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Bonjour à tous, je suis tout nouveau et je découvre à peine le principe, j’espère ne pas me tromper en procédant comme je suis en train de le faire. 

Je souhaite vous soumettre l’entame de ma dernière tentative de roman en date, très bref, 30 000 mots. On m’a dit que c’était davantage un long poème en prose qu’un roman court. Je n’en sais rien. Justement, je suis curieux d’avoir des avis. 

Ce texte est difficile à catégoriser. C’est une tragédie romantique mêlée de science-fiction, sous forme d’anticipation à la fois très légère et abyssale, avec pour grande préoccupation le fait de restituer la réalité telle qu’elle se serait montrée “en vrai”. Disons, du réalisme psychologique romantique de science fiction lol. Avec une dimension philosophique importante. 

Merci d’avance pour votre attention !

Prologue : Rendez-vous manqué avec la mort

Tous les matins du monde se ressemblent autant qu’ils se succèdent, depuis qu’il y a des matins et un monde pour les soutenir. 

J’en sais quelque chose moi qui les fuis tous, chacun leur tour, les uns après les autres, méthodiquement, résolument. 

On dit que c’est nous qui tournons autour du soleil mais c’est faux, je le vois bien me cerner et me narguer. Il brille autant que j’endure l’obscurité, il voyage dans le ciel autant que je dépéris dans mon marigot. 

Tous les matins du monde se ressemblent et celui-là, c’est celui de trop. 

Il s’est échappé avant que je n’ouvre les yeux mais il a laissé, en partant, la certitude d’être le dernier et j’ai recueilli son message alors que les ombres s’allongeaient déjà, en ce printemps resté à l’heure d’hiver pour la première fois depuis des décennies, annonçant la nuit. 

Comme elle est belle, la nuit. Celle-là aussi sera la dernière. 

Cela fait si longtemps que je songe à mourir et que je prépare l’échéance. Enfant déjà il m’arrivait régulièrement d’espérer ne jamais voir le prochain matin. Pourquoi ? Je peine à le dire. Je sais très bien pourquoi je veux mourir aujourd’hui, mais je ne suis pas bien sûr de ce qui en provoquait le désir à sa genèse, durant l’âge tendre. 

J’avais une mère en grande souffrance psychologique voire psychiatrique, un père absent, mais ça ne suffit pas, d’autant moins que je me croyais fort alors, j’étais persuadé de triompher de ma détresse quand viendrait l’heure de bâtir un royaume. 

Je ne savais pas que je ne bâtirais rien du tout et que je m’avererais toujours plus faible, vulnérable, dépouillé, livré à une pénible errance entre paradis illusoires et enfers dévorants. 

Je souffrais déjà, je crois, du monde, qui est aujourd’hui mon tombeau. Je souffrais de l’injustice hurlante partout où mes yeux d’enfant se posaient, partout où il m’était donné d’observer mes semblables, les plus proches et les plus éloignés, je voyais l’injustice à l’œuvre, de la plus dérisoire à la plus cruelle. 

Oui, en y pensant, c’est moins ma vie que je voulais fuir, que ce monde dans lequel j’avais été propulsé. 

Toujours est-il que j’ai alors forgé, à cette époque, une prière devenue rituelle, perpétrée à travers les années et les âges de mon existence, la requête adressée à Dieu de bien vouloir récupérer son dû pendant la nuit. Doucement, gentiment, sans la moindre douleur, sans la moindre gêne, que la volupté d’une caresse enveloppante, linceul tissé de brume légère pour toute nudité et toute parure. 

Je n’étais pas encore fixé sur Dieu dans mes jeunes années, j’avais bien identifié le mystère, n’adhérant à aucune des explications auxquelles j’avais accès mais dans l’incapacité intellectuelle, alors, de mener mes propres investigations. La question de l’existence ou de la non existence de Dieu me paraissait déjà vide de sens. Il y avait forcément quelque chose, mais quoi ?

Aujourd’hui j’ai forgé des réponses précises sur la nature de Dieu, au gré de mes pérégrinations existentielles, et ce n’est certainement pas la raison pour laquelle j’écris ces lignes qui me fera changer d’avis.

Ce matin-là, c’était celui de trop et j’avais longuement mûri le scénario. Après avoir longtemps cherché un moyen de mettre fin à mes jours, j’ai fini par élaborer la méthode idéale. 

Car le problème du comment mourir est bien plus important qu’il n’y paraît. 

Me jeter du haut d’une falaise ? D’abord c’est extrêmement difficile et aussi pressé que je puisse être de rendre l’âme, il me semble impossible que mes jambes s’exécutent et me propulsent dans le vide. Et puis, c’est dégueulasse, le rosbeef, une fois arrivé à terre, pour les gens qui tombent dessus et les professionnels qui s’en occupent. 

Une overdose de médicaments ? Aussi bien pensée puisse être l’ordonnance, les risques sont bien trop grands de se rater, de tout dégueuler ou pire, une partie seulement, laissant l’autre provoquer des séquelles épouvantables et irréversibles. Cauchemar absolu. 

Me pendre ? Non de Dieu mais comment font-ils pour se pendre ? Comment ne pas craindre la douleur atroce, tout aussi brève soit-elle, et encore, qui sait ? Comment s’affranchir de l’image que l’on laisse, la langue expulsée, l’écume abondante arrachée à la gorge fracassée et même, paraît-il, une érection, dans de telles circonstances, obscène.

Un flingue ? Il faut le trouver d’abord ! Appuyer, je ne sais pas si c’est plus facile que sauter mais surtout, la cervelle qui gicle, on l’aura compris, c’est pas trop mon truc. 

Non, ça se passera dans une voiture. 

Je n’en ai pas, mais je viens d’en louer une. 

Il me suffit d’acheter quelques mètres de tuyau d’arrosage et un gros rouleau de scotch. Je n’ai qu’à me servir dans ma propre trousse de médicaments, une boîte de somnifères que je garde soigneusement à cet effet, que me prescrit tout simplement mon médecin. Je n’aurai qu’à me rendre dans un endroit isolé, en plein milieu de la nuit, me garer et fixer une extrémité du tuyau au pot d’échappement, l’autre donnant sur l’intérieur de l’habitacle, en colmatant l’espace de la vitre ouverte avec du ruban adhésif, pour éviter les fuites et obtenir le résultat au plus vite. 

J’avale la boîte de pastilles pour dormir, un hypnotique, avec un anti-vomitif en vente libre. Au bout de cinq minutes je démarre la voiture. Je ne devrais pas avoir à respirer longtemps les gaz d’échappement, ils me finiront peu après le coma dans lequel j’espère très prestement plonger. 

Tout était prêt. 

C’était le dernier matin. 

Il s’avéra le premier. 

Plus rien ne m’attache à ce monde.

J’ai eu des rêves, oui. Je suis ce qu’il convient d’appeler un raté. Un vrai raté a un petit peu de talent tout comme la vraie tragédie contient sa teneur en lumière. Pour que l’échec soit retentissant il faut que la tentative ait pu paraître crédible. 

Et puis, surtout, j’ai connu l’amour. J’ai aimé une femme follement, démesurément, absolument et ce fut, sans surprise, une tragédie, comme tout ce que j’ai toujours touché, ma vie entière. Celle-là est sublime autant que cruelle.

Mais l’événement qui se produit à présent est si vertigineux, la déflagration si puissante, que ma propre vie disparaît tout à fait derrière l’impératif de me rendre témoin de cet incroyable spectacle, la chose la plus folle qui, non seulement soit arrivée à notre espèce humaine, mais à cette planète toute entière, depuis qu’elle a émergé du chaos. 

On parle de réalité qui dépasse la fiction, en l’espèce on ne peut pas mieux dire. La fiction avait annoncé avec insistance un tel événement mais seuls quelques hurluberlus croyaient que cela puisse vraiment se produire un jour. 

Pour ma part, j’étais tellement persuadé que c’était plausible que je l’avais consigné par écrit, parmi un fatras extraordinaire dont pas une page n’a jamais été publiée. 

Je voulais être auteur, écrivain, poète. 

Cela fait de moi une sorte de prophète. 

Anonyme, inconnu, impuissant, démuni, amer et frustré, mais un prophète quand même et rencontrant enfin quelque destin dont j’avais perdu tout espoir.

A présent, ça m’est totalement égal. 

Je n’aurais jamais pu inventer ce qui suit de toute façon. 

Chapitre I : l’apparition 

Ce lundi 16 mai 2022 à 19h17 pile, tous les écrans du monde, sans une seule exception sur la planète, avec ou sans connexion et même ceux qui étaient éteints se sont allumés au même instant, ont affiché la même image, celle d’une femme assise à une table, face caméra, dans un décor de plateau télé de style chaîne info, sans aucun signe rattaché à aucune langue ni aucune culture en particulier. 

Le monde est frappé de sidération en quelques secondes, le temps de réaliser, pour ceux qui étaient sur des terminaux, ce qui venait de se produire. En quelques minutes la traînée de poudre avait gagné toutes les strates de la civilisation humaine et avant même que cette femme n’ouvre la bouche, elle avait déjà changé la face du monde pour toujours. 

Car si personne n’a la moindre idée de ce qui est en train de se passer dans les premiers instants de cette irruption universelle, chacun sait qu’il s’agit de quelque chose nécessairement incroyable, défiant toute raison, hors de toute expectative possible. Les premières pensées vont à des hackers, institutionnels sans doute pour être capables d’un tel prodige technologique. Que veulent-ils ? On craint immédiatement une menace. Nombreux sont ceux qui y voient instantanément une société secrète, franc-maçonne, sioniste, américaine, industrielle, qui est en train d’achever son ouvrage. 

Une première vague de suicides est déclenchée partout sur terre dès les premiers instants, alors que cette personne à l’écran n’a toujours pas prononcé un mot. Parlera-t-elle seulement à un moment ? 

En attendant, l’espèce humaine suspend son vol et son pouls avec. L’onde et l’état de choc sont d’une puissance inouïe, inimaginable, ce n’est pourtant que le prélude. 

Le monde est suspendu au dessus d’un abyssal précipice, prodige accompli par une femme silencieuse et immobile pendant douze interminables minutes. 

Il fallait voir leur tête, sur les plateaux et dans les rédactions des chaînes info. Il fallait voir leur tête à tous.

Des gens s’attroupent rapidement partout sur terre dans les rues, certains prient ou psalmodient, on en voit à genoux d’autres sont surexcités qui bondissent de trottoir en trottoir, dépenser leur exaltation. D’autres sont recueillis.  

Quand ça arrive, je suis sur mon ordinateur, je lis un article sur la seconde guerre mondiale, où l’auteur expliquait que c’étaient les russes qui avaient vaincu les allemands, pas les américains, pas la coalition américano-britannique. 

A la demi-seconde où cette femme est apparue à l’écran, j’ai su que ma vie serait bouleversée et celle de chacun. 

Et puis j’ai tourné la tête vers mon téléphone, ma télé et là j’ai compris. 

Ça ne pouvait être que ça.

Pas comme je l’avais imaginé et écrit, pas tout à fait, mais c’était en train de se produire, nous avions de la visite. 

Et puis elle ouvre enfin la bouche.

“Peuple humain, nous avons pris la décision de nous adresser à vous aujourd’hui.”

Ces mots sont prononcés dans autant de langues qu’il en est au monde, vivantes et même parfois mortes, en fonction de qui les recevait sur chaque écran. 

Mais cela, il est difficile de s’en rendre compte parce que depuis l’apparition, toute télécommunication est impossible. Mêmes les services des Etats les plus puissants sont totalement incapables d’afficher quoi que ce soit d’autre que cette femme sur leurs écrans, inutile de songer à utiliser le moindre téléphone, satellitaire ou pas, ça n’y change rigoureusement rien. 

Il n’y a personne au bout du fil.

Il n’y a plus que cette femme dont les premières paroles indiquent qu’elle est le visage d’une civilisation totalement étangère, non seulement à la nôtre, mais à tout ce que l’on était en mesure d’imaginer. 

“Je suis une représentation artificielle, adaptée à votre morphologie, conçue pour vous être familière. Je n’existe, en tant que telle, que sous vos yeux actuellement et je ne ressemble en rien à mes concepteurs. Ces derniers ont quitté tout aspect biologique originel depuis de très nombreuses générations. Je serai le visage de cette espèce pendant toute la durée du message.”

Elle marque une pause.

A la sidération succède la stupéfaction. Il est en train de se produire ce qui pouvait advenir de plus fou, les barrières infranchissables explosent soudainement, atomisées par une réalité démente. Il y a eu tant de fantasmes. Ça se passe ici et maintenant.

L’effet de foule n’a qu’à peine lieu à ce stade. Les gens ne peuvent communiquer que s’ils sont en présence physique les uns des autres, cela limite à sa portion congrue la réaction collective. 

Les rues continuent de se remplir progressivement cependant. 

Il règne un mélange de silence profond, d’éclats hallucinés et de chorégraphie. Oui, nombreux sont les danseurs qui tournoient au milieu des visages hagards parfois, habités ici, anxieux là. 

Chacun son téléphone à la main. 

Les échanges ne sont pas verbaux, nulle part. Les gens se contentent de croiser leurs regards. C’est beaucoup trop tôt, personne n’est en mesure de formuler quoi que ce soit. “Bonjour madame, je voudrais une tradition s’il vous plaît. Vous avez vu dis-donc il y a des extraterrestres qui nous parlent !”

Non. 

Les mots viendront plus tard.

Les états-majors et autres organes institutionnels de tous pays sont déjà livrés à la panique la plus complète. Tous voient leur souveraineté ou leur pouvoir de nuisance désintégrés en quelques secondes. Même l’armée la plus puissante n’a plus que l’aura d’un club de majorettes. 

Moi, je n’ai personne à qui parler sous la main et de toute façon je n’ai rien à dire. Je savoure l’instant et je songe que je voulais mourir quelques minutes plus tôt et quelques minutes plus tard il n’en est plus question une seconde. 

Car je veux, je dois savoir, connaître, comprendre, observer, analyser, quel spectacle extraordinaire soudainement, ce monde que je vomissais est devenu en quelques secondes le théâtre le plus captivant de mes rêves les plus fous.

Elle poursuit : 

“Nous avons répertorié votre planète il y a, pour vous, trois millions sept cent vingt quatre mille trois cent soixante douzes années exactement. Nous avons eu tout loisir d’observer votre émergence et votre cheminement sans, jusqu’ici, intervenir d’une quelconque façon. 

Vous êtes à un stade de développement qui, à notre échelle, correspond presque, sur la vôtre, à celui d’une bactérie. Cependant, vous avez atteint l’état critique qui requiert cette intervention, dont nous avons détecté la probabilité il y a quelques centaines d’années à votre échelle. 

Je parle de votre échelle parce que, nous concernant, le temps et l’espace que vous connaissez n’existent plus depuis très longtemps. Ou plus exactement, ils existent bel et bien, mais nous nous en sommes affranchis lors de notre propre évolution. Nous approchons de la désintégration. C’est ce qui attend toute espèce qui aurait évolué jusqu’à nous. Les autres se contentent de la mort. 

Nous sommes l’intelligence et la connaissance la plus développée de ce que vous appelez l’Univers mais qu’il faut appeler Cosmos : l’ensemble de ce qui est observable, observé ou non. 

Nous puisons des origines biologiques dans des points disséminés parmi nos deux mille cent vingt huit milliards de galaxies, nous nous rencontrons tous nécessairement en atteignant un certain stade d’exploration et de compréhension de l’énergie dont vous êtes encore bien loin, caressant à peine certaines modestes perspectives.

Il faut bien comprendre, terrien, qu’explorer le Cosmos en allant sur Mars c’est comme si tu entendais explorer un chemin vers les Indes en visitant ton écurie depuis le poulailler. 

C’est plus que ça, c’est, sautant d’un grain de sable vers son voisin dans le désert du Sahara, déclarer “Comme le monde est vaste !”

Vous êtes à l’âge de pierre technologique.

Vos histoires de soucoupe volante révèlent toute votre puérilité. Une civilisation capable de vous détecter est une civilisation qui n’a aucun besoin de vecteur physique tel que vous les concevez. 

Au rythme auquel vous répertoriez les “exoplanètes”, il faudrait des milliards d’années pour toutes les connaître. Bon courage avec vos télescopes et vos satellites ! 

L’exploration du Cosmos impose de s’affranchir des quatre dimensions qui vous enferment encore à double tour.

Il faut une technologie basée sur des propriétés de l’énergie, que vous appelez souvent “matière”, dont vous ignorez encore presque toute la nature.” 

Dieu sait pourquoi, c’est à ce moment précis que je pense à Jeanne. Je pense à elle pour la première fois depuis un petit moment. Je n’ai réussi que depuis peu à la déloger de mon esprit, enfin, à mettre un terme à son hégémonie sur mes pensées, qui a duré des années après notre infiniment douloureuse rupture, pour moi en tout cas. 

Je l’ai aimée démesurément. Je l’ai aimée à en rendre Tristan ou Roméo des amoureux de bac à sable. Je l’ai aimée d’un amour cosmique bien plus que romantique parce qu’aucune fiction consacrée au premier sujet du monde ne m’avait jamais montré un homme aussi épris de sa belle que je ne l’étais d’elle. 

Elle m’aimait aussi.   

Elle avait les cheveux sang, or, nuit et flammes. Ils ondulaient, vifs, libres et fiers, enroulés sur eux-mêmes, flore sauvage caressée par le vent. Je vois son visage comme s’il était en face de moi et je pleure encore de ne plus le saisir de mes mains, ne plus plonger mon abîme dans son regard sorcier, ne plus poser sur ses lèvres les miennes. 

C’est aussi pour lui échapper que je voulais mourir, même si c’était déjà le cas avant de la rencontrer et pendant aussi d’ailleurs, à son grand désarroi. Même alors que nous nous aimions je songeais à me supprimer parce que je souffrais autant que je jouissais d’amour. Je souffrais beaucoup plus d’ailleurs, que je ne jouissais. Et c’est pour ça que j’ai cherché à la fuir en mettant un terme à notre liaison.

Nous nous sommes rencontrés à l’époque où j’avais encore quelque espoir de devenir “quelqu’un” en littérature, au début de la trentaine. Je m’étais convaincu que je n’avais pas moins de talent qu’un autre et que ce qui me ferait publier serait l’appartenance à un réseau, un cercle peut-être, en tout cas la rencontre avec un maximum de monde dans le milieu. Aussi je courais les sauteries de toute nature tant qu’elles recèlaient des gens du métier, auteurs, éditeurs, lecteurs éclairés, influents. J’avalais des montagnes de petits fours et autant de champagne, serrais des kilomètres de mains, embrassais des légions d’inconnus en vain. 

Mais j’ai rencontré Jeanne. 

On ne peut pas dire que ce fut le coup de foudre, et pourtant. Il s’est passé quelque chose d’emblée. Elle était encore plus paumée que moi dans cette petite foule qui virevoltait, elle était debout, immobile dans un coin, je me suis approché, elle était charmante mais je pensais à mon objectif et n’entrais en contact avec elle que pour connaître son intérêt pour lancer ma carrière. 

Je n’ai jamais été un dragueur bien que j’aie séduit beaucoup de femmes, jamais en révélant initialement mon esprit de conquête, aussi ne l’aurais-je pas abordée dans une optique galante. Mais cela me donnait un certain enthousiasme et on n’a parlé que quelques minutes, assez pour installer une connexion évidente. Je n’étais pas certain de lui plaire et réciproquement d’ailleurs, mais nous nous plaisions. 

En revanche elle ne représentait aucune opportunité particulière, étant juste une amatrice curieuse et déçue de la soirée qui s’essayait elle-même à la poésie au loisir. Je la lus plus tard et aimai beaucoup sa trop rare production, trempée d’un style très déterminé. Semblable à sa personnalité, forte, complexe voire mystérieuse.

L’un de ses poèmes me revient à l’instant, je ne sais pas pourquoi celui-là, il n’a rien à voir, alors que mon esprit est plongé dans la divagation hypnotique en réaction au vertige de la situation, puisque la sidération n’existe pas dans mon cerveau qui jamais, jamais, jamais ne s’éteint, pas davantage en sommeil qu’en éveil. L’état de choc consiste dans mon cas à laisser libre cours à mes pensées, la seule chose, au demeurant, dont je sois capable avec mon esprit. 

Je voudrais bien, dis

Que tu me racontes une histoire.

Et dis, on ira voir la mer ?

Je pourrai manger une gaufre ?

Avec du sucre ou alors du chocolat.

Y’aura du vent tu crois ?

Je voudrais bien

Pis j’aimerais bien voler avec les goélands

On ira ?

C’est promis ?

La mémoire m’a toujours fasciné par sa fantaisie. Pourquoi ces mots raisonnent-ils particulièrement maintenant où tout bascule ?

Sur terre le temps est suspendu. 

La visiteuse reprend :

“Notre incursion se limitera à trois jours, nous nous retirerons et reprendrons la parole par séquences adéquates durant cette période, ensuite vous n’entendrez plus parler de nous avant plus ou moins un millénaire. 

Nous n’interviendrons plus de façon visible, mais nous vous aurons mis sous notre entier contrôle à l’issue de cette opération, ce qui en constitue l’objet. Il était indispensable de nous signaler à vous pour achever le protocole d’appropriation. 

Cela ne changera rien à votre vie, enfin celle d’après. Le fait que les moindres de vos pensées, faits et gestes soit le résultat de notre décision et non de la vôtre ne change rien, en réalité, au fonctionnement de votre cerveau. J’aurai le loisir de vous l’expliquer, car vous avez un besoin impérieux et urgent de le comprendre.

A cet instant vous êtes sous notre surveillance, pas encore notre contrôle, mais cela n’empêche, alors que vous sortiez à peine de votre Afrique natale, nous avions déjà consigné jusqu’au plus infinitésimal élément de votre comportement collectif et individuel. Dans le comportement, il faut inclure la pensée. 

Nous savons donc absolument tout sur vous tous, tout ce que vous savez et surtout que vous ignorez à votre propre sujet. 

Sommes-nous Dieu ?

Non. 

Nous parlerons de Dieu. 

Je vais à présent mettre un terme à cette allocution et je reviendrai demain. Vous allez pouvoir laisser libre cours à votre propre communication dans un instant. Si vous saviez le régal que c’est pour nous ! Une explosion d’informations cruciales, de données précieuses, d’algorithmes créatifs et de vibrations riches.

 

Seulement, humains, sachez-le, nous venons vous l’inculquer, vous êtes, à votre stade, un peuple de vermisseaux. Et vous allez devoir grandir, c’est urgent. Ce n’est pas du sang et des larmes que je vous promets. Ô il y en aura sur votre route, c’est le lot du vivant ! Je vous promets de la douleur, de la souffrance mais comme prix à payer pour la connaissance. Nous ne venons pas seulement apporter des réponses aux questions que vous vous êtes toujours posées, mais aussi et surtout à celles que vous ne vous posez pas, pourtant cruciales.”

Et puis elle disparaît comme elle est venue, livrant au silence un règne de Jugement Dernier. 

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