cette salle d’autant plus froide. Cette vision me fait frémir.
La femme aux cheveux blond signe un des feuillets du calepin que tiens l’autre.
– “Merci, allez je t’en débarrasse, j’ai croisé Pierre du service d’urgence tout à l’heure qui est parti en courant car il y a eu un carambolage sur l’A3, à la sortie de la ville… Tu vas avoir besoin de place !”, dit-elle en lâchant un rire comme pour dédramatiser la situation.
– “Et merde… encore une journée qui promet d’être enjouée ! Bon courage Mel !”
– “Merci, à toi aussi ! On se voit à la pause de midi.”
Sur ces mots, Mel prends le brancard sous mes pieds et sors de la pièce. Aucune des deux n’a réagit à ma présence, comme si je n’étais pas là. Je ne sais pas quoi faire, mais un sentiment d’urgence me pousse à suivre Mel dans les couloir labyrinthique de cet hôpital lugubre.
Après 1 ascenseur et plusieurs virages, nous nous retrouvons dans une pièce à peine plus grande que la précédente. Mel place le brancard le long d’une table métallique puis entreprends de déplacer le corps — mon corps ? — sur la table en question.
“Et voilà Docteur, numéro 349, Mathilde Pruston. Crise cardiaque”, dit Mel d’un ton monotone, à la fois tellement habituée et lassée de cette situation.
Le médecin légiste, un homme un peu grand, barbe mal taillée, portant une charlotte sur la tête pour protéger ses patient-es des quelques cheveux restant qui allaient inévitablement finir par leur tomber dessus, s’approche de la table et retire le draps recouvrant mon corps.
C’est là que j’ai vraiment compris. Vraiment réalisé. Quand je me suis vue moi même, face à mon corps. Le regards vide, le teint blême, le visage sans expressions. C’est là que j’ai compris que j’étais morte.
C’est aussi à ce moment que j’ai compris que tout ce que j’avais caché toute ma vie se retrouvait à nouveau révélé à un nouvel homme cis inconnu.
La stupeur sur son visage, une grimace entre dégoût et fascination, si je n’étais pas sa première femme trans allongée sur sa table d’examination, il ne devait pas en avoir vues beaucoup d’autres.
C’était donc ça la mort ? Subir une nouvelle fois leurs jugements inéduqués ? Mais cette fois sans pouvoir me défendre ?
“Quelque chose ne va pas docteur ?”, dit Mel d’un air détachée, me coupant dans mes pensées.
L’autre bafouillait tant il ne savait pas quoi dire. Mel lui expliquait que les corps trans étaient légions, et que s’il n’était pas capable de les traiter avec respect et dignité, elle irait en parler à leurs supérieurs.
– “Et puis c’est pas parce que t’as fait 9 ans d’études que t’es pas un gros con dégueulasse !!”, avait elle lâchée à la suite de sa tirade.
Finalement… C’était plutôt comique.